Toujours contrairement à ses habitudes, Apichatpong Weerasethakul a aussi choisi de tourner « Memoria » avec des comédiens professionnels, tous étrangers et dans des langues et des cultures différentes : la Britannique Tilda Swinton, la Française Jeanne Balibar, l’Espagnol Daniel Guimenez Cacho, le Colombien Elkin Diaz,... Mais, fidèle à son onirisme habituel, pas question de tomber dans une production internationale !
Apichatpong Weerasethakul ne quitte pas sa création coutumière faite d’expériences sans équivalent dans le cinéma contemporain. Avec « Memoria », le spectateur s’engage dans un songe en retrouvant totalement l’univers du réalisateur : le mystère du sommeil, la fragilité de la frontière entre le rêve et l’éveil, le passage de la ville à la forêt, les lieux gardant les traces du passé,... Cependant, cette fois nous sommes loin de l’exubérance et de la moiteur de la végétation thaï ...
Une Ecossaise spécialisée dans la culture d’orchidées (Tilda Swinton) rend visite à sa soeur malade à Bogota où elle se lie d’amitié avec une archéologue française (Jeanne Balibar). Elle entend des bruits inquiétants la nuit, de véritables déflagrations, et son sommeil s’en trouve perturbé... Après avoir exclus folie ou hallucinations, elle cherche à enquêter sur l’origine de ce bruit qui la poursuit partout où elle va et le mystère s’épaissit, car elle est seule à l’entendre. Cherchant jusque dans la jungle un homme qui pourrait la guider dans cette hantise, elle est confrontée à des pierres magiques, à des singes bizarres, à des histoires du passé, à des champignons hallucinogènes, tout un univers de rêve éveillé où le réalisateur mène le spectateur jusqu’à la frontière du fantastique.
"Le travail sur l’image est magnifique"
Comme toujours dans le cinéma d’Apichatpong Weerasethakul (Palme d’or à Cannes en 2010 pour « Oncle Boonmee »), le travail sur l’image est magnifique, mais cette fois il ajoute un travail sur le son entraînant d’autant plus loin chacun dans ce fascinant voyage, véritable trip onirique source de fiction. Un songe autant chargé d’émotion que de pensée, pour éprouver le même vertige existentiel que cette femme. Avec sa présence et son jeu très particuliers, Tilda Swinton entre à la perfection dans l’univers du réalisateur.
En regardant ce film, chaque spectateur peut laisser voguer son imaginaire et créer ainsi son propre film qu’il superpose à celui d’Apichatpong Weerasethakul dont il gardera longtemps des traces.
Caroline Boudet-Lefort