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ECOLE DE NICE - CHRONIQUE 16 : Les artistes qui ont fait le tam-tam (1) - Chronique Bimensuelle sur l’Ecole de Nice - par André Giordan et Alain Biancheri pour Art Côte d’Azur

Résumé des chroniques précédentes

Cette chronique continue à « explorer » les personnalités qui ont contribué à rendre visible l’Ecole de Nice. Après les journalistes, les galeristes, les critiques d’art comme Jacques Lepage et Frédéric Altmann et Pontus Hultén, d’autres personnalités ont proposé leur contribution. Parmi eux… des artistes de l’Ecole.

Les artistes de l’Ecole de Nice ne se sont pas limités à réaliser des œuvres ou des interventions plastiques. Certains d’entre eux ont « mouillé leur chemise », et de diverses façons, pour faire connaître ce mouvement niçois. Parmi ceux-ci, les uns se sont contentés de faire des happenings comme Serge III ou Pinoncelli, d’autres ont usé de leur notoriété, notamment à l’étranger, pour faire parler d’eux et de l’Ecole. Ce fut surtout le cas d’Arman. Klein qu’on avait récupéré dans cette mouvance après son décès servit toujours de « phare » ou de « grand frère »… D’autres encore eurent d’autres positionnements. Prenons quatre exemples, parmi les plus significatifs, les plus impliqués : Sosno, Ben, Alocco et Mas.

Sacha Sosnovsky

Sosno dans les années soixante

Sosno, de son nom Sacha Sosnovsky, fit la connaissance d’Yves Klein et d’Arman dans les années cinquante. Leur rencontre lui fait brûler la majorité de ses toiles "abstraites" de l’époque ! Toutefois, avant de devenir l’artiste que l’on connaît, Sosno travaillait comme journaliste et photographe.
Et en 1961, il crée avec Alex Lauro, la revue Sud-Communications. Dans le numéro de juin de la même année, il énonce la première théorie de "l’Ecole de Nice"… non pas en tant qu’artiste mais comme chroniqueur. Pour lui, « L’ECOLE NIÇOISE veut nous apprendre la beauté du quotidien. FAIRE DU CONSOMMATEUR UN PRODUCTEUR D’ART. »

C’est en 1959 qu’Arman accomplit son grand geste en S’APPROPRIANT LES POUBELLES. Depuis longtemps, ce peintre avait été fasciné par les déchets, les ordures, les papiers gras, les objets abandonnés, déjà utilisés par des artistes comme Kurt Schwitters, Duchamp, Arp, Picabia, mais dans un esprit tout à fait différent. Arman n’utilise plus ces objets d’une manière littéraire et analogique, mais bien pour ce qu’ils sont en soi, en les mettant EN VRAC dans des cuves de verre (Exposition de Dûsseldorlf en 1960).

Il s’aperçut aussi du pouvoir étrange de L’ACCUMULATION d’un même objet dans une cuve. Et il émit alors le postulat suivant : « Mille ressorts de montres sont plus ressort de montre qu’UN ressort de montre ». Maintenant ses oeuvres se vendent aux alentours du demi-million d’anciens francs.

Martial Raysse lui, a été, après de solides études secondaires, étudiant en lettres et aussi champion d’athlétisme. Il abandonna la littérature pour la peinture et en quelques années il arriva à être un des meilleurs peintres abstraits sur la Côte d’Azur et ses oeuvres commençaient à avoir une excellente cote quand il remit toute sa carrière en question, fasciné par la beauté brute du plastique, beauté existant tout naturellement DANS LES OBJETS LES PLUS USUELS. Les grands magasins à prix uniques devinrent son royaume. Un quart d’heure avant l’ouverture de son exposition à Milan (1961), toutes ses oeuvres en plastique étaient vendues à des collectionneurs. Il confirma ainsi pour sa part LA THEORIE DE L’ECOLE DE NICE SUIVANT LAQUELLE LA VIE EST PLUS BELLE QUE TOUT.

A notre époque, des Niçois comme Jefe et surtout Ben se livrent à des travaux d’une grande importance théorique, particulièrement Ben avec ses Écrits où il renouvelle, en les trempant dans le réel, les procédés de peinture lettriste.

L’ECOLE NIÇOISE veut nous apprendre la beauté du quotidien. FAIRE DU CONSOMMATEUR UN PRODUCTEUR D’ART. Une fois qu’un être s’est intégré dans cette vision, il est très riche, pour toujours. Ces artistes veulent s’approprier le monde pour vous le donner. A vous de les accueillir ou de les rejeter.

- Sacha Sosnowsky
In Sud-Communications
n°108 bis, 1961

Et tout au long de sa carrière, Sosno aura le souci en plus de parler de son œuvre de présenter les artistes de l’école de Nice. Il avance même une liste par générations :
« Yves Klein, Arman, Martial Raysse (1ère génération) et Ben, Malaval, Venet, Fahri... (2ème génération), je me situe dans cette deuxième génération. ». Pour lui, la troisième génération comprenait : Alocco, Cartier, César, Chacallis, Charvolen. Chubac, Dolla, Flexner, Gilli, Isnard, Maccaferri, Mas, Mondonça, Miguel, Nivese, Pagès, Pinoncelli, Rottier, Serge III, Sosno, Venet ».?

Il ajoute même :
« On aurait pu rajouter entre autre : Biga, France Raysse, Conodom, Taride, Vernasse, Cane, Tasic, Ultra Violet, Delich, Boisgontier etc...etc... (le groupe B.P... le groupe Support-Surface peuvent être considérés comme des "astronomes" de l’Ecole de Nice...) ».

Notamment à son sujet, il multipliera les articles et les interviews :
Dès que l’on présente des peintres d’avant-garde Niçois, le terme d’Ecole de Nice semble s’imposer à tous. »
Sosno.

« Tout le monde verra une sculpture de Martial Raysse dans un rayon de magasin à prix uniques, toutes les ménagères auront des Arman dans leurs poubelles, et les ouvriers
des concerts dans leurs usines »
Sosno

Attention : Ecole de Nice ! Une anomalie statistique...

L’école de Nice est une anomalie ; c’est d’abord une anomalie statistique : pourquoi cette région depuis 1961 produit-elle 40% de la peinture et de la sculpture européenne ? Personne ne répond exactement encore à cette question. Peut-être est ce parce que l’Ecole de Nice est toujours vivante ? Nous en sommes en effet à la 8ème génération depuis 1961.

En juin 1961, j’ai présenté une première théorie (1) sur l’Ecole de Nice axée sur Yves Klein, Arman, Martial Raysse (1ère génération) et Ben, Malaval, Venet, Fahri... (2ème génération). Je me situe dans cette 2ème génération. Ai-je élucidé le "pourquoi Nice ?
Une explication est la qualité de la lumière et de l’environnement. Mais le soleil brille aussi à San Remo à Toulon ou à Perpignan...(2) Ensuite, tous les artistes contemporains travaillent plutôt à la lumière électrique, et leurs ateliers sont très souvent tournés vers le Nord !
Alors serait-ce le mécénat local ? Non, il n’y a que depuis 3 ou 4 ans que des collectionneurs locaux ont émergé et que les pouvoirs publics ou municipaux aident l’art contemporain, aucun niçois n’a jamais acheté un Matisse ou un Klein. Or un "relief éponge" est coté aujourd’hui 2 à 3 millions de dollars...

Vues mais pas connues...
Une autre explication serait la présence sur la Côte d’Azur de Picasso, Matisse, Léger, Renoir, Chagall, Bonnard...Mais cela n’est toujours pas la raison car l’Ecole de Nice avait peu de contacts avec eux sinon aucun. Par ailleurs, on peut se demander pourquoi ces grands maîtres du passé sont venus travailler et, souvent, mourir ici ? Le mystère reste entier.
Ensuite, on peut remonter aux Russes et aux Anglais qui ont fait au 19ème siècle le Nice moderne. Et pourquoi pas aux Grecs et aux Romains qui l’ont fondé dans l’Antiquité ? Et là, on n’aura rien expliqué du tout.
L’autre anomalie de L’Ecole de Nice est que contrairement à l’Ecole de Barbizon, aucune œuvre d’un artiste ne ressemble à celle de l’autre. L’Ecole de Nice, depuis 61, a illustré tous les courants de l’art moderne, par exemple le pop art, les nouveaux réalistes, Fluxus, l’art brut ou les néo-classiques.
Quelle luxuriance !
Nous nous trouvons face à un phénomène étrange qui jusqu’à ce jour n’a été analysé ni par les historiens d’art ni par les experts. Ce qui a permis au grand critique d’art américain Robert Pincus-Witten de dire "l’Ecole de Nice : The missing book".

-  Sacha Sosno, ?St Romain de Bellet, in Art-Sophia, 1998

(1) Revue "Sud-Communication" Juin et Octobre 1961.
(2) Et il n’y a pas d’Ecole de Marseille, d’Hyères, de Nîmes ou Gêne (malgré la présence d’individualités fortes).

Sosno, Hôtel Elysée-Palace, Nice (photo Séverine Giordan)

Et BEN…

Ben et l’entrée de sa boutique dans les années soixante

Ben fut de tous les combats ! A partir de 1962 et jusqu’en 1970, la rue Tondutti de l’Escarène où se trouvait le magasin de disques de Ben était le « passage obligé ». Il fut un lieu incontournable de rendez-vous, de rencontres et de discussions pour les artistes et futurs artistes de l’Ecole de Nice.
Ben se trouve toujours sur le trottoir, sa caisse autour de la taille ; il surveille les étalages de disques et fouille à la sortie. Il interpelle et provoque au passage ; les jeunes artistes viennent s’y frotter. Souvent, ils attendent la fermeture pour aller boire un pot dans un bistrot pas très loin, l’Eden Bar.

Parallèlement, Ben et Robert Erébo édite la revue « Ben Dieu » avec le chapitre : « Moi, Ben, je signe ». C’est une liste de déclarations d’appropriations. Venet, Alocco, Massa (dit Jean Mas) et bien d’autres se sentent pousser des ailes à son contact. Ben les parraine, les entoure et les encourage. Serge Oldenbourg (dit serge III) fauché lui « vend son âme » pour 20 F !

Ben, moi Ben Je signe,

Ben, Bozzi, Erébo, Pontani, Dany Gobert et Annie fondent le Théâtre Total. Et de 1963 à 1965, ce seront des « pièces de rue » sur la Promenade des Anglais, ainsi que de nombreuses interventions chez Emmaus (à Saint André qui ne s’appelait pas encore de la Roche) et à la gare SNCF.
Ben est partout : Ben traverse le port de Nice à la nage. Ben signe Nice comme oeuvre d’art ouverte, avec vente de terre sur le Mont Boron. Sur invitation de Jacques Lepage et Paul Mari, alors maire, Ben, Maciunas, Erébo et Bozzi donne un concert Fluxus dans le village de Coaraze.
Cette animation permanente menée par Ben et ses acolytes fait connaître l’Ecole de Nice. Pas à Nice… le climat social est encore trop décalé, mais par le monde artistique. Le célèbre critique d’art, qui a défendu avec passion l’art contemporain dans les colonnes de l’Express pendant un quart de siècle lui consacre un article. Les actualités Gaumont réalise un film sur Nice avec Arman, Ben, Raysse, Gilli, Venet et Fahri. Jacques Lepage écrit dans les Lettres Françaises.

Dernière rétrospective de Ben (Lyon 2010)

Infatigable, Ben, à travers ses interventions et les « expositions » qu’il organise dans sa boutique « la Galerie Ben Doute de Tout » continuera à faire le tam-tam avec obstination sur l’Ecole… jusqu’à aujourd’hui… avec ses expositions , sa deuxième boutique –« le Centre du monde » rue du lycée à Nice, "le Centre du monde" dans les années 95, ses rétrospectives et son site où l’Ecole de Nice reste un élément central.

Page de garde du site de Ben http://www.ben-vautier.com/
Page spéciale Ecole de Nice

Suite dans la prochaine chronique… avec Alocco et Jean Mas.

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SUPPORTS/SURFACES et l’ÉCOLE DE NICE

Le contexte

Fin des années 60 : le groupe Supports/Surfaces apparaît dans un contexte où ce n’est plus seulement le sujet de la peinture qui est mis à mal mais le support et le processus de réalisation de l’œuvre elle-même. Réalismes et abstractions sont rejetés d’une même voix, même si certains peintres américains sont reconnus. On fait appel à la linguistique, au structuralisme et aux écrits de Barthes qui sont à la pointe de la pensée ; c’est dans cet esprit de revendications qu’apparaissent, de nouvelles interrogations sur le statut de la peinture avec Supports/Surfaces Certains artistes, futurs membres du groupe, résident à Nice ou dans les environs.

Claude Viallat est professeur à l’Ecole des Arts Décoratifs de Nice, Noël Dolla, Bernard Pages résident à Coaraze puis à Contes, Toni Grand, Patrick Saytour et Marcel Alocco à Nice, alors que Louis Cane est né à Beaulieu-sur-Mer ; dès 1966, ils organisent des manifestations le plus souvent en extérieur et en province. En 1967, le 5ème Festival des Arts Plastiques de la Côte d’Azur présente, à Nice et Antibes Vincent Bioulès, Pierre Buraglio, Daniel Dezeuze et Claude Viallat. Les rencontres de Coaraze, organisées par Jacques Lepage, permettent les interventions in situ de Dezeuze, Saytour, Pagès, et Viallat. Noël Dolla peint des rochers au col de l’Authion dans la série de ses Restructurations, et les manifestations liées à la matérialité de la peinture se succèdent.
Supports/Surfaces est officiellement fondé en 1970, lorsque ce terme, sur une idée de Vincent Bioulès, apparaît afin de titrer l’exposition organisée à l’ARC à Paris.
Suite sur la démarche Supports-Surfaces dans la prochaine chronique

Louis Cane, un Supports-Surfaces

Démarche et évolution

Louis Cane né en 1943 à Beaulieu-sur-mer, entre à l’âge de 18 ans à l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs à Nice puis celle de Paris. Il côtoie alors les futurs membres de Supports/Surfaces et d’autres artistes de la région, participe aux manifestations en plein air tel que Impact à Céret en 1966 aux côtés du critique Jacques Lepage, Viallat, Ben, Gilli, Gette, BMPT et Fluxus. L’année suivante, il expose, aux côtés d’Arman, et d’artistes de l’École de Nice’ au Hall des Remises en question, à Nice, une toile estampillée d’une série de tampons Louis Cane Artiste Peintre. Revendiquant son statut de peintre, il nie dans un même temps le geste expressionniste de l’artiste. Avec la série des Papiers collés (papiers peints, découpés puis recollés sur une feuille de papier), les Tampons, qui rappellent les Cachets d’Arman ou les impressions de tôle ondulée de Pincemin, annoncent la démarche de l’artiste fondée sur le recouvrement distanciée de la surface, le pliage et la découpe de la toile libre.

Dès les prémices de Supports/Surfaces, Louis Cane se situe au cœur des tensions politiques et théoriques qui sous-tendent le groupe. Lors de l’exposition Supports/Surfaces qui a lieu au musée d’Art Moderne de Paris, à l’ARC, en 1970, Cane, évincé par Viallat, distribue un tract mettant à jour les différents dans les démarches des protagonistes. L’année suivante, il fonde Peinture, cahiers théorique, réalise ses premières expositions personnelles à Paris (galerie Yvon Lambert et Templon) et participe aux deux dernières expositions collectives du groupe, malgré les divergences. Pendant cette période, Louis Cane réalise des séries de toiles abstraites (Toiles découpées, Toiles au sol, Sol-Mur), très influencées par les grands formats de la peinture américaine et le travail au sol de Pollock. Il travaille la découpe de la toile libre non apprêtée et la présente repliée, à la fois au mur et au sol, dans une réflexion sur l’espace pictural et la remise en question de la perspective. Le champ coloré se réalise chez lui par la couleur pulvérisée au pistolet et son imprégnation sur la toile.
Ses voyages en Italie, entre 1973 et 1976, vont être d’une influence décisive sur son œuvre. Peu à peu, l’élément figuratif est réintroduit et il se tourne résolument vers la figuration et la relecture de la tradition. Travaillant à la fois la peinture et la sculpture, il revisite les grands thèmes de l’histoire de l’art comme l’Annonciation, reprend son compte des tableaux célèbres (le Déjeuner sur l’herbe de Manet, les Nymphéas de Monet au début des années quatre-vingt-dix ou encore Les Ménines de Vélasquez, revues et corrigées par Picasso). Les femmes aux corps dénudées et torturées de Picasso sont également omniprésentes. Tout comme de nombreux artistes révolutionnaires à la fin de leur carrière, Cane se tourne vers un travail volontairement citatif.

Louis Cane, Toile découpée, 1971, Huile sur toile, 240 x 189 x 98 pour l’ensemble, 240 x 189 cm au mur, 98 x 107 cm sur le sol, coll. Centre G.Pompidou, Paris (photo Séverine Giordan)

Pour en savoir plus
Alain Biancheri, André Giordan et Rébecca François (2007), L’école de Nice ; Collection Giordan-Biancheri, Ovadia Editeur, Nice.
http://www.leseditionsovadia.com/bo...

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