À Calais, dans une grande demeure cossue, cohabite une famille de bourgeois soucieux de la gestion de l’entreprise familiale dont l’héritière (Isabelle Huppert) négocie en partie la vente à une société anglaise.
Elle ne fait plus confiance à son fils (Franz Rogowski), directeur négligent et faible, écrasé par le poids de son héritage et des tensions familiales. Mieux vaut vendre avant qu’il ne coule la boîte, d’autant plus qu’un éboulement emporte une partie d’un chantier et tue un ouvrier.
Le frère divorcé (Mathieu Kassovitz) doit récupérer sa fille d’un premier mariage, une gamine de treize ans (Fantine Harduin), qui vient d’empoisonner sa mère dépressive avec ses tranquillisants, ce que chacun a voulu prendre pour un suicide.
- Isabelle Huppert |Copyright Les Films du Losange
C’est un monde fermé sur lui-même par son confortable égoïsme ou ses mesquines et hypocrites certitudes, un monde figé dans des silences pesants et des bonnes manières, un monde malsain qui finit par imploser sous le poids de ses névroses.
Dans cet univers bourgeois, le malaise s’accentue, vers la fin du film, au cours d’un luxueux repas de famille lorsque surgissent des migrants invités par le fils rebelle : ils restent là, posés comme des santons, et on ne sait qu’en faire, ce qui illustre bien le monde actuel avec sa perpétuelle question : qu’en faire ?
Toute cette famille est observée avec ironie par le grand-père interprété par l’excellent Jean-Louis Trintignant qui n’accepte plus de tourner que pour Haneke.
Avec sa voix au phrasé inouï, il domine - tout en se tenant en retrait – cette famille embourgeoisée, frappée de cécité et de surdité. Consterné, il souhaite se retirer de la vie. Pour cela, il fait appel à la gentille gamine qui semble déjà experte en élimination. La scène de leur face à face restera inoubliable à jamais.
C’est la quatrième collaboration de Haneke avec Isabelle Huppert. Comme toujours, elle est parfaite dans ce rôle de femme d’affaires, intelligente, tenace, sévère. Elle aurait pu être un liant dans la famille, mais elle s’avère froide, intransigeante. Et capable, pour tenter de sauver le repas de famille, de casser son fils. Quelque chose dans la relation entre la mère et le fils semble verrouillé depuis longtemps, avec une absence totale de communication.
Le film se concentre sur ces « bourgeois de Calais », les migrants ne sont présents que comme éléments de décor, parsemés par ci, par là. Aujourd’hui, il semble naturel d’en croiser partout, et évidemment à Calais plus encore qu’ailleurs.
Haneke a obtenu la Palme d’or à Cannes pour « Le ruban blanc » en 2009, puis pour « Amour » en 2012. Cette année, son film a été reçu de façon mitigée, autant par la critique que par les spectateurs. Sans doute, l’habituelle noirceur sur l’humanité n’est-elle pas aussi apparente que dans ses précédents films. Pourtant, avec son cinéma lucide, implacable, le réalisateur est toujours aussi maître pour créer une tension et exprimer son amertume quant à l’autisme de la société actuelle, davantage préoccupée de ses petits problèmes que de la vraie vie alentour.
« Happy End » ? Non, non ! Vraiment pas ! Happy haine, peut-être...`
Caroline Boudet-Lefort