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ECOLE DE NICE - CHRONIQUE 32 : Deux autres exemples d’Atypiques - Chronique Bimensuelle sur l’Ecole de Nice - par André Giordan et Alain Biancheri pour Art Côte d’Azur

Résumé des chroniques précédentes

Les artistes « atypiques » qui font partie de l’Ecole de Nice sont nombreux et divers… Plutôt que de chercher un dénominateur commun, illustrons dans cette Chronique cette grande disparité en mettant une fois encore en parallèle des artistes aux parcours très divers.

Dans l’Ecole de Nice, il est des artistes moins connus, moins repérés… ou du moins repérés uniquement dans un cercle restreint d’amis, même s’ils ne sont pas des moindres. Ce fut le cas d’André Verdet qui resta dans l’ombre des autres artistes avec qui il était lié d’amitié et au sujet desquels il écrivait.
D’autres ont connu jeunes une « gloire » internationale, même si leur destin fut tragique. A 43 ans, Robert Malaval avec un désir constant de se surprendre lui-même et de se réinventer en permanence, se suicide. Il laisse derrière lui une prolifération de matières et un foisonnement de couleurs qui font plonger dans un univers multiple.

ANDRÉ VERDET 1913-2004

Ami d’Arman, d’Yves Klein, puis de Sosno, Gilli, Nivèse, ou encore Ben qu’il a soutenu à leur début, André Verdet est né le 4 août 1913 à Nice. C’était un passionné de musique, féru de sciences, amateur d’astronomie, il est connu pour ses poésies et surtout pour ses essais sur l’art et la peinture : plus de 250 ouvrages publiés...
L’un de ses meilleurs amis était Jacques Prévert, avec qui il travaillait régulièrement. Au cours des années 1940, il se mit lui-même à la poésie et, dans les années 1950, se consacra sur les conseils de Picasso, à écrire des textes sur les « beaux arts », comme on disait alors.

André Verdet et Picasso. Photo André Villers

Il travaillait souvent sur des objets combinant image et mot. Son objectif était de « faire chanter le regard »... Pour le recueil de poèmes Femme multiple par exemple, André Verdet collabora avec Manfredo Borsi, un céramiste d’origine italienne. Ce dernier réalisa pour lui des gravures sur cuivre.

André Verdet, La femme intime
Gravure de Manfredo Borsi pour le livre d’André Verdet,

Par la suite, tout en continuant son travail d’écriture, André Verdet fut également peintre, affichiste, sculpteur et céramiste.

André Verdet, Don Quichotte, affiche

Le dernier hommage à André Verdet

Une centaine de proches, amis et artistes étaient réunis au crématorium de Nice.
Au début de la cérémonie, le « Chant des partisans » dans la célèbre version d’Yves Montand. Et, à la fin de cet émouvant moment de recueillement, la voix de Gilbert Bécaud chantant « II est mort le poète ».
Pendant près de 45 minutes, hier au crématorium de Nice, une centaine de proches, amis, élus et artistes ’" sont venus rendre un dernier hommage à André Verdet tout récemment disparu. Un dernier adieu, en paroles et musiques, au peintre-poète-sculpteur-musicien ayant été dans l’intimité de tant de créateurs majeurs du XXe siècle.
Tout près du cercueil - ceint d’un drapeau tricolore - du défunt, René Buron, maire de Saint-Paul-de-Vence, a raconté l’attachement indéfectible d’André Verdet à son village dont il fut d’ailleurs conseiller municipal. Pierre Albran, ensuite, au nom des déportés de France, a évoqué la mémoire du rescapé de Buchenwald. Enfin, pour la communauté artistique azuréenne, le peintre et critique Michel Gaudet a rappelé, souvenirs personnels à l’appui, la si singulière figure de celui que Pablo Picasso - en personne - avait incité à se servir, à son tour, de pinceaux.
Chansons de Gilbert Trem et Dominique Landucci, poèmes de l’auteur de près de 300 ouvrages lus par Stéphane Mélis : une cérémonie qui, en quelque sorte, brièvement mais intensément, a résumé des décennies d’action et de création. Preuves, selon les orateurs, que l’artiste mort son oeuvre continuera à vivre. G.B.

Parmi les personnalités présentes on aura remarqué aussi le sénateur Pierre Laffitte, le vice-président du conseil général, le Dr Alain Frère, représentant Christian Estrosi, les conseillers généraux Louis Nègre (maire de Cagnes-sur-Mer) et Jacques Victor, le député-suppléant André Bonny représentant Rudy Salles, la conseillère municipale de Nice, Emmanuelle Bihar représentant le sénateur-maire Jacques Peyrat, le maire de Carros, Antoine Damiani, l’ex-ministre des Anciens Combattants, Pierre Pasquini, les artistes Ernest-Pignon-Ernest, Sosno, Franta, Gilli, son éditeur Luciano Melis, etc.

Nice-Matin, Article publié le 9 janvier 2005.

André Verdet, Détours, poèmes, Galilée, Paris, 1985
d’une gravure originale en couleurs de André Verdet

ROBERT MALAVAL 1937-1980

Robert Malaval est né à Nice le 29 juillet 1937. Au travers de séries successives très diverses qui jalonnent son parcours, Malaval, à contre-courant, expose son rapport au monde et présente une réalité fantasmagorique.
Acteur actif de l’art total, son engouement pour la culture rock et la science-fiction vont influer sur son oeuvre. Dès la fin des années cinquante, Malaval participe activement à l’émulation artistique de la région. Il loue avec Ben une cave où ils ouvrent une boîte de nuit, Le Grac, pour écouter de la musique et… draguer !

Malaval débute alors ses recherches sur l’Aliment Blanc, à Vence où il réalise une série d’expositions à la galerie Alphonse Chave en 1962 et chez Alexandre de la Salle à Saint-Paul de Vence en 1965 et en 1966. Rappelant les comportements des vers à soie qu’il a lui-même élevé ou les techniques de carton mâché utilisées par les carnavaliers niçois, cette substance blanchâtre se répand sur des reliefs, des tableaux ou sur divers objets ordinaires : meubles, chaussures...
Le principe de contamination ou de prolifération qui domine dans cette série traduit le grouillement et l’envahissement physique de la réalité quotidienne, avec ses angoisses et ses fantasmes sur notre propre corps. Tantôt sacré, tantôt profane, tantôt sublime, tantôt pourri, l’Aliment Blanc a sa propre autonomie à tel point que l’on se surprend parfois à le considérer comme une créature vivante, organique et mutante.

Robert Malaval, Le véritable aliment blanc, quelques temps après, 1961

« L’aliment blanc était une métaphore. En dehors de son origine obsessionnelle et névrotique, je me suis vite rendu compte que ça exprimait autre chose. C’est à dire que derrière l’idée de grouillement organique que je représentais, se profilait à mes yeux le grouillement qui est le propre de notre société et contre lequel je me suis toujours révolté. »

Robert Malaval

Robert Malaval, Aliment blanc cultivable, femme assise, 1964
(Exposition Robert Malaval, kamikaze au Palais de Tokyo, 2005)
Robert Malaval, La roue, 1969, gravure

Après une série de moulages de corps sur polyester peint intitulée Rose Blanc Mauve, qu’il expose en 1967 à la galerie Yvon Lambert à Paris, il réalise de 1970 à 1973 un livre sur ce qu’il considère comme « le plus grand groupe qui ait marqué la musique, la poésie et le rock’n’roll dans ces dernières années », les Rolling Stones mais ne trouve pas d’éditeur.
Souvent qualifiée de pop, pour son inspiration et ses thématiques, son oeuvre demeure marginale et singulière. Il est un des rares à cette époque (avec le pop artiste anglais Richard Hamilton) à introduire la culture rock et la science-fiction dans son travail . En cela, il annonce les années quatre-vingt, où la culture underground envahit le champ de l’art.

Robert Malaval, 1970

En octobre 1971, la manifestation Transat-Marine-Campagne Rock’n’roll & 100 demi-heures de dessin quotidien, qui a lieu au CNAC de Paris et qui déborde sur le jardin de la rue Berryer démontre l’aspect prospectif de l’oeuvre de Malaval. L’artiste met en place des « environnements visuels et sonores » qui annoncent les expositions participatives et constitutives de l’oeuvre d’art des années quatre-vingt-dix.

« Je me suis mis à peindre comme on fait des chansons : je joue un dessin, je le chante »

« Mes tableaux sont comme des chansons ou des morceaux de musiques. »

« J’ai eu envie de faire des toiles qui soient aussi rapides, aussi instantane ?es que la musique [...] Je me suis mis a ? peindre comme on fait des chansons, je joue un dessin, je le chante. »

Robert Malaval

Des bandes sonores composées de bruits réels capturées, des effets lumineux et des dispositifs conviviaux (flippers, distributeurs de boisson, juke box, chaises longues, téléphones) créent une atmosphère « galactico-rock transcendantale », selon les mots de son célèbre ami Jean-Charles Castelbajac.
A cette époque, il réalise plusieurs expositions à la galerie Daniel Gervis dans la capitale dont Été pourri peinture fraîche, en 1972 et Multicolor en 1973 où l’on voit apparaître pour la première fois, un des ses matériaux fétiches : les paillettes.

A une époque, où la peinture est mise à mal par ses pairs, Robert Malaval débute une série de toiles intentionnellement décoratives, abstraites et cosmogoniques qu’il présente, dès 1974, à la galerie Sapone à Nice sous le titre Poussière d’étoiles. Avec des couleurs fluorescentes, enrichies de paillettes, la couleur devient poussière céleste étincelante. Les bleus, comme chez Yves Klein, évoquent l’immensité du ciel alors que les noirs nous parlent de l’infini de l’univers. Ici encore l’on retrouve cette volonté de sublimer la vie quotidienne. D’ailleurs, en 1972, il participe au concours « Evry 2 ville nouvelle » avec l’architecte Claude Bernard avant de préparer, deux ans plus tard un projet d’environnement visuel et sonore pour le parvis de la Défense.
De 1975 à 1977, il développe ses talents d’écriture et réalise la fameuse série, Kamikaze fin du monde à partir d’une édition de sérigraphie sur tee-shirt, réalisé avec Bernard Carasso, fondateur de la « Maison Bleue ».

Robert MALAVAL, détails
Robert Malaval, disposant ses paillettes, dans son atelier au 15 rue du Pont Louis-Philippe

A la fin des années soixante-dix, il se retire à Carrières-sur-Seine avec des amis musiciens et réalise la série Pastel Vortex avant de mettre un terme à sa vie, à Créteil, en août 1980.

Robert Malaval, Rouge, blanc, bleu, 1980
Robert Malaval, Massacre à Créteil, 1980

Depuis, de nombreuses expositions reviennent sur cet artiste underground, prolifique, et cependant en marge du monde de l’art et des pratiques contemporaines. En 1981, une rétrospective est organisée à l’ARC2 alors que l’année suivante, la galerie d’Art contemporain des musées de Nice lui consacre une
exposition intitulée Paillettes. En 1995, le Mamac de Nice lui rend hommage au travers une exposition rétrospective. En effet, l’oeuvre de Malaval oeuvre prend ses sources dans la région : c’est à Vence, que naît l’Aliment Blanc et à Nice que les paillettes apparaissent dans ses toiles.

Robert Malaval, Corps féminin, série Rose-blanc-mauve. Mamac

Ses expositions tant personnelles que collectives, auprès de Ben ou Gette, inscrivent son oeuvre et son parcours dans sa ville natale ; et en font un membre charnière de l’Ecole de Nice. En 2005, au Palais de Tokyo, Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans, lui consacrent une exposition ambitieuse, Robert Malaval, kamikaze qui retrace le travail résolument visionnaire de cet artiste décalé.

Robert Malaval, Etude pour un char de Carnaval pour le carnaval de Nice, présentée à l’exposition Robert Malaval, kamikaze au Palais de Tokyo (2005).

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Pour en savoir plus

A. Biancheri, A. Giordan, R. François, L’Ecole de Nice, Ovadia, 2007

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