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ECOLE DE NICE - CHRONIQUE 31 : Deux autres exemples d’Atypiques - Chronique Bimensuelle sur l’Ecole de Nice - par André Giordan et Alain Biancheri pour Art Côte d’Azur

Résumé des chroniques précédentes

Les artistes « atypiques » qui ont travaillé ou travaillent à Nice ou dans la région sont nombreux… Difficile de les classer comme aiment le faire les critiques d’art, de les catégoriser dans une seule direction ou de trouver une convergence entre eux. La richesse de ce supposé groupe, et par là de l’Ecole de Nice, tient justement dans leur diversité, tant dans leurs processus que dans leurs productions. Plutôt que de chercher un dénominateur commun, illustrons cette grande disparité.

Prenons à nouveau deux artistes atypiques de L’Ecole de Nice que le « monde de l’art » n’honore pas de la même façon. Ce sera André Villers et Sosno cette fois ; tous deux ont leur originalité propre et présentent différentes facettes de cette mouvance dans l’Ecole.

André Villers

Né à Beaucourt (Territoire de Belfort) en 1930, c’est à Vallauris qu’André Villers « apprend » la photographie. Suite à une tuberculose osseuse, il reste hospitalisé huit ans au sanatorium de Vallauris sur les Hauts de Cannes. Il y rencontre Picasso en 1953, qui lui offre son premier rolleiflex.
« C’est moi qui t’ai mis au monde » dira plus tard Picasso. André Villers fera des milliers de portraits de Picasso, de 1953 à 1961. Nombreux sont toujours présentés au Musée de la photographie de Mougins .

André Villers, André Villers et Picasso, 1956

Les deux hommes vont même créer des œuvres à « quatre mains » : des photographies prises par Villers, sont découpées par Picasso, puis à nouveau reprises par le photographe au cours d’un travail de laboratoire.

André Villers, Picasso et les tournesols, 1962

Tout en continuant sa collaboration avec Picasso, André Villers continue à s’illustrer par son art du portrait. Il exécute de nombreux portraits d’artistes , y compris de l’Ecole de Nice. Il mène souvent sa recherche artistique comme un dialogue.

André Villers, Ben, 2006

Parallèlement à ses portraits, il crée lui même ses négatifs à partir de morceaux de papiers calques. Une série sera exposée, présentée ensuite dans un livre, Pliages d’Ombres (1977), accompagné d’un poème de l’écrivain niçois Michel Butor.

André Villers, Pliages d’ombre, 1977

Enfin, dans les années 1980, il produit une série importante de cartons peints "Les Photographes", exposés à Paris, Tokyo et New York par la Galerie Yoshii.

André Villers, Photographes stupides,
(1998, Collection Alain Amiel, photo Séverine Giordan)

Depuis les années 2000, André Villers réalise des séries de papiers découpés.

Sacha Sosno

De son vrai nom Alexandre Joseph Sosnowsky, Sacha Sosno est né à Marseille en 1937 ; il revient dans la ville natale de sa mère, Nice, en 1945. Après une rencontre avec Matisse, il se lie avec Klein et Arman en 1956. Le choc est frontal ; cette rencontre lui fait brûler la majorité de ses toiles "abstraites" de l’époque, comme il se plaît à le dire !
Dès le début des années soixante, Sosno défend en tant que journaliste l’identité d’une « Ecole de Nice » ; il s’en fait même le porte-parole. Il participe alors à la revue Sud Communications, dans laquelle il signe en 1961 un article qu’il veut fondateur pour l’Ecole de Nice. C’est la première théorie de "l’Ecole de Nice". C’est également le début de son amitié avec Martial Raysse.

Sacha Sonovsky écrit dans le mensuel niçois Sud Communications
(N°108 bis, juin 1961), un article intitulé Tendances du nouveau réalisme niçois,
où il parle « d’Ecole Niçoise ».

Il travaille alors dans la presse, l’imprimerie et devient auteur ou chroniqueur pour des émissions de télévision. Il prend goût au monde de l’image et se met à parcourir le monde. Son travail de photographe de presse l’amène à devenir reporter de guerre en Irlande, au Bangladesh et au Biafra. Il publie un livre : Biafra, proximité de la mort, continuité la vie, Editions Fayard (1969).

En 1969, il s’installe dans le quartier de Montparnasse à Paris et participe aux débuts de l’art vidéo et au mouvement d’art sociologique, en interaction avec Bernard Teyssèdre, Fred Forest, Serge Oldenbourg, Nil Yalter ou encore Muntadas. Il réalise quelques performances ; il peint surtout sur toile photographique.

Sosno, tel qu’il se présente actuellement sur son site
http://www.sosno.com/

Lors de sa première exposition personnelle au Studio Ferrero en 1972, Sosno présente une série de photographies de guerre masquées par des vides, des pleins ou des plaques. Cette occultation de certains détails va lui révéler la problématique de « l’oblitération ».
Après trois années de voyage à nouveau de part le monde sur un voilier, il rentre à Nice et s’attaque à la sculpture avec des objets de la société industrielle qu’il oblitère.

Sosno, Magnétophone oblitéré, 1979
Sosno, Coupé grand air, 1979

Dans les années quatre-vingt, il s’attache au thème de l’antique et développe la notion d’archétype.

Entre 1986 et 1988, il se lance alors dans plusieurs grands projets de sculpture en relation avec l’architecture. Il réalise avec l’architecte Georges Marguarita pour l’Hôtel Elysée Palace, à Nice, un bronze de 19 mètres de haut enchâssé dans 420 tonnes de granit !

Sacha Sosno, Bronze, l’Hôtel Elysée Palace (photo Séverine Giordan)

Par ces gestes « d’oblitération », l’artiste occulte pour mieux révéler. Le spectateur est alors appelé à reconstruire l’image, à faire appel à sa mémoire ou à son imagination. Par ce travail de reconstitution mentale, c’est le public qui fait l’œuvre... De nombreuses sculptures « in situ » signalent sa présence devant les sites les plus représentatifs de la ville et du département : Bibliothèque Nucéra, préfecture, champ de course de Cagnes, tout en exposant et en travaillant de part le monde : Saint Pétersbourg, Pékin.
De la photographie, Sosno a conservé et appliqué les notions de cadrage et de point de vue.

Sacha Sosno, Tête au carré, 310 cm, Marbre blanc,1991

Sa rencontre avec le philosophe Emmanuel Lévinas donnera lieu à l’édition d’un livre De l’oblitération, avec Françoise Armengaud (Ed. "La Différence" Paris).

« L’art d’oblitération, oui, ce serait un art qui dénonce les facilités ou l’insouciance légère du beau et rappelle les usures de l’être, les "reprises" dont il est couvert et les ratures, visibles ou cachées, dans son obstination à être, à paraître et à se montrer.
L’oblitération interrompt le silence de l’image. Oui, il y a un appel, du mot, à la socialité, l’être pour l’autre. Dans ce sens-là, évidemment, l’oblitération nous mène à autrui. »
Emmanuel Levinas, De l’oblitération, Entretien avec Françoise Armengaud.
Editions La Différence. Paris. 1990-1998

Aujourd’hui, toujours ardent défenseur de l’Ecole de Nice, il vit et travaille à Nice, sur les collines de Bellet auprès de ses vignes.

« Ce foisonnement créatif dans le Comté de Nice depuis 1960 est unique sur le plan de l’exagone (sic) et de l’Europe, (rapport extraordinaire entre les créatifs et le nombre d’habitants). Prolifération artistique à caractère non pasteurien, car nous n’en trouvons pas les germes ; difficulté qui entraine certains pauvres d’esprit à nier l’existence même de ces mouvements ; par exemple J.L. qui ayant raté les publications afférentes au groupe Support-Surface n’a jamais pu rattraper le train des Ecoles de Nice ou P.R le critique et vieillard parisien qui croit défendre son intérêt de classe en nous niant, (notons en passant que les 3 forces vives du Nouveau Réalisme en 1960 était Yves Klein, Arman, Martial Raysse, tous Niçois).

En contraste, on trouve des êtres comme Alexandre de la Salle qui par ses expositions répétées (et avec des sélections différentes illustré la Vitalité du mouvement, à travers des décennies ; comme Jacques Matarasso qui, par les livres surtout, a éduqué les artistes locaux : comme Frédéric Altman qui intuitif et courageux, par ses préfaces et articles dans "Nice-Matin" entre autres, a illustré semaine après semaine la vie artistique de ce département et dont la documentation, écrite ou photographique est incontournable.

Comme les critiques Avida Ripolin, Sam Hunter, Robert Pincus-Witten, comme Marcel Alocco qui a pu s’abstraire, un moment, de sa propre pratique, pour brosser un panorama de ses collègues artistes niçois, comme même Edouard Waldman et son "roman" : et que dire de la ténacité d’un Jean Ferrero qui depuis 1972 diffuse sur le marché de l’art les œuvres de presque tous ; l’éditeur Alain Amiel dont l’audace est constante et "La Sorbonne" qui donne l’hospitalité à chaque nouveauté, etc... etc...

Les Ecoles de Nice prouvent leur existences même en marchant à travers le monde ; six Musées Internationaux (U.S.A., Corée, Japon, Chine), à mon initiative, ont consacrés des expositions éclairantes sur ces francs-tireurs de l’art- et ce n’est point fini. La 8ème génération des Ecoles de Nice arrive avec des jeunes artistes talentueux, attention...attention... »

Sacha Sosno, St Romain de Bellet (1998)
http://www.artsophia.com/ecolenice/...

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Pour en savoir plus...

A. Biancheri, A. Giordan, R. François, L’Ecole de Nice, Ovadia, 2007

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