| Retour

Anthéa - A tiroirs ouverts : un pavé lancé dans la mare du cirque traditionnel !

Ce n’est pas un spectacle qui roule « à tombeaux ouverts » puisque le personnage imaginé par Quentin Brevet sait prendre le temps pour trouver un rythme idéal entre humour et poésie dans chacun des gestes qui composent « A tiroirs ouverts ».


Mise en scène de Johan Lescop

Ce foutu bonhomme nous séduit dès qu’il entre en scène avec son allure empruntée et ses balbutiements inaudibles.

Il parle tout seul très bas, sans s’adresser au public, coincé par une timidité d’une délicieuse maladresse. Sans bien savoir pourquoi, on se dit que quelque chose ne tourne pas rond chez cet indécis qui marmonne des mots incompréhensibles parmi lesquels on distingue « on se calme ! » après une nouvelle bévue où il combat avec des objets et des balles, partenaires contrariants qui se transforment à l’occasion.

Sur scène, un socle – un peu coffre pour en tirer des objets – et sur ce socle, une table avec des tiroirs, deux tabourets, trois panneaux amovibles et quelques balles suffisent comme décor dépouillé. Quentin Brevet est seul et se déplace dans cet espace limité, semblant étonné d’être arrivé là avec sa timidité et sa maladresse très étudiées. L’air emprunté, un peu gauche, semblant vouloir s’excuser, il tourbillonne autour de la table à tiroirs en jonglant avec les balles qui deviennent magiques. Tout son corps y participe ! Une clarinette est aussi de la partie, elle peut servir à envoûter les balles, comme un charmeur de serpents, et il jongle aussi avec les notes de musique, réussies ou ratées comme tout le spectacle.

Volontairement discret, avec des gestes d’une sorte de négligence inoxydable, l’artiste prouve une grande maîtrise dans ses ratages qui ne sont là que comme gags et prouesses techniques et poétiques. Il négocie au mieux avec les balles et les objets et, s’y frottant, en déjoue les pièges. Loupés, erreurs, chutes, rebonds s’enchaînent. Une balle, c’est connu, peut en cacher une autre et lorsque ce jongleur les rattrape, son visage s’illumine comme un sapin de Noël en s’adressant, avec son mélange de timidité et de modestie feinte, à des amis imaginaires - que sont les spectateurs.

Artiste accompli, ce clown jongleur sait déjouer les attentes en surprenant son monde dans un merveilleux moment musical où des verres de formes variées donnent des sons différents quand il tapote chacun d’eux avec une baguette.

Il crée ainsi une ludique partition des plus harmonieuses.

Ce montage alchimique de jonglerie et de musique révèle une parfaite mise au point dans ce spectacle tout à fait original.

« A tiroirs ouverts » est un pavé lancé dans la mare du cirque traditionnel. Mais, en la matière, il n’y a pas de savoir absolu. Surtout pas ! Avec son personnage de timide adroitement maladroit, Quentin Brevet affirme sa place dans la famille élargie de clowns dérangés, figures indispensables aujourd’hui où la profession évolue en s’éloignant du clown au nez rouge. Ce gentil garçon godichon, vraiment touchant avec son intensité sérieuse et exigeante, a totalement séduit le public émerveillé – petits et grands - !

Caroline Boudet-Lefort

Visuel de Une : @ Clement Blin

Artiste(s)