Tout en dansant, Andréa Bescond y racontait son histoire sur un ton sincère, brut et drôle, en interprétant tous les rôles : tantôt le sien aujourd’hui, mais aussi le sien enfant, quand un ami de ses parents prenait grand plaisir à lui faire des « chatouilles » sous le regard complaisant de sa mère qui n’arrivait pas à entendre ce que tentait de lui dire sa petite fille. Avec un talent fou, elle dansait sur la scène entre technique et émotion et passait d’un personnage à l’autre (la mère, la psy, le violeur...), parlant tout en dansant.
Un véritable exploit qui fut un grand succès public et lui a valu les attributions du Prix de la Critique et d’un Molière en 2016.
- |Copyright Stéphanie Branchu - Les Films du Kiosque
Aujourd’hui, c’est un film, sans être pour autant la copie de la pièce, quoique mis en scène par Andréa Bescond et Eric Métayer, également metteur en scène du spectacle.
Mais chaque personnage est interprété par un comédien, ce qui change tout, sans pourtant rien ôter au tragique de l’histoire autobiographique d’Andréa Bescond, qui reste l’interprète d’elle-même adulte.
Devenue Odette, la danseuse libère sa parole. Après avoir longtemps parlé avec le corps grâce à la danse, elle est peu à peu parvenue, au cours d’une psychanalyse, à mettre le viol en mots, à nommer cette pédophilie qui l’a bousillée et à verbaliser sa colère d’abord chorégraphiée. Elle raconte tous les coins sombres de cette longue épreuve bombe à retardement qui débouche sur la haine de soi et tous les palliatifs autodestructeurs qui en découlent durant des années.
Grâce à une juste distanciation, le film aborde ce sujet difficile, sans pathos ni surenchères, et même parfois avec humour sans se complaire dans le misérabilisme, avec des flash-back entre l’enfance et l’âge adulte d’Odette. On admire le talent avec lequel les deux réalisateurs sont passés du « seule en scène » à la direction d’une équipe de comédiens tous parfaits dans leurs rôles. Karin Viard interprète à merveille cette mère qui ne sait pas aimer, sans doute victime elle-même, mais réfugiée dans le déni. Pierre Deladonchamps joue avec la bonne distance glacée l’ami de la famille amateur de « chatouilles ». Clovis Cornillac est un « vrai » père qui veut vivre tranquille et ne rien voir, Cyrille Mairesse est une merveilleuse Odette enfant, Carole Franck la psy, Ariane Ascaride la prof de danse, Grégory Montel...
Il est certain que l’émotion déclenchée par un tel film va libérer la parole avec des témoignages de victimes et, à la suite, entraîner des débats. Car, avec ces « Chatouilles », chacun est ému aux larmes.
Caroline Boudet-Lefort