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ARDOISE LITTERAIRE : Le Rouge et le Noir - Par Jean-Jacques Ninon pour Art Côte d’Azur

Le Rouge et le Noir, Stendhal, 1830

Voici encore un être paradoxal, mais quel homme de plume ne l’est-il pas ? Un écrivain, né Marie-Henri Beyle (1873-1842), collectionne près d’une centaine de pseudonymes pour aligner des œuvres sur la musique, la littérature, la peinture, les voyages, son autobiographie. Et connaître la gloire tant convoitée sous celui de « Stendhal » (prononcer « Standal », comme il l’aurait voulu) avec seulement deux romans et demi (passons Armance) : Le Rouge et le Noir, La Chartreuse de Parme et Lucien Leuwen, inachevé. Cela tient du caméléon. Et là, réside sa singularité. Car comment être protéiforme et revendiquer conjointement, en épigraphe du premier écrit, une parole de Danton : « La vérité, l’âpre vérité ».

Parce que sa vie est un roman. En tout cas, ainsi échafaudée. Il hait son père avocat et monarchiste, sa tante, les religieux et la religion. Il a le goût de l’uniforme et une passion immodérée pour Napoléon Bonaparte dont il rejoint l’armée à seize ans ; ce qui le mène à ses autres passions, l’Italie et les voyages. Ainsi que les femmes, qu’il adore séduire, malgré un physique désavantageux ne l’y prédisposant pas :
« Un vieillard, qui l’avait vu en 1840, me parlait de Stendhal, voilà quinze ans, et le peignait ainsi : gros et court, un homme aux gestes trop vifs pour sa corpulence ; l’air avantageux, le torse en avant, ne voulant pas perdre un pouce de sa taille ; attentif par-dessus tout au ridicule de paraître vieux et de ne point consentir à l’être ; hardi par timidité ; franc railleur et d’humeur souvent chagrine ; inquiet d’être à la mode, de faire belle figure, et préoccupé de sa laideur jusqu’au tourment. Il était laid pour la plupart des gens, et prêtait à sourire aux femmes. Il portait perruque et un toupet de cheveux bouclés, fort noirs. Il se vantait d’avoir toujours eu les cheveux d’encre ; comme un Italien. Le sang près de la peau, un visage rouge. Le front et les yeux admirables, étincelants d’esprit ou, dans la mélancolie, pleins d’ombre. Il avait de belles mains, brunes et fines. Un rien d’accent, une légère pointe, un goût d’ail dans les voyelles, qu’il faisait un peu brèves, à la façon du Midi. La voix mordante, vive sur les R. Sa famille venait, pour une part, d’Avignon. En son âge mûr, Stendhal est tout pareil aux Provençaux de son temps ; et son portrait rappelle maint Provençal, comme j’en ai connu dans mon enfance. A soixante ans, il eût donné toute la gloire du monde pour l’amour d’une jeune femme. » (André Suarès, Voyage du Condottiere)
Stendhal est donc un adepte de la tenue de camouflage – de son patronyme, comme de son aspect – mû par une ambition dévorante, comme Julien Sorel, le héros de son premier succès.

Chef d’œuvre de l’analyse psychologique et description affinée de son époque, Le Rouge et le Noir est d’ailleurs sous-titré Chronique de 1830, année de sa parution. La Révolution de Juillet tombe à pic pour le promouvoir, tant son héros, zélateur de Napoléon, représente l’archétype du rebelle dans le royaume terne de Charles X. Hélas, peu maître de ses sentiments, les fines stratégies de Julien, contrariées par ses amours, le mèneront à l’échafaud. Comme l’aventure de son idole le conduira à la débâcle.

L’ambition dévorante, boulimique s’achève en anorexie. Il faut relire un autre livre. Plus contemporain, intarissable sur le processus des conquêtes. Non de la gent féminine, non du pouvoir, non des pays. Mais des richesses de ces derniers, sans qu’il soit nécessaire d’une Grande Armée pour cela : Tintin au Pays de l’Or Noir. Tout est dit sur sa confiscation. Quitte à verser du rouge sang, pour s’assurer le contrôle des sources d’énergie, indispensable à l’édification des puissances, la préservation de leurs intérêts, l’accroissement de leur confort. Quitte à soutenir des régimes féodaux entretenant les peuples dans leur ignorance, leur précarité et leur dépendance matérielle et intellectuelle. Quitte à envahir les récalcitrants ou à pratiquer la politique de la canonnière. Suez (1956), Cuba (1961), République Dominicaine (1965), Libye (1986), Panama (1989). Et, naturellement, Afghanistan (1979 & 2001) et Irak (1991 & 2003). Pour sombrer dans le rouge avant de tirer le rideau noir.

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J-J Ninon expose en permanence à la Galerie Ferrero à Nice

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