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Fin de cet événement Septembre 2018 - Date du 5 septembre 2018 au 30 septembre 2018

Sofia, de Meryem Benm’Barek

Sofia se tait. Elle ne répond pas aux multiples questions qu’on lui pose. Conduite à l’hôpital pour ses plaintes de mal au ventre, elle y accouche aussitôt d’un bébé, alors qu’on la supposait une jeune fille pure.
Que s’est-il passé ? Comment ne s’était-elle pas rendue compte qu’elle était enceinte ? Et pas davantage quiconque autour d’elle ? Qui est le père ?

Le film parle du déni de grossesse de certaines femmes qui refusent d’accepter cette situation.

Ce comportement de négation inconsciente du fait d’être enceinte est une pathologie reconnue et Sofia, jusqu’à ce dernier jour, n’a pas su qu’elle attendait un enfant. Ni son entourage, son ventre ne grossissant pas visiblement.
La jeune fille a nié cette grossesse, suite à un viol qu’elle ne veut pas admettre. Après être restée longtemps mutique, elle invente une histoire impliquant un garçon désemparé. Et toute sa famille en même temps. Au Maroc, l’illégalité d’un enfant hors mariage est interdite et lourdement réprimée. Sofia a donc vingt-quatre heures pour fournir les papiers du père du nouveau-né, avant que les autorités ne soient alertées.

Pour son premier long-métrage, Meryem Benm’Barek dénonce la condition de la femme au Maroc, et plus particulièrement dans la bourgeoisie occidentalisée de Casablanca.

L’intrigue passe du drame familial au drame social, montrant comment les parents de Sofia cherchent à tirer profit de cette situation pour progresser dans l’échelle de leur société en se hissant au rang des plus privilégiés.
Découverte dans « Much Loved » de Nabil Ayouch, Maha Alemi incarne formidablement Sofia, jeune fille effacée, sans rien d’une bimbo ou d’une « star de cinéma », et sans rien de provoquant non plus. Un style de fille qu’on ne remarque pas : discrète dans son physique et sa manière d’être. Il est d’autant plus étonnant de découvrir son comportement malin et manipulateur. Doutant peu à peu de Sofia-victime, le spectateur décèle du mystère dans son regard : ne pourrait-elle être aussi un bourreau ? Avec l’aide de la pression sociale et des codes de ce pays, elle implique une autre victime qui, coincé dans la précarité, n’a pas de choix possible étant en bas de l’échelle économique.

En fait, totalement opaque, Sofia nous reste inconnue du début à la fin, avec des réactions inattendues faisant l’intérêt du film qui ne la lâche pas.

Meryem Benm’Barek montre les mécanismes de classes et la pression qu’exerce la société qui ne conçoit pas de naissance sans mari. Elle a choisi de représenter le milieu le plus traditionnel, avec les conventions que cela implique et mis en opposition avec un milieu plus privilégié représentant le regard occidental porté sur le Maroc. La femme arabe est ici inscrite dans un contexte précis. Le drame familial prend le pas et des enjeux de pouvoir se manifestent entre les personnages.

« Sofia » est un film sobre, sans esbroufe et sans rien de démonstratif. Cette sobriété, la réalisatrice l’a recherchée. Et, elle l’a même revendiquée, en adepte des films des frères Dardenne et de Cristian Mungiu. Réussissant à éviter la caricature de son pays, elle aborde des sujets sensibles : l’interdiction des relations sexuelles hors mariage, la fracture sociale entre riches et pauvres, l’enfermement des femmes, les rôles définis des femmes et des hommes dans un système patriarcal, loin d’être en accord avec l’évolution de la société d’aujourd’hui.
Très applaudi à l’issue de sa projection cannoise, « Sofia » a obtenu le prix du meilleur scénario dans la section Un Certain Regard, au denier Festival de Cannes.
Caroline Boudet-Lefort

Photo de Une (détail) Copyright Memento Films Distribution

Date de sortie en salles : 5 septembre 2018 (1h 20min)
De Meryem Benm’Barek
Avec Maha Alemi, Lubna Azabal, Sarah Perles plus
Genre Drame
Nationalités Français, Qatarien, Marocain

Artiste(s)