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Le Château, de Kafka

Tous à l’abri ! Des sirènes d’alarme retentissent, tandis que défilent en vidéo de bucoliques paysages de forêts avec de temps en temps le passage d’un cerf, comme une insolite image onirique. Dans cette nature, la silhouette de Monsieur K. (Paulo Correia) erre avec une valise au bout du bras jusqu’à un village où il échoue à l’Hôtel du Pont. Il y est accueilli disons avec méfiance : on le regarde avec hostilité, tandis que de multiples téléphones sonnent. Lui voudrait accéder au Château où « on » l’a sollicité comme géomètre. « On » ce doit être Klamm.

Mais le Château est inaccessible pour tous les gens du village, donc forcément encore davantage pour K.

Il faudrait déjà accéder à l’Hôtel des Messieurs, lui aussi inatteignable : le règlement est toujours mis en avant. « Vous êtes quand même un étranger, il nous faut des garanties ». Il est même menacé d’expulsion.

K. supplie d’avoir une entrevue avec Klamm, mais se heurte à toutes sortes d’interdits et provoque de nombreux ricanements. Qui est donc ce Klamm qui tient entre ses mains le sort de K. ? Frieda aime K. qui est également amoureux d’elle, mais a-t-elle aussi aimé Klamm ? Tout reste en suspens, il n’est pas nécessaire pour le spectateur d’avoir la réponse. Ce qui importe c’est ce monde auquel K. se heurte : l’infernale bureaucratie qui vous envoie d’un service à un autre sans jamais pouvoir atteindre le but recherché dans une administration immense et hiérarchisée où chacun est lié à sa fonction sous les ordres d’un plus puissant que lui. Ce n’est plus la personne qui compte, car chacun est interchangeable dans un univers complexe qui tourne en rond pour revenir sans cesse au point précédent. Et le tout sous la surveillance implacable de l’omnipotent et insaisissable Klamm.

C’est bizarre, partout de la menace et le Château a beau jeu ! « Ces Messieurs du Château ne peuvent pas supporter la vue des étrangers... et vous serez toujours un étranger, une gêne, un embarras !  »

Chaque personnage trimballe une valise, qui sans doute contient tout ce qu’il possède comme de nombreux SDF. K. rencontre le Maire. Celui-ci circule en fauteuil roulant et s’esquive sans donner de réponse à toutes les interrogations de K, se contentant de lui tapoter la main en le laissant bouche bée. Cela se répète et pourrait se répéter à l’infini. Au plus près de sa témérité inconsciente, K. s’immerge dans ce monde oppressant et intensément glaçant, et de ses rêves étrangement illusoires.

Comédien, mais aussi vidéaste, Paulo Correia a choisi pour ce spectacle une immersion complète dans la vidéo.

C’est un parti pris qui convient tout à fait au « Château » et qui s’intègre parfaitement au jeu des comédiens. Les trois sont excellents, on ne peut que le reconnaître : les apprécier, les admirer, les applaudir au maximum ! Formidable dans son personnage en perte d’identité de K, Paolo Correia ne quitte pas la scène. L’épatante et dynamique Mélissa Prat joue toutes les femmes auxquelles il a à faire face, et le très juste et habile Damien Remy s’approprie tous les hommes, dans des rôles très différents où il sait être méconnaissable de l’un à l’autre, tant dans la voix que dans les gestes. La musique de Benoît Berrou souligne parfaitement l’angoisse permanente.

Kafka n’a pas choisi d’appeler son personnage K. par hasard.

Il s’agit bien de lui-même, éternel étranger qui n’a jamais trouvé sa place nulle part, toujours tiraillé entre deux cultures celle de Prague où il vit et celle de son éducation allemande. Le texte de son roman est complexe, mais tout est limpide dans l’adaptation de Gaëlle Boghossian. Dans cette période de retour à l’intolérance, ce qui l’a, bien sûr, intéressée c’est ce rejet de l’étranger qui ne trouve sa place nulle part.
Ainsi, ce spectacle poignant est une réussite totale !
Caroline Boudet-Lefort

Toutes photos de l’article DR et courtesy ANTHEA
Prochaines représentations :
mardi 12 mars 2019 | 14h30
jeudi 14 mars 2019 | 14h30

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