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L’ennemi de la classe

Pour son premier long-métrage, Rok Bicek, jeune réalisateur slovène de 30 ans, s’est inspiré d’une histoire vraie qui lui est personnellement arrivée.

Alors que l’enseignante en allemand, douce et compréhensive, part en congé maternité, son remplaçant (Igor Samobor) arrive avec des méthodes totalement différentes.

Très sévère, froid et autoritaire, il resserre le cadre de cette classe qui se la jouait « cool ». A peine installé sur son estrade, il a fort à faire pour rétablir l’ordre tel qu’il l’entend. Plus question de laisser les mots fuser à tout va. Il a le pouvoir et entend le prouver. Il refuse les joutes verbales et fait admettre aux élèves que c’est lui qui commande et que les règles doivent être appliquées à la lettre, sans manquement toléré. Aucun état d’âme ni excuse normale ne peuvent être acceptés. Aucune circonstance – même le décès d’une mère – ne peut être prise en compte. Raide et sec, ce professeur semble dépourvu de toute émotion, mais, s’il feint fort bien en se planquant derrière le masque de l’impassibilité, il est loin d’être indifférent. Il est seulement animé d’une passion pour une certaine éducation scolaire qui lui donne ses propres valeurs auxquelles il s’arc-boute en prenant son travail trop au sérieux.

Une élève introvertie et fragilisée par les critiques va mettre fin à ses jours.

Aussitôt la classe met en cause la responsabilité de l’enseignant pour son harcèlement et la rigidité de ses méthodes de travail. La rumeur s’insinue, se faufile, se répand et s’étale sans pouvoir être maîtrisée. La tension monte et c’est l’escalade qui laisse place à tous les fantasmes. L’enchaînement fatal de malentendus et de quiproquos peuvent mener à des interprétations à la va-vite. Les élèves ostracisent ce prof, qui de bourreau va devenir victime : les rôles peuvent vite être inversés. Bouc émissaire, il sera à son tour harcelé, exclu. Pourtant les apparences sont trompeuses et la vérité éclatera trop tard dans un dénouement inattendu et quelque peu artificiel.

Déjà dans « Entre les murs », Laurent Cantet avait fait prendre conscience du rapport très particulier entre professeur et élèves et des difficultés de tout affrontement entre l’un et les autres.

« L’ennemi de la classe » est une forme inédite de mélodrame grinçant sur la dynamique de groupe dans le milieu scolaire.

Le spectateur ne quitte pas l’enceinte du lycée et la salle de classe est le centre du récit. L’atmosphère y est très particulière créant un malaise dû à la rigidité du professeur qui remplace l’enseignante dont la bienveillance incitait à la décontraction : elle prenait en compte toutes les excuses plus ou moins valables pour s’absenter d’un cours ou rendre un devoir avec retard. Lui refuse d’accepter une éducation trop permissive qui représenterait une démission de sa fonction telle qu’il se l’impose. « L’ennemi de la classe », c’est donc lui et les élèves iront jusqu’à le traiter de « nazi », sans trop connaître le poids du mot.

Le suicide n’est qu’un prétexte sur lequel le réalisateur ne s’attarde pas pour s’intéresser davantage aux réactions déclenchées par les émotions que ce soient celles des élèves, ou celles des parents ou encore celles du corps enseignant dépassé par les évènements.

Personne n’y échappe et personne n’a ni tort ni raison.
Difficile de caractériser dans un genre précis ce film où ce qui domine est une atmosphère vénéneuse et une certaine étrangeté. Peut-on y voir une réflexion sociologique sur la société slovène ? La distribution est excellente avec des acteurs professionnels pour les adultes et de véritables étudiants qui sont totalement en adéquation avec leurs personnages, ce qui ajoute du réalisme à l’interprétation. Avec des gros plans isolant chacun, la mise en scène, glaçante et détachée, correspond au personnage principal.

« L’ennemi de la classe » a été sélectionné aux Rencontres Cinématographiques de Cannes pour son Prix du Public obtenu au dernier Festival Premiers Plans d’Angers.

Toutes photos de l’article : © Paname Distribution

L’ENNEMI DE LA CLASSE De Rok Bicek

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