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Phèdre à Anthéa : un grand spectacle

L’immense metteur en scène Georges Lavaudant a proposé à Anthéa "Phèdre" de Sénéque, sur une traduction et adaptation de Frédéric Boyer.

Fureur et passion

Pas de décor. En toile de fond, un écran sur lequel s’inscriront quelques phrases de la pièce et de rares images, ou plutôt d’immenses ombres (comme celles du théâtre balinais).


Hippolyte est seul en scène, vêtu uniquement d’un slip noir. Ses yeux brillent, écarquillés, horrifiés. Il clame le texte de Sénèque comme le feront tous les comédiens en l’articulant impeccablement pour nous rapporter les destins terribles de ceux qui ont osé désobéir aux lois ordinaires des hommes, des femmes et aussi des dieux.
Sénèque pousse jusqu’au vertige la connaissance des abîmes de la conscience humaine. Comme si le spectacle représentait d’une cérémonie païenne. Tandis que le jeu épuré des comédiens va à l’essentiel et la rage des corps dans l’espace incarne avec violence leurs intentions. Dans leur parcours de refus et de rage, aucun espoir ne suinte, ne transperce.

Avec beaucoup d’audace dans sa mise en scène, - telle parfois la nudité des personnages, que ce soit Phèdre ou Hippolyte - Georges Lavaudant crée une tragédie amoureuse à l’action tourmentée et interprétée avec fureur et passion.

Transportée par le metteur en scène qui crée une trouble étrangeté, Phèdre est puissante, terrible

Elle ose tout surveiller.
Brûlant d’énergie, les comédiens gueulent à pleine voix. On n’imaginait pas des tragédiens d’une telle puissance animale, d’une telle violence destructrice, comme Astrid Bas qui interprète Phèdre, Maxime Taffanel est Hippolyte, Aurélien Recoing Thésée et Bénédicte Guilbert la nourrice. Ils semblent hantés par des forces qui les dépassent et les mettent en transe. Ils sont prodigieux !
C’est le talent de la mise en scène de Georges Lavaudant (un des plus grands metteurs en scène actuels), de pointer combien un tragique antique peut nous être proche et familier. (« L’été dernier », le récent film de Catherine Breillat, illustre bien le même drame : là aussi la femme se décharge de toute culpabilité sur son beau-fils). Ainsi, manipulatrice, puissante et terrible, Phèdre dit «  Il faut retourner le crime contre Hippolyte. Personne ne sait qui est la victime ! ». La parole, au théâtre, est là pour fracasser, puis révéler.
Moins représentée que la pièce de Racine, celle de Sénèque est peut-être encore plus intense.
Si la nouvelle traduction de Frédéric Boyer est jugée « modernisée », elle n’est cependant pas actualisée, selon une certaine mode d’aujourd’hui qui aurait tendance à banaliser ainsi certaines oeuvres du passé.
Ici, tout est parfait ! Un grand spectacle !

Caroline Boudet-Lefort

Visuel de Une DR ANTHÉA

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