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ANTHEA - FRAGMENTS Textes d’Hannah Arendt – Adaptation et interprétation Bérengère Warluzel

Sur le plateau, une table avec des spectateurs assis autour, mêlés à d’insolites marionnettes de taille humaine (conçues par Stéphanie Slimani). Ainsi le public participe directement à l’action du spectacle. Si action il y a, puisque le sujet est le désir de penser.

Après avoir adapté en « fragments » des textes d’Hannah Arendt, Bérengère Warluzel les interprète également. Elle entre en scène avec une immense pile de bouquins et interroge : « Comment faire naître le désir de penser ? Je ne sais pas... Ne pas penser est plus dangereux encore ! »
Alors, elle dessine sur un paperboard une boîte de « Tomato soup Campbell, » comme symbole de la société de consommation qui arrive alors. Tout au long du spectacle, la comédienne fera ainsi des dessins !

Pour Hannah Arendt, c’est le 23 février 1933 que tout a commencé avec l’incendie du palais du Reichstag, à Berlin.

« A partir de ce moment, on ne peut plus rester indifférent  » et il lui faut « Franchir la frontière clandestinement parce que mon nom n’avait pas été lavé de tout soupçon... » Ainsi la vie et la pensée de cette grande philosophe sont entremêlées, l’une exaltant l’autre.

Tout en se déplaçant et en dessinant, Bérengère Warluzel dit les « fragments » de textes d’Hannah Arendt qui sont d’une intensité implacable. « Les idéologies prétendent tout savoir d’un processus d’argumentation... Le danger est d’échanger la liberté de pensée par la camisole de la logique.  » On pense sans cesse, mais dans quelle gymnastique faut-il entraîner ses méninges pour activer efficacement l’acte de penser ?

La pensée était pour d’Hannah Arendt une sorte de gestion, une humanisation de l’expérience.

Il s’agit de retourner la pensée vers l’intérieur, la braquer sur soi-même en restant émerveillée par l’abondance et la particularité du monde. Tout en s’adressant au public, Bérengère Warluzel est enflammée comme si le dialogue était entre elle et elle-même, de même que c’était pour la philosophe.
Ainsi, dit-elle, ce qui caractérise Eichmann, c’est l’incapacité à penser. « Est-ce que notre aptitude à juger, à distinguer le bien du mal, le beau du laid, est dépendante de notre faculté de penser ? » dit-elle dans un texte d’une richesse inouïe que la comédienne énonce avec de multiple déplacements scéniques qui excluent toute lassitude d’écoute et en passionnant le public.

La mise en scène de Charles Berling permet qu’il n’y ait pas une minute d’ennui à ce spectacle qui aurait pu sembler fastidieux vu l’aridité du sujet.

De plus, la comédienne a tout le talent qu’il faut pour transmettre, de manière très vivante, et même avec véhémence, la richesse de la pensée de la philosophe qui avait découvert « la banalité du mal » lors du procès d’Eichmann. Celui-ci était « un bouffon » avait-elle décrété après avoir lu de « multiples pages de sa part  ».
Ce passionnant spectacle a été amplement applaudi par un public cependant un peu sidéré !
Caroline Boudet-Lefort

Photo de Une : DR ANTHEA

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