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CHRONIQUE 37 : Connaissez-vous le Groupe 70 ? (2) - Chronique Bimensuelle sur l’Ecole de Nice - par André Giordan et Alain Biancheri pour Art Côte d’Azur

Résumé des chroniques précédentes

Le Groupe 70 –notre dernière Chronique- comprend 5 artistes incontournables de l’Ecole de Nice. Vivien Isnard, Louis Chacallis, Serge Maccafferri, Martin Miguel, Max Charvolen se reconnaissent à une particularité, du moins à leur début. Ils remettent en cause le tableau de chevalet ! Mais qui sont ces 5 artistes et qu’ont-ils fait chacun ?

VIVIEN ISNARD 1946-

Vivien Isnard est né à Forges-les-eaux en 1946 et a fait ses études aux Arts Décoratifs de Nice, avant d’aller aux Beaux-arts d’Aix en Provence. Ses premières recherches sur la matérialité du support, le font adhérer au Groupe 70, avec Miguel, Chacallis, Maccaferri et Charvolen. Toutefois, il le quitte trois ans plus tard pour se rapprocher davantage des recherches de Supports/Surfaces.
Les expositions à Nice, chez Ben Doute de Tout en 1970, ou la Rétrospective de l’Ecole de Nice, au Studio Ferrero, mettent en évidence une démarche axée essentiellement sur le cadre et les limites, en utilisant des supports qu’il découpe, inverse ou retourne et assemble dans une fabrication proche de l’artisanat. Celle-ci est mise en évidence par la volonté de laisser apparentes les transformations formelles.
Ses productions interrogent la situation de l’œuvre, et à travers cela le rapport de la personne à la surface peinte. Il a expérimenté plusieurs processus laissant des traces ; il remplace par exemple la peinture par des acides, des bases ou encore des sels. Son but : « attaquer » la toile, pour en saisir sa résistance.

Vivien Isnard, sans titre,

Délaissant par la suite ces pratiques matérialistes, son évolution le conduit vers une abstraction beaucoup plus picturale, riche en matières animées par des signes à peine perceptibles ; après des expositions à Paris et en Europe, la grande exposition au MAMAC en 1998 présente des peintures très colorées, dans une harmonie ou les ocres se combinent.

Vivien Isnard, Sans titre, 1974

La dynamique du « geste » s’accompagne d’une grande sensibilité chromatique. Toutefois pour lui : « […] la peinture est une émanation de ce que l’on est » et l’art, « une façon de faire les choses. »

LOUIS CHACALLIS 1943-

L’artiste Louis Chacallis est né à Alger en 1943. Après des études à l’Ecole des Arts Décoratifs de Nice, auprès de Vivien Isnard, Noël Dolla et Martin Miguel, et sous l’enseignement de Claude Viallat, il entreprend, tel un scientifique, une étude sur les comportements physiques des matériaux face à diverses manipulations. Le résultat des expérimentations se présente sous la forme d’une série de cases rectangulaires où sont montrés un référent, puis les différentes étapes ou variations amenant au résultat final.
Louis Chacallis froisse, plie, coupe, teint, colore divers matériaux (tissus, bois) et montre leurs variations de textures ou d’états (solide, liquide, naturel, manufacturé, image photographique) : un bout de bois, par exemple, se mue en planche, puis en copeaux et en sciure ; de même, la couleur passe de l’état de pigments à celui de liquide avant de s’étendre sur divers supports en dégradés.

Chacallis, Personnage sans tête, 1970 (Collection MAMAC)

Sa démarche rejoint les préoccupations de Vivien Isnard, Martin Miguel, Max Charvolen et Serge Maccaferri avec qui il fonde le Groupe 70. De 1969 à 1973, Louis Chacallis participe aux manifestations du groupe dont l’exposition fondatrice INterVENTION 70 à la Galerie De la Salle à Vence.

« Vient la période des boites (pour essentielle). D’abord une couleur (fondamentale ?) posée sur fond de boite. Puis la peinture gercée (toujours dans les boites) jusqu’à ce que la couleur matérialise une pulsion à l’extériorité, vers une troisième dimension qui n’est plus celle de la peinture traditionnelle. (..) Louis Chacallis ne conteste pas seulement les données traditionnelles du « tableau », il semble que la couleur s’échappe de la toile, s’invente sur n’importe quel support. »

Claude FOURNET 1975.

En 1973, quand l’artiste décide alors de quitter le groupe, son oeuvre prend une nouvelle orientation. Il participe cependant à la 8ème Biennale de Paris et à l’exposition Aspects de l’avant-garde en France qui a lieu au Théâtre de Nice en 1974. C’est alors que prennent forme les figurines d’Indiens qui vont constituer une étape essentielle de sa production, et s’identifier presque à son image de marque. En effet, son travail devient figuratif et explore la question récurrente de la représentation, du statut de la peinture et des images, ainsi que le rapport au spectateur et la notion de point de vue.
A mi-chemin entre peinture et sculpture, Louis Chacallis travaille alors sur les thèmes des Arcs, des Indiens, puis des Derviches. Cette recherche sur le sens de la culture le pousse à confectionner des personnages proches des réalisations artisanales, avec du bois, papier, tissus et matériaux divers qui semblent interroger les composantes picturales. Les indiens sont souvent mis en scène dans des installations placées au sol ou occupant des territoires très délimités.

Louis Chacallis, Commancheros, "Les cavaliers de l’apocalypse"1993-1996

Viennent ensuite les « Boîtes à images » qui revisitent les œuvres phares de l’histoire de l’art - la Jeune fille au turban de Vermeer, les Demoiselles d’Avignon de Picasso...- tout en s’affranchissant de la planéité du tableau. Par un phénomène optique - dû à une vitre- et le recours à l’anamorphose, la perception de l’œuvre nécessite le déplacement du spectateur.

Chacallis, L’entretemps 4, 1999 (Galerie Sapone)

SERGE MACCAFERI 1945-

Serge Maccaferi est né en 1945 à Troyes. Renvoyé de l’Ecole des Arts Décoratifs de Nice, avec Noël Dolla, Louis Chacallis et Martin Miguel, il participe aux manifestations d’INterVENTION. Membre du Groupe 70, il expérimente les possibilités de la toile libre et s’intéresse au principe de tension/dé-tension par rapport à la rigidité du châssis.
A l’aide de bandes de tissus colorées qu’il présente non tendue, il travaille autour des notions d’absence, de présence, de pleins et de vides mais aussi d’endroit et d’envers.

Serge Maccaferri, Sans titre, 1973

Par la suite, l’artiste inscrit un châssis peint de forme variable dans un second plus petit, puis fixe sur chacun une bande de tissu de même dimension et de même couleur que le support. Les points d’attache étant relativement peu nombreux (deux ou trois), les morceaux de textiles sont soumis aux lois de la pesanteur. Elles s’affranchissent du cadre et créent des tensions et des dynamiques entre les lignes droites du support et les courbes de la toile.

Comme pour la majeure partie du travail de déconstruction du Groupe 70, il joue sur le rapport endroit/envers dans les bristols qu’il coupe, plie et peint d’une couleur différente sur chaque face, sur l’effet de superposition et de transparence.
De 1970 à 1973, des morceaux de tissus flottants sur le pourtour d’un châssis encadrent l’absence de toile. Outre l’exposition INterVENTION 70 chez Alexandre de la Salle, Maccaferri est présent à Montpellier lors de la manifestation 100 Artistes dans la ville en 1970, ainsi qu’au Studio Ferrero pour la rétrospective Ecole de Nice, 1953-1973.
Malgré son départ du groupe en 1973, l’artiste sera présent au Centre Georges Pompidou à Paris et chez Alexandre de la Salle à Saint-Paul de Vence en 1977, puis
lors de l’évènement Nice à Berlin en 1980.

Serge Maccaferi, Travail de cendres et bois brûlés, 1976 (Collection MAMAC, Nice)

MARTIN MIGUEL 1947-

Né le 14 février 1947 à Nice, Martin Miguel étudie lui également à l’Ecole des Arts Décoratifs de Nice. L’enseignement de Claude Viallat, membre de Supports/Surfaces, va profondément l’influencer dans sa démarche. Dès le début, l’artiste travaille sur les constituants matériels de la peinture. Renvoyé à son tour, il poursuit ses études aux Beaux-arts d’Aix-en-Provence.
De retour en terre niçoise, après son service militaire, il retrouve Alocco, Dolla et Maccaferri et rejoint le groupe INterVENTION jusqu’en 1973. En tant que membre du Groupe 70, l’artiste participe activement à ce projet et à ses manifestations telles que INterVENTION 70 – en 1970 - ou Groupe 70 - en 1976 - à la galerie Alexandre de la Salle à Saint-Paul de Vence.

Par la superposition de parallélépipèdes en polystyrène ou en bois, préalablement imprégnés de couleurs arbitraires différenciant les volumes concomitants, Martin Miguel entame une réflexion sur les variations d’imprégnation et d’inscription de la couleur sur divers matériaux ou supports, de manière méthodique et rigoureuse. Le rapport matériau/couleur est redéfini.

Martin Miguel, Lorsque le chevron est trop grand et trop lourd, la trace peinte est le résultat d’une poussée des deux mains contre le chevron qui effectue un balancement. « A propos de Nice » Centre Georges Pompidou, Paris 1977

Chez Miguel, la couleur devient fonctionnelle - elle est la marque d’une opération - et non plus lieu de projection subjective. Ainsi, dès la fin des années soixante-dix, le niçois présente une série de toiles marquées de traces d’éléments naturels (branches, pierres, parties de corps du peintre,...). Recouverts de peinture, puis essuyés sur le support, ces objets, par leur absence, interrogent la notion de représentation, comme beaucoup d’autres artistes de cette période, et en particulier Klein - qui a beaucoup compté pour Martin Miguel et qui travaille aussi sur les notions de présence/absence.

Martin Miguel, Peinture frottée, 1975

Dès le début des années quatre-vingt, il participe au boum des galeries associatives et monte le Lieu 5 en 1979, rue Pairolière à Nice avec Marcel Alocco, Max Charvolen, Martin Miguel et Raphaël Monticelli puis l’Hermerie, en 1988, rue Reine-Jeanne avec Max Charvolen et Serge Maccaferi et enfin l’association Le Cairn à partir de 1988 et ce jusqu’en 2001.

Martin Miguel, Fragment d’alentour (1), 1990

Actuellement, Martin Miguel possède un atelier dans la Halle municipale Spada et poursuit ses recherches matériologiques sur les possibilités du béton, du bois et de leurs combustions au travers du thème du mur ou du bâti. A mi-chemin entre peinture et sculpture ou bas-relief, son travail reste axé sur les possibilités des matériaux et des couleurs.

pour Martin Miguel

Peinture ? Sculpture ?
Comme il était facile au XIXème siècle de faire la différence ! D’abord la peinture était plate, aussi lisse que possible et bien contenue dans son cadre doré, tandis que la sculpture était blanche, plâtre ou marbre, ou encore d’un sombre métal, quasi-noir, mais noir lumineux, luisant, le bronze, en tous cs d’une seule couleur. On était tranquille.
(..)

Puis voilà que des historiens se sont mis à fouiller tout cela, nous apprenant qu’il y avait déjà de la sculpture polychrome non seulement au Moyen-Age (on se doutait bien que tous ces artisans des cathédrales, avec leur apparente naïveté, étaient déjà d’enragés romantiques), mais même dans les époques modèles parmi les modèles, dans l’Antiquité, dans la Grèce du Vème siècle, à Rome dont les statues exhumées à la Renaissance, blanchies par des siècles d’enfouissement, nous avaient enseigné l’évangile de la blancheur.
(..)

Naturellement les artistes en ont profité. Seurat s’est mis à peintre aussi le cadre. Mais alors où s’arrêter ? Pourquoi ne pas déborder sur le mur à côté ? On avait cru que le cadre était là pour protéger la peinture des agressions extérieures. On s’apercevait qu’il servait aussi, un peu comme le mur de Berlin, à la contenir dans ses frontières, à l’empêcher de se répandre, de s’évader, à protéger notre logis de l’envahissante peinture.
Et l’envers ? On ne serait même plus à l’abri dans l’envers. C’est qu’il y avait bien des volets dans les polyptiques que l’on pouvait ouvrir ou fermer, détacher du mur dans l’espace. C’étaient des livres magnifiés ; on tournait les pages de la peinture.
Et voici que la matière même du bâtiment dans lequel on expose se fait peinture ou sculpture qui peut même, après des orgies de couleurs, pendant que se poursuit le feu d’artifice, redevenir quasi-monochrome. Mais ce n’est plus le blanc du marbre ni les bruns-verts ou rouges du bronze, c’est le gris de nos échafaudages et le noir de nos ruines, tisons qui demeurent des écroulements.
Le torchon brûle dans la cuisine de l’alchimiste qui édifie une Babel de cendres pour nous rendre les continuités perdues, traduire nos langages et signaler nos épaves.
L’Histoire de l’Art sort de son cadre pour nous indiquer les passages secrets.

Michel Butor

MAX CHARVOLEN 1946-

Max Charvolen né à Cannes en 1946, était donc très jeune au début de l’effervescence de l’Ecole de Nice et de l’apparition des Nouveaux Réalistes. Après une formation de menuisier, c’est avec Dolla, Macaferri et Miguel qu’il suit à partir de 1964 et pendant deux ans, les cours aux Arts Décoratifs de Nice avec comme les autres Claude Viallat comme professeur.
Sa formation ne s’arête pas à ce stade, puisqu’il continue les études d’architecture à Marseille, couronnées par un stage chez l’architecte Oscar Niemeyer à Rio. C’est par ailleurs dans cette Ecole Supérieure d’Architecture de Marseille que Max Charvolen
enseigne actuellement.

Mais ses préoccupations se dirigent rapidement vers le questionnement de la peinture, et ses interrogations prennent forme lorsqu’il participe au groupe INterVENTION, formé par Alocco et Monticcelli en 1968. L’influence sera déterminante pour la suite et surtout pour la formation du Groupe 70 ; c’est l’année, d’ailleurs qui lui permet de faire un certain nombre d’expositions marquantes : chez Ben il présente De l’unité à la détérioration, avec Alocco, Bioulès, Cane, BMPT, Deuzeuse, Saytour et Viallat, puis c’est à Tours, aux Arts citoyens, et surtout la Vision 70 à Perpignan avec Viallat.

Ses premiers travaux concernant la série des Echelles, ne sont pas sans rappeler les actes d’appropriation du Nouveau Réalisme, puisqu’il intervient sur des éléments réels qu’il recouvre, peint ou transforme, mais les problématiques sont d’une autre nature ; en effet l’interrogation de l’artiste va porter sur le support (le tissu plus précisément), la matière et la couleur, dans la lignée du mouvement Supports/Surfaces. Par la suite sa formation d’architecte va se révéler lorsqu’il intervient sur des lieux particuliers, notamment liés à la notion de passage : ce sont des endroits très fréquentés, comme des établissements scolaires, des architectures très connotés et visitées par de nombreuses personnes, certains monuments célèbres à Naples ou dernièrement le site de Delphes en Grèce.

« La toile - son format, sa forme, son aspect, son épaisseur, sa coloration - se construit dans un rapport - immédiat - à des lieux que l’artiste investit. Sa mise au regard implique des procédures tout à fait inédites dans la peinture, du passage de trois à deux dimensions. Son travail peut concerner aussi bien des objets usuels que des lieux bâtis. Dans les cas des lieux bâtis, ce sont les espaces de transition, de passage ou de rupture qui sont le plus communément traités. L’exploration des possibilités de mise à plat permet à Charvolen de développer, entre autres, un rapport tout aussi original avec les sciences et les techniques : sa façon d’utiliser l’outil informatique est unique : elle est aussi éloignée que possible des réalisations de ce que l’on connait dans "l’image de synthèse" ; Charvolen demande aux capacités de calcul des computers non de nous restituer les images que nous connaissons et que nous pouvons produire par d’autres moyens, mais de nous donner idée de l’incommensurable masse que nous ne connaissons forcément pas et et à quoi, seuls, ils peuvent nous donner accès. »

Raphaël Monticelli, in Les portulans de l’immédiat - Max Charvolen 1979/1996, travaux sur bâtis, Al Dante et Galerie Alessandro Vivas éds., Marseille 1997.

Son intervention in situ se manifeste par le recouvrement de certaines parties du lieu jugé essentielles, en rapport avec des éléments fondamentaux de construction (escaliers, rampes, balustrades, colonnes...). Le tissu est peint avec des couleurs proches des codes architecturaux et s’imprègne pendant un certain temps de la trace des personnes qui fréquentent ces lieux.
Le travail de mise à plat du tissu, par la suite, se présente comme la mémoire à la fois du site investi et de l’empreinte laissée par l’homme. L’intérêt réside essentiellement dans le passage du volume à la bidimensionnalité, du modelé à la planéité dans une recherche qui reprend les principales préoccupations du langage pictural.

Suite à la prochaine Chronique...

"Les œuvres les plus représentatives de ces artistes sont exposées actuellement au Musée Fernand Léger à Biot dans le cadre de la manifestation "l’Art Contemporain et la Cote d’Azur : un Territoire pour l’Expérimentation". Le Musée présente ces œuvres qui traduisent "La Peinture Autrement", en mettant en évidence le processus de construction et de déconstruction."

A partir d’octobre 2011, cette Chronique se consacrera progressivement aux nouveaux artistes qui travaillent à Nice.

Retrouvez les précédentes chroniques sur l’École de Nice

Chronique 1
Chronique 2
Chronique 3
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Chronique 7
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Chronique 36

Pour en savoir plus

A. Biancheri, A. Giordan, R. François, L’Ecole de Nice, Ovadia, 2007

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