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ECOLE DE NICE - CHRONIQUE 18 : Un éditeur pro-Ecole de Nice : Alain Amiel - Chronique Bimensuelle sur l’Ecole de Nice - par André Giordan et Alain Biancheri pour Art Côte d’Azur

Résumé des chroniques précédentes


Cette chronique continue à rencontrer les personnalités qui ont contribué à rendre visible l’Ecole de Nice. Après les journalistes, les galeristes, les critiques d’art et certains des artistes eux-mêmes, d’autres personnalités ont ponctué l’histoire. Parmi eux… un éditeur…

Pendant vingt ans, une maison d’éditions niçoise , Z’éditions, a beaucoup œuvré pour l’art et les artistes à Nice. Son directeur, Alain Amiel, toujours très discret, artiste lui-même, a publié de très nombreuses monographies : de Gustav Adolph Mossa qui travailla dans le symbolisme (1903 à 1917) -ses personnages étranges et inquiétants, notamment ses femmes étonnent encore aujourd’hui- avant de se centrer sur les maquettes de chars de carnaval, aux plus contemporains comme Arman, Ben, Mas…

« L’Ecole de Nice n’est pas une école au sens classique, elle ne regroupe pas des artistes défendant une même conception de l’art ou un regard sur le monde. Elle ne concerne pas, non plus, des individus nés à Nice ou vivant à Nice. Beaucoup arrivent de la région ou d’ailleurs, venus à Nice pour participer à un bouillonnement d’idées. Ils ont souvent répondu à des invitations à des expositions ou des performances. Ils s’y sont plu, ont pris racine, ou ont simplement passé quelques années avant de continuer leurs pratiques ailleurs.

Alain Amiel (photo André Villers)

La problématique un peu désuète : « Qui porte ou pas le label « Ecole de Nice » est obsolète et concerne les marchands (ou les Institutions) plutôt que les artistes. Pourquoi ne pas accepter simplement que l’EN est un regroupement de créateurs né à Nice autour de quelques
acteurs majeurs.
(…) Plusieurs mouvances ne se réclamant pas de l’EN (la nourrissant souvent) ont pendant ce temps co-existé : poètes, musiciens, revues culturelles en langue niçoise, auteurs de bande dessinée, etc., ont participé à ce bouillonnement d’idées qui continue de nos jours. Les « nouvelles générations » se succèdent avec plus ou moins de réussite, et l’intérêt pour l’art ne semble pas faiblir, il trouve même de nouveaux publics... A suivre...
Alain Amiel, in A. Biancheri, A. Giordan, L’école de Nice, Ovadia, 2007

On peut citer encore Alocco, Serge III, Chubac, Sosno, Nivèse, Mendonça, Villers et Guy Rottier. Parallèlement, des thématiques importantes sur les mouvements principaux de l’art ont été éditées : Surréalisme, Art Brut, Fluxus, Art conceptuel, etc.

Le point de départ

Alain Amiel (portrait numérique, Guy Champaillier)

Alain Amiel commença avec des amis par monter une radio associative. Sa radio libre, très avant-gardiste, créée lors de la libération des ondes en 1981, proposait nombre d’interviews de créateurs de la deuxième et troisième génération de l’Ecole de Nice. Par la suite, son action multiple et complémentaire, le conduit à tenir à bout de bras successivement deux maisons d’éditons : AM puis Z’Editions.
Cette dernière fut particulièrement active et efficace pour faire connaître les artistes de l’Ecole. Chaque année de 1988 à 2001, elle édita un Guide de Nice, puis un Guid’Art de la Côte d’azur, largement illustré d’oeuvres de l’Ecole de Nice.

Suite au succès de l’Or bleu ou le roman de l’Ecole de Nice de Jean Mas (voir Chronique 17), il créa une Collection consacrée aux plus jeunes : Z’Artistes. Sans discrimination pour dire qui était de l’école ou pas, la Collection Z’artistes a publié des monographies de Ducorroy, Martinel, Bouderbala, G. Martin, Granjabiel, Angel, Chamant, Viguier, Loublières, Altmann, M.-E. Collet, Geneviève Martin, Pédinielli, Mendonça, Taride, André Villers, Chantal Villers, Taride, Serge III, Sonia Guérin, Fred Forest, Ninon, Fujitsang, Lalou, Scarpa, Jani, Andréatta, Jean Arnaud, Martinel, Pineau, Ultra Violet, Lanneau, Ninon, Romani, Guy Rottier, Pedinielli et Farioli... C’est également cette maison qui édita le livre remarquable –et trop mal connu des critiques d’art- de Guy Champaillier sur l’Art-processif (1997).

André Giordan - Comment est née votre passion pour l’Ecole de Nice ?
Alain Amiel - Suite à la libéralisation des ondes par Mitterrand en 1981, nous avions monté une radio locale, Radio Nemo. J’animais une émission de Rock and Roll, et j’avais invité Jacques Lepage - connu à Coaraze en tant que poète. Il m’a mis en contact avec Ben, puis avec Jean Mas que j’ai interviewé. Mas fit une intervention sur les ondes avec une recette de « ratatouille froide ». Il faisait des bruits à la manière de John Cage : couler de l’eau, froisser un papier, tousser devant le micro. J’ai été scotché par cette grande créativité qui détonnait à l’époque. J’ai invité de proche en proche la plupart des artistes de Nice.

AG - Comment êtes-vous passé à l’édition de leurs écrits ?
AA - Cette époque fut une période de grand changement pour moi. En même temps que la radio, j’ai créé ensuite une maison d’édition avec mon frère. En 1982, j’ai publié mon premier livre, un Guide de Nice et j’avais demandé à Ben de me faire la couverture. J’ai ensuite enchaîné avec le livre de Jean Mas, L’Or Bleu.

Premier Guide de Nice, dessin de Ben

Pendant 20 ans, je n’ai plus arrêté. Plus de 60 livres avec des artistes. Avec Ben, j’ai réalisé une dizaine de livres depuis "Pas d’art sans vérité". Avec Arman, 3 livres, plusieurs avec Mas, Villers, etc...
Au "Guide de Nice" s’est rajouté un Guide de l’Art contemporain, le "Guid’Arts" qui chaque année présentait les lieux et les artistes de la région. A les revoir aujourd’hui, c’est comme un inventaire des tendances de l’année. Dans ma maison d’édition, j’ai profité du bel espace Rue Bavastro, puis rue du Lycée pour organiser des expositions, des performances, des interventions poétiques, littéraires ou même astronomiques. Elle est devenue dans les années fin 80 et tout 90 un lieu de rencontres artistiques, mais pas seulement...

AG - Votre ensemble de publications est maintenant une mine de données pour les historiens de l’Art. Que vous a apporté personnellement cette Ecole ?
AA - Pour moi, tout me paraissait délirant ! Entre un Gilli qui faisait courir des escargots, Ben qui écrivait n’importe quoi n’importe où, Chubac qui se limitait à des couleurs simples, Alocco qui tissait des tissus, des cheveux ou détramait des toiles, un Arman qui démontait ou assemblait, un César qui compressait, Sosno qui oblitérait, etc.. On fut là devant une créativité multiple, unique dans un seul lieu. Exceptionnel de vivre cela. Une fusion créatrice !

La suite…

Performas de Jean Mas, chez Z’Editions, rue Bavastro

Par la suite, une galerie d’art fut incluse dans la maison d’édition, d’abord rue Bavastro au Port, puis rue du Lycée. Ont été présentés dans ses locaux : Andréatta, Ben, Bianchéri, Champailler, Fred Forest, Anne Gérard, Ultra Violet, Lagalla, Lanneau, Lalou, Mas, Martinel, Ninon, Romani, Guy Rottier, Pedinielli et Farioli, etc.
Son éclectisme lui fit organiser également des lectures poétiques, des concerts, des performances en tous genres, de Jean Mas, Ben, Lagalla aux Frères Azoulay et leurs amis, etc..

La Bande Dessinée a été bien représentée avec Mandryka, Baudoin, Troubs, Kato, Kamel Khélif, Boudjellal, etc. sans compter la psychanalyse avec Trames en vogue à l’époque, les sciences avec Alliages à une époque, et surtout l’épistémologie et la didactique des sciences. En fait pendant 20 ans, Z’Editions fut un lieu de rencontres et d’échanges, de convergences pluri-disciplinaires, connues et reconnues sur le plan international.

Guy Champaillier, Champ paillé, construction horizontale présentée chez Z’Editions, Rue Bavastro

Z’éditions avait vocation de devenir un lieu de synergies et de rencontres. Malheureusement peu aidée sur le plan local, l’aventure s’est arrêtée au début des années 2000. Il n’en reste pas moins que le corpus de livres et de documents édités par cette maison, grâce à la curiosité, au dynamisme et au besoin de partager d’Alain Amiel , sera bientôt une ressource incontournable pour comprendre l’apport de l’Ecole de Nice... Mais pas seulement, ces Collections reflètent ce formidable vent de créativité que fut Nice à la fin du XXème siècle…

Alain Amiel au Salon du livre de Paris

Alain Amiel vient de faire paraître Performas, 40 ans d’Art d’Attitude, Ed. Ovadia, 2010. Ce livre rassemble 40 années de performances de Jean Mas. Depuis ses premières performances
« Fluxus » avec Ben et Serge III, Jean Mas n’a cessé de travailler une très riche et prolifique matière artistique mêlant discours, gestes, oeuvres et humour. L’impressionnante quantité de documents collectés - photos, témoignages, articles de presse, etc.- permet de retracer dans ce recueil spécifiquement consacré aux « PerforMas » de l’artiste, un parcours créatif et décoiffant, jalonné par de multiples performances réalisées tant en France qu’à l’international…

(Suite à la prochaine chronique)

1 - Dès sa création, art, sciences, pédagogie et psychanalyse se sont imposés dans son catalogue, façonnant son identité. D’autres collections se sont ensuite développées : Poésie, Bande Dessinée, Cuisine, littérature, etc.. Les thématiques régionales ont aussi été toujours présentes : Guide de Nice, Cuisine niçoise, Livre du Pilou, Mira (chansons régionales) et, en langue d’Oc, des recueils de poésie des plus grands poètes et écrivains niçois (J-L. Sauvaigo, A. Pelhon). Des revues sont nées ensuite : scientifique (Alliage), psychanalytique (Trames), de poésie, de linguistique, de rock. En une vingtaine d’années, plusieurs centaines d’auteurs ont été publiés. Du premier livre édité, un Guide de Nice, au dernier : Nietzsche à Nice, ses ouvrages furent ancrés dans un lieu, une ville riche de grands auteurs, de scientifiques ou d’artistes reconnus mondialement.


2- Aujourd’hui Alain Amiel est devenu un spécialiste incontesté de Van Gogh qui traduit une nouvelle mutation dans sa vie. http://www.alainamiel.com/
http://www.dailymotion.com/video/xd...

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FLUXUS et l’ECOLE de NICE

Origines

Le mouvement Fluxus va avoir un fort impact dans les années 60 et déclencher un engouement immédiat pour les protagonistes de l’École de Nice. Le terme apparaît en 1961 grâce à Georges Maciunas, rédacteur du manifeste Fluxus avec en même temps la création d’un magazine. Les références remontent au Dadaïsme, comme pour beaucoup de mouvements de cette époque qui sont enthousiasmés par son aspect nihiliste, et à la philosophie Zen découverte par de nombreux jeunes créateurs.
Dans la fin des années 50, aux Etats-Unis, un certain nombre d’artistes vont faire basculer tous les domaines de l’art par leur action et leur attitude anti-esthétique. Le musicien John Cage, est à l’origine de la musique indéterminée et organise des concerts Fluxus dont l’esprit veut montrer une totale liberté avec la participation de nombreux artistes new-yorkais, comme les musiciens La Monte Young, Al Hansen, Dick Higgins et le compositeur Richard Maxfield. Cette musique concrète veut s’approprier les sons de la réalité environnante : bruits de portes, Klaxons, onomatopées.
Les artistes plasticiens, peintres et sculpteurs américains comme Georges Segal, Allan Kaprow, Jim Dine ou Larry Poons venus du Pop Art aux Etats-Unis, s’intègrent à ces manifestations et participent à des actions collectives. C’est l’apparition des premiers Happenings dans lesquels Fluxus va avoir toute sa place. Ce mouvement devient rapidement une attitude, un mode de vie interdisciplinaire et va bien au-delà de la notion traditionnelle d’œuvre d’art.

Un art international

De nombreux pays vont être concernés par cette nouvelle attitude artistique, à commencer par l’Allemagne où George Maciunas rencontre Nam June Paik, artiste coréen qui deviendra un des plus célèbres représentants de l’Art Vidéo, tandis que Joseph Beuys surprend le public à Cologne, lors d’une conférence d’Allan Kaprow en se présentant avec de la graisse, comme il le fera dans de nombreuses performances par la suite.
George Maciunas répand l’esprit Fluxus à Düsseldorf, tandis qu’à Londres et Copenhague ont lieu des festivals de même qu’à Stockholm et à Oslo. Le groupe Fluxus Zaj donne ses premiers concerts à Madrid en 1964, et à Paris Jean Jacques Lebel crée le festival de la Libre expression avec Benjamin Vautier qui de viendra Ben. Fluxus se propage aussi en Tchécoslovaquie et en Hongrie dans les années 60 et montrent la vitalité de ce mouvement, et au Japon, les interventions de Yoko Ono - la future femme de John Lenon - ou de Yayoi Kusama qui réalise des installations et des performances répandent cette nouvelle attitude artistique.

Fluxus à Nice

La forte personnalité de Ben et l’implantation de sa boutique à Nice, véritable lieu de rencontre, ont permis l’éclosion d’une ramification importante de Fluxus dans cette ville et contribué à l’intégration de certains artistes du groupe à l’effervescence de l’Ecole de Nice. Ben fait venir Georges Maciunas à Nice lors du Tour d’Europe des manifestations Fluxus. Il participe, avec Robert Filiou et Daniel Spoerri au Festival of the Misfits à la galerie One à Londres : Ben s’expose quinze jours et quinze nuits dans la vitrine de la galerie. D’autres expositions auront lieu à Düsseldorf, avec Georges Maciunas, John Cage, Joseph Beuys, Robert Filiou, Ben, Daniel Spoerri et Nam June Paik.
La création à Nice du Théâtre Total de Ben en 1963 est marquée par des compositions Fluxus de Georges Brecht et des pièces de rue sur la Promenade des Anglais avec Ben, Robert Bozzi et Robert Erebo. A Coaraze, Jacques Lepage organise un concert Fluxus et d’autres vont suivre au théâtre de l’Artistique à Nice en 1964 et 1965, avec des titres provocateurs. Des expositions vont se succéder à la galerie Ben doute de tout ; personnelles avec Alocco ou collectives, et l’invitation à Passer une bonne journée est même proposée aux spectateurs ! L’ouverture à Villefranche-sur-Mer de la Cédille qui sourit en 1965 par Georges Brecht et Robert Filiou permet le ralliement de nombreux artistes avec Alocco et va devenir un lieu de rencontres et d’échanges multiples.
La dizaine de concerts Fluxus qui a animé Nice pendant quelques années a montré la vitalité de ce mouvement artistique, mais les échanges ne se sont pas effectués dans un seul sens. Certains artistes de l’Ecole de Nice -Daniel Spoerri, Martial Raysse entre autres- ont participé à des actions à l’étranger et surtout Ben, fondateur du groupe Art Total/Fluxus, fut très présent dans les festivals en Europe et est allé à New York invité par Georges Maciunas ; il a également participé à Paris au Festival de la Libre Expression avec Jean Jacques Lebel. Ce fut également à partir de Ben que se monta une des expositions inaugurales du Centre Beaubourg, À propos de Nice (1977), qui présenta nombre d’artistes de l’Ecole de Nice (voir chronique 15).
Les retombées sur le plan niçois ont été évidentes, et les artistes, ainsi que le public, convaincu ou contestataire, ont participé à de nombreux évènements. Une rétrospective, avec interventions et manifestations des anciens protagonistes s’est déroulée en 2003 dans divers lieux très connotés de Nice, espaces privilégiés des anciens concerts et autres festivals.
Au-delà de la remise en question de la création artistique, puisque « Fluxus travaille dans le fossé entre l’art et la vie », les influences de ce mouvement ont été multiples. Au niveau du concept, déjà, et au niveau de nouvelles pratiques artistiques comme l’Art Corporel, les performances où les artistes se mettent en scène et le Body Art avec les Actionnistes viennois. D’autres formes d’art plus éphémères ont aussi vu le jour, comme le Mail Art, les petites boites contenant des oeuvres portables, les jeux absurdes… Toutes sortes d’attitudes nées avec Fluxus.

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