Clarisse, femme d’une quarantaine d’années, s’en va vers une nouvelle vie en abandonnant, du jour au lendemain, mari et enfants. Pas un mot d’explication et aucune nouvelle par la suite. Rien. Restée dans une totale incompréhension, sa famille va tenter d’apprendre à vivre sans elle.
D’abord, on voit l’intimité, avec ses bruits et ses silences, d’une vaste maison, cocon protecteur d’une famille constituée d’un couple avec deux enfants vivant à la campagne. Le gris du ciel et des montagnes alentour accentue la mélancolie qui semble régner. Et la douceur des morceaux de piano interprétés par la fille, l’aînée des 2 enfants qui étudie la musique, ajoute aussi une émotion morose.
Cette fuite, c’est pour tenter de renaître, de se réparer, mais avec quels « bricolages » pourrait-elle y parvenir ? Elle prend sa vieille voiture pour partir sans savoir où aller, et traverse la France pour voir la mer, histoire de se fixer un but. Elle veut se sauver de la folie et tente de se consolider en fuyant. Dans son désarroi, elle provoque une grande émotion au spectateur. Pourquoi part-elle ? Un moment de folie peut-être, de désordre mental, de souvenirs envahissants vrais ou faux ?
Mais part-elle vraiment ? Même si elle s’éloigne, elle reste bloquée par ses souvenirs, par ses pensées qui ne décrochent pas vraiment de son foyer familial, imaginant la vie sans elle de son mari et ses enfants, et elle manifeste ainsi une sorte de déni de son acte. Dans son ambivalence, elle reste en contradiction avec son désir et ne sait pas ce qui pourrait réellement la satisfaire. Elle voudrait changer de vie, mais pour quelle autre ?
La quête de Clarisse dépasse celle de simplement quitter sa famille. Sa mémoire s’emplit de confusion. Le temps linéaire n’existe plus : tout est brouillé, emmêlé... Cette femme attachante entraîne le spectateur dans une logique chaotique très personnelle de – vrais ou faux – souvenirs.
Mathieu Amalric ne néglige rien de la difficulté de cette situation en s’attachant aussi au mari et aux enfants. Dans sa mise en scène, il joue alors avec l’espace et le temps et accorde une grande importance aux détails, tels les souvenirs qui s’inscrivent dans des objets. Mais, dès le premier tiers du film, le spectateur se retrouve plongé entre réalité et fiction, où tout reste brinqueballant.
La lumineuse actrice luxembourgeoise, Vicky Krieps, interprète cette femme incertaine avec une grande sobriété, tour à tour déterminée ou vacillante. Elle semble mener dans sa tête cette situation forgée par elle, sans situer quel est son désir. Son mari, un tendre nounours, est parfaitement incarné par Arieh Worthalter (vu dans « Girl »).
La musique tient une place importante.
Etudiée par la fille qui répète inlassablement « La lettre à Elise » de Beethoven, auquel s’ajoute Ravel, Debussy, Rameau,... donnant encore davantage de mélancolie et d’émotion.
D’abord comédien, Mathieu Amalric est cependant, avec « Serre moi fort », réalisateur pour la 7ème fois. Citons « Tournée » (en compétition à Cannes en 2010) et « Barbara » (2017), faux biopic de la célèbre chanteuse en partie interprété par Jeanne Balibar.
« Serre moi fort » a été présenté dans la nouvelle sélection « Cannes Première » qui réunissait des réalisateurs reconnus dont les films ne pouvaient être présentés en compétition cette année faute de place après 2020 sans festival.
Caroline Boudet-Lefort