Avec un naturel déconcertant, elle dit ce texte très osé, très culotté même, et elle semble en savourer chaque mot, par ce qu’elle dit sur le goût et le dégoût du sexe, sur l’ivresse du plaisir et le fiasco.
Si elle bute, elle se rattrape aussitôt avec une souplesse adroite. On est d’ailleurs autant subjugué par sa manière de dire que par ce qu’elle dit.
Ce qu’elle dit donc, une compilation d’extraits des écrits du Marquis de Sade, sélectionnés par le philosophe Raphaël Enthoven. Ce sont des mots crus, parfois cruels, parfois obscènes, toujours impudiques, qu’Isabelle Huppert lit avec une aisance confondante, à mi-chemin entre lecture de textes de Sade et interprétation, car très incarnés.
Avec une certaine candeur dans la voix, comme si elle découvrait le texte en même temps que le public, elle ose, avec naturel, sans donner du poids au vocabulaire indécent et licencieux du divin Marquis.
On pense à notre découverte de la comédienne jeune adolescente, en 1976, lors de la présentation au Festival de Cannes de « La Dentellière » où, déjà, elle avait subjugué le public. Elle n’a pas changé, juste quelques années de plus. Mais, le débit est le même, les intonations, les expressions et les mimiques, sont identiques... Bref, c’est bien la même personne ! Et le public est certainement venu pour elle...
Raphaël Enthoven a donc réuni deux romans libertins de Sade - « Justine ou les malheurs de la vertu » (1791) et « L’histoire de Juliette ou les prospérités du vice » (1801) - en une seule proposition où Isabelle Huppert est tour à tour Justine et Juliette, deux soeurs dont l’une est vertueuse et l’autre déchaînée dans le vice.
Nulle autre qu’Isabelle Huppert n’aurait pu mieux incarner ces deux facettes opposées, imaginées par Sade, et qui pourraient ainsi être une seule et même personne.
Elle est apte à montrer les contradictions qui hantent peut-être chacun- chacune qui, au fond de lui-même, pourrait bien avoir des pensées salaces sous un vernis vertueux. Dans cette lecture talentueuse ne se jouerait-il pas un combat intérieur contradictoire propre à tout être humain ?
Très osée, la pensée sans compromis de Sade lui a insufflé des écrits les plus pervers et lubriques de la création littéraire, soufflant ainsi le mot « sadisme ». Car, le sadisme est à la fête dans ces textes truffés de cynisme avec toutes les perversions et aberrations sexuelles dont le divin marquis s’est fait le chantre.
A la fin du spectacle, le public était mitigé. Personne ne semblait n’avoir rien à redire de la magistrale prestation d’Isabelle Huppert, mais nombre de spectateurs, découvrant l’écriture de Sade, sont restés comme matraqués par le texte sur ces deux soeurs aux destins opposés, aux mentalités et aux trajets de vie totalement différents, Justine et Juliette : l’une vaincue par sa vertu et l’autre triomphant par le vice.
Isabelle Huppert n’a pas peur du risque, elle dit même l’ignorer.
En 2015, seule dans l’immense Cour du Palais des Papes à Avignon, elle a fait une première lecture de ce texte en bataillant contre un mistral déchaîné, depuis elle présente parfois cet étonnant spectacle où elle joue autant qu’elle lit. Selon les passages de « Justine... » ou de « Juliette... », sa voix change, son corps et son visage aussi, parfois candide parfois jouisseur. « Le vice triomphe toujours... Oublions la vertu ! » clame-t-elle. Voilà qui a dû en déconcerter plus d’un...
Et pourtant, quelle chance, vraiment d’avoir pu voir cette histoire de choc entre le vice et la vertu, à Anthéa où la salle était comble !
Caroline Boudet-Lefort