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Fin de cet événement il y a 1 mois - Date du 31 janvier 2024 au 25 février 2024

Ciné : « La Zone d’intérêt » de Jonathan Glazer

Le film commence par une famille joyeusement réunie pour un pique-nique dans un nid de verdure au bord d’un fleuve : la fusion est totale entre la nature édénique et les personnages très joyeux.

Dans cette « Zone d’intérêt », film inspiré du roman de Martin Amis (dont le réalisateur a gardé peu de choses), Auschwitz ne sera nommé que tardivement, mais le spectateur sait déjà qu’on est en Allemagne : par la langue et différents éléments. Cependant pas de baraquements, pas de trains, pas de déportés … Seulement quelques indices parsemés peu à peu et qu’il faut repérer, car on reste de l’autre côté du mur.

Le Commandant Höss (Christian Friedel) et sa femme Hedwig (Sandra Hüller) sont surtout préoccupés par leur maison et leur jardin, sans prêter attention à la fumée noire juste derrière chez eux, ni aux cris déchirants qui nous indiquent le camp et ses fours crématoires qui fonctionnent sans cesse.
Rien n’est montré, mais on comprend que le Commandant est le directeur des opérations et le maître des décisions du Camp d’Aschwitz-Birkenau et de sa mort industrielle.

Le couple vit dans un quotidien le plus banal, mais chacun sait bien que si Madame Höss essaie fièrement un superbe manteau de fourrure, on en devine l’origine, et si les enfants jouent avec des osselets qui sont des dents, on peut imaginer à quels cadavres ils ont été arrachés.

Cependant la principale préoccupation reste l’entretien de leur maison et de leur jardin et ils ne regardent pas au delà du mur d’enceinte. Ils restent dans leur nid douillet, sans s’attarder sur les hurlements au loin.

Le hors champ est intolérable

Par mille détails, le film désigne la banalité du mal spécifiée par Hannah Arrendt. Et, par cette banalité du mal, le film incite le spectateur à se joindre aux bourreaux dans leur vie ordinaire.
Pourtant la conscience de la belle-mère de Höss lui impose de partir au plus vite pour ne pas vivre ce qu’elle devine advenir… Même si elle a d’abord admiré le jardin dont sa fille est si fière, ainsi que de son confort de vie, cette femme garde sa lucidité sur le prix qu’il en coûte…

Glazer s’était distingué, il y a quelques années, avec « Birth » en 2004 et « Under the skin » en 2013. On attendait avec impatience ce nouveau film et on n’est pas déçus car il est vraiment passionnant !

Les interprètes sont tous excellents. D’abord - Sandra Huller déjà présente à Cannes dans « Anatomie d’une chute » (Palme d’or) -, elle est ici tout aussi irréprochable, et Christian Friedel, parfait pour ce personnage, à la fois bourreau et père de famille, qu’il joue avec subtilité.
Le réalisateur britannique Jonathan Glazer n’avait rien réalisé depuis de nombreuses années. Présenté en compétition au dernier Festival de Cannes, « La Zone d’intérêt » est reparti avec le Grand Prix (prix souvent plus judicieux que la Palme).

Caroline Boudet-Lefort

Visuel de Une (détail) : Anastazja Drobniak, Lilli Falk ©Leonine

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