Le rideau se lève sur un décor de meubles d’époque évoquant un bureau présidentiel tel qu’on le voit à la télévision lors des allocutions publiques du chef de l’Etat.
Juste avant son discours d’investiture, un nouveau Président de la République souffre d’infernales démangeaisons nasales qui provoquent chez lui des comportements incontrôlés.
Devant leurs postes de télé, des milliers de Français pourraient le croire fou avec ses bizarres grimaces incessantes. Très revendicatif, il exige un remède miraculeux. La médecine s’avérant incapable de calmer le mal, on lui envoie un psychanalyste, le meilleur. Mais aucune potion magique pour le guérir, il lui faut uniquement parler de lui ! Alors que son discours est attendu dans une heure ...
Quand quelque chose démange, il peut s’agir du désir ou de l’envie, et donc de l’ambition. Mais ce psy ne s’en préoccupe pas. Bien classiquement, il va chercher du côté de l’enfance, de la relation à « papa et maman » pour cet homme d’importance. Justement son importance le préoccupe beaucoup Ce Président veut être « quelqu’un » et il l’est, dit-il, puisque « tout le monde se lève en ma présence » ! Mais, en abordant son enfance, ce Président déchire et piétine son père que le psy lui présente sous forme d’une feuille de papier. Il saccage tout autant sa mère et ses frères... Dans cette famille de charcutiers, il était, dit-il, « un enfant normal, ni petit, ni grand... », mais la couleur qui le représente alors, c’est le gris.
Tiré par Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière d’une courte pièce espagnole de Ramon Madaula (qui va à son tour adapter en Espagne l’adaptation française !), le texte jongle allègrement et brillamment avec les mots et les situations.
Si bien que le spectacle – mis en scène avec une impeccable précision par Bernard Murat – n’a rien de statique, surtout qu’il est magistralement interprété par François Berléand et François-Xavier Demaison. Une grande complicité entre tous les deux est évidente : ils s’envoient les répliques comme des balles toujours attrapées au bond en réagissant avec vivacité au quart de tour. Impossible de savoir lequel mène l’autre « par le bout du nez ».
Le spectateur assiste à un véritable duel où chaque réplique fait mouche dans cette comédie hilarante.
Berléand est un comédien aux talents reconnus de longue date. Dans ce rôle qui se voudrait figé, contrôlé, il en arrive à utiliser des méthodes guère conformes à sa profession et même à sortir de ses gonds face à ce patient qui ne croit pas en la psychanalyse. Quant au comique de Demaison, il n’est plus à prouver : il tord son visage en tous sens quand ses démangeaisons le « gratouillent » et devient de plus en plus grimaçant avec une palette d’expressions incongrues sur son visage. Tandis que tout son corps suit à l’unisson dans cette surprenante gymnastique burlesque.
Nous voilà face à un duo évident où les acteurs complices s’en donnent à coeur joie pour une séance psy percutante et totalement réussie, autant pour cet insolite Président de la République que pour chaque spectateur qui ne cesse de s’esclaffer.
Toute la salle n’est qu’un éclat de rire du début à la fin face à cette situation rocambolesque.
Le texte, qui autorise toute audace, ne manque, de plus, ni de lucidité ni d’insolence, en montrant les failles et la petitesse intérieure de ce personnage qui passe du désarroi au cocasse. Le psy comprend vite qu’il doit adapter ses principes professionnels à la situation de ce discours à faire dans moins d’une heure : il y a donc urgence ! Aussi, bien sûr, cette séance psy n’a-t-elle rien d’orthodoxe. Freud et Lacan doivent se retourner dans leurs tombes ! Mais nous sommes au théâtre et il fait bon rire !
Caroline Boudet-Lefort