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ANTHEA - "Habiter le temps" de Rasmus Lindberg – Mise en scène de Michel Didym

Chaque spectateur admire d’abord le magnifique décor d’une maison scandinave avec un escalier à droite où s’ouvrent trois portes, dont chacune correspondra à un couple.

Musique et noir total...

Quand l’éclairage revient, trois couples de trois époques différentes sont sur scène et disent simultanément les mêmes paroles, comme si le temps n’avançait pas à toute allure et alors que chacun s’en plaint sans cesse. Leurs voix se superposent, leurs mots aussi. Ils sont de la même famille à traîner le même « fardeau » qui entrave leur marche en avant.

L’auteur, le dramaturge suédois Rasmus Lindberg, a voulu ainsi montrer combien les événements familiaux se répercutent de génération en génération en laissant des traces inconscientes en chacun d’entre nous qui trimballons une culpabilité dont on ne sait rien si on ne va pas chercher à « savoir »...

En 1913, un couple se dispute violemment et il s’ensuit un drame. Cet événement tragique aura des incidences sur toute une famille pendant plus de cent ans, et donc en 1968 et en 2014 où vivent les deux autres couples qui s’aiment et se déchirent aussi. Passé, présent et futur s’emmêlent en entrelaçant des histoires qui s’affolent à l’identique. Les secrets des uns se transmettent sur la vie des autres et des fils invisibles les lient au passé familial...

Les répliques fusent en se faisant écho. Les voix se superposent, les mots sont les mêmes de génération en génération. Le texte est composé comme un choeur polyphonique où chacun donne à entendre sa version des faits déformés par le temps. Les choix de nos grands-parents nous influenceraient-ils aujourd’hui ?

Cette pièce atypique demande une mise en scène impeccable et une interprétation tout aussi parfaite.

C’est le cas ici : Michel Didym a su magistralement diriger les comédiens qui placent leurs répliques dans un rythme idéal afin que le spectateur comprenne que le passé revient hanter le présent de chaque personnage. Et même le futur. La cadence de toutes les phrases répétées est irréprochable et a certainement exigé un difficile travail d’ensemble de la part des comédiens (parmi lesquels Irène Jacob devenue trop rare).

Chacun de leurs personnages paie sa dette à l’histoire de ses ancêtres et, selon sa propre réalité. Un « fantôme » invisible surgit du passé pour lui envoyer un message plus ou moins explicite, aussi faut-il le recadrer suivant son propre vécu. Tous répètent, sans le vouloir et sans le savoir, certaines situations. Sont-ils aussi libres qu’ils le croient ? Comment sortir du destin répétitif de leur vie ? Dans ce passé présent, non-dit et secret se répercutent sur leurs liens trans-générationnels. Une loyauté invisible les pousse à payer les dettes du passé en ressassant les mêmes situations.

Répétitions et coïncidences s’accumulent, comment « effacer l’ardoise » ?

Un enfant ébouillanté dans son berceau, une grand-mère alcoolique qui s’est suicidée, un père défiguré, une psy pour le moins insolite... Les comédiens parviennent à faire entendre tout ensemble passé, présent et futur. Leurs personnages trimballent une culpabilité qui chemine à bas bruit en chacun d’eux et qui fait écho, à travers leurs blessures, pour les entraver à vivre. Le lien à l’ancêtre court tout au long de la pièce et, faisant face à une dette émotionnelle non payée, les comptes sont bloqués et donc répétitifs. Et le symptôme persiste...

A la fin, chaque personnage dit « Ca va bien se passer ! » Pour le spectateur aussi la pièce passe très bien, même si la construction en semble compliquée !

Caroline Boudet-Lefort

Visuel de Une DR Michel Didym

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