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ANTHEA - « Pupo di zucchero » d’Emma Dante

« Pupo di zucchero » est librement inspirée du « Conte des contes » de Giambattista Basile, de même que « La Scortecata », présenté il y a 2 ans à Anthéa, où déjà le comédien virtuose Carmino Maringola interprétait un des rôles principaux : l’une des deux vieilles quasi centenaires. Dans ce nouveau spectacle d’Emma Dante, il joue un vieillard se souvenant de ses proches, tous morts.

Seul en scène, ce vieillard parle, parle... avant de mourir tandis qu’autour de lui trois femmes (les trois Parques) agitent des clochettes et chantent des chants traditionnels siciliens pour le lendemain de la Toussaint, le 2 novembre, jour de la mémoire des morts, de la vie des morts. En Sicile particulièrement, comme dans certains pays tel le Mexique, chacun se consacre à ses défunts.

Unique survivant de sa famille, ce vieil homme célèbre ses morts tout en malaxant la pâte du gâteau traditionnel pour ce jour-là, une poupée en sucre (« pupo di zucchero »). Toutes les présences du passé resurgissent dans sa mémoire et l’entourent joyeusement en dansant dans une farandole endiablée comme dans un film de Fellini. Toutes ces « disparus » sont vivants dans ses souvenirs et ils s’animent en gesticulant autour de lui, avec leurs joies et leurs drames. Et des égarements amoureux très diversifiés, parfois tendres, parfois ravageurs : ainsi l’oncle Antonio et la tante Rita se tabassent et s’aiment, jusqu’à ce qu’il coure après elle pour la battre à mort - un sujet de grande actualité. « Un homme qui bat une femme est un lâche », dit un personnage.

Pas de décor, ce sont les personnages qui habitent et font vivre le lieu, cette mémoire de fantômes autant que d’émotions. Ils sont tous l’illustration réaliste de ces morts, aussi favorables à l’envol du rêve qu’à la dérive dans l’imaginaire.

Dans une macabre vision fantasmagorique, chaque comédien transporte son mort sous forme d’une sculpture, avant de le suspendre tristement au crochet d’un cintre au milieu du plateau où ils sont tous alignés. Le sculpteur Cesare Inzerillo a magnifiquement réalisé d’immenses marionnettes pour ajouter encore à la magie macabre de ce théâtre.

Le vieil homme revient alors s’asseoir au centre de la scène devant les corps suspendus tandis que la lumière s’éteint lentement, laissant juste l’éclairage de petites loupiotes rouges. « Je suis un vieillard ratatiné, rabougri  » dit-il résigné.

Quoique le thème soit la mort, le spectacle est le plus souvent joyeux

Les comédiens (nes) virevoltent, dansent, toréent au besoin (Pedro parle espagnol, lui qui brûlait d’amour pour Viola, tout en ingurgitant des pizzas)... Ils jouent tous au ballon avec la fameuse pâte du gâteau qu’ils se lancent ou qu’ils mangent crue sans attendre que la pâte lève.

Véritable folie fantaisiste, cet émouvant spectacle d’Emma Dante émerveille et enchante le public au comble de l’enthousiasme !

Avec une fantaisie audacieuse, elle conjugue le merveilleux – parfois sinistre – et l’irrationnel. Seuls les souvenirs peuvent laisser vivre les morts. A nous de les garder vivants dans nos pensées, car les mots ne suffisent pas. Bien sûr, Emma Dante a su rendre cette idée poétique, quoique notre gorge se noue. La densité de sa mise en scène élève encore davantage ce thème du souvenir de ceux qu’on a aimés.

Caroline Boudet-Lefort

Photo de Une DR et courtesy E.M

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