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ECOLE DE NICE - CHRONIQUE 11 : Qui a eu le flair de l’Ecole de Nice ?.. (suite ) - Par André Giordan & Alain Biancheri pour Art Côte d’Azur - Chronique bimensuelle

Résumé des chroniques précédentes

Un mouvement artistique demande des artistes !.. Mais seuls,… sans galeristes, critiques d’art, conservateurs, curators ou autres journalistes, ils ne peuvent exister en tant qu’artiste. L’Ecole de Nice malgré ses grandes originalités, sa volonté de dépoussiérer l’art, n’a pas fait exception. Après avoir présenté les composantes de l’Ecole, ses artistes et leurs divers apports, cette chronique continue d’explorer les personnalités qui ont contribué à faire « voir » cette Ecole.

Alexandre de la Salle

Avec Jacques Matarrasso et Jean Ferrero, un troisième personnage – car s’en est un !– a joué un rôle clef. Il se nomme Alexandre de la Salle. C’est un homme très exigeant, plutôt direct : il dit ce qu’il pense -ce qui est plutôt rare dans les milieux de l’art !- et qui ne se compromet dans rien. Fils d’une mère peintre et d’un père marchand d’art, de Soutine entre autres, il ouvre « naturellement » sa propre galerie à Vence, sur la place Godeau, en 1960.

Alexandre de la Salle

Robert Malaval, Contamination d’un fauteuil Louis XV, 1963, Coll. Mamac (photo Séverine Giordan)

Dans cette ville, il fait la connaissance de Robert Malaval -installé également à Vence- qui était dans sa période connue actuellement sous « l’Aliment Blanc », une matière dont il recouvrait tout : fauteuils, lits, etc. !..

La galerie Alexandre de la Salle était plutôt jusqu’à lors « tendance Ecole de Paris ». Malaval lui fait rencontrer les jeunes artistes qui travaillaient dans la région. Le projet mûrit, il met sur pied avec courage –car il en fallait- et avec la collaboration de Françis Mérino, une exposition intitulée « École de Nice ? ».
Sont présentés : Alocco, Arman, Arnal, Ben, Céar, Chubac, Fahri, Gette, Gilli, Klein, Malaval, Martin , Raysse, Venet, Verdet, Viallat.

Couverture bleu Klein du Catalogue de l’exposition Ecole de Nice ?, 1967

Le vernissage eut lieu le 6 mars 1967, toujours place Godeau à Vence. L’immense point d’interrogation du titre lui fut soufflé par le célèbre critique « parisien » Pierre Restany. Il avait accepté du bout des lèvres, après moult hésitations –sans doute par « amitié » pour Alexandre de la Salle- d’écrire un texte pour le catalogue.
Bien sûr, le bleu Klein régna en maître la soirée du vernissage. Il s’étalait dans de grands aquariums et dans les boissons du… cocktail !

Les rétrospectives suivantes

Par la suite, tous les dix ans , Alexandre de la Salle organisa une rétrospective afin de célébrer cette Ecole. En 1977, l’interrogation du titre fait place à l’exclamation : « Ecole de Nice ! » ; il l’ouvre aux membres du groupe 70 avec Chacallis, Charvolen, Isnard, Maccaferri, Miguel et à Dolla.
En 1987, troisième rétrospective et trois petits points ans dans le chapeau -« Ecole de Nice… »- peuvent faire comprendre que « tout baigne » !..
En 1997, Alexandre de la Salle finit sa série avec « l’École de Nice. ». Pour lui, tout est plié ! C’était « la fin de l’École car il y avait un point à la fin » . Le plateau s’élargit cette fois à 28 créateurs « niçois ».

Affiche « Ecole de Nice. » 1997

Ces rétrospectives auront lieu chaque fois à Saint Paul de Vence dans la nouvelle Galerie qu’il établit à quelques mètres de la Fondation Maeght.

Galerie Alexandre de la Salle à Saint Paul de Vence (photo Séverine Giordan)

Y croyait-il vraiment ?

Peut-on dire cependant qu’Alexandre de la Salle ait vraiment cru à cette Ecole ?.. Les seuls artistes qu’il défendit avec passion furent Malaval et son « aliment blanc », Chubac et sa rigueur, ses géométries heureuses et Alocco et ses patch-works très soignés. Alexandre de La Salle est persuadé que « l’art est aussi précis que la physique nucléaire ». Ce qui lui permet de juger du bon et du mauvais avec une grande assurance : « seuls comptent pour moi la qualité, l’excellence ; le « pas mal » ne m’intéresse pas » .
- « D’ateliers en bistrots, de textes en vadrouilles, de déclarations, de gestes en expositions, de Nice à Paris et de Paris à New-York, de mythe, l’Ecole de Nice est devenue réalité »
-  Alexandre de la Salle, Catalogue Ecole de Nice, 1987
Toutefois dans sa constance pour cet ensemble d’artistes, une sorte d’effervescence et de fidélité s’est créée autour de lui , de sa galerie et de l’Ecole de Nice. Par là, Alexandre de la Salle établit les jalons d’une renommée. Il faut ajouter qu’en plus des rétrospectives décennales, il a organisé une quarantaine d’expositions sur des artistes ou des groupes d’artistes de cette mouvance, au cours de sa vie de galeriste...

Chaque fois, le critique du Nouveau Réalisme, Restany était présent, mais quel rôle joua-t-il vraiment ?..
(suite à la prochaine chronique)

1* Il s’agit d’Annie Martin. Il y avait donc une femme à l’origine dans l’Ecole de Nice ! Il faudra ensuite attendre l’arrivée de Nivèse.

2* Entre temps en 1974, il avait organisé une exposition consacrée à Dix peintres de l’Ecole de Nice (sic) pour inaugurer sa nouvelle galerie à Saint Paul de Vence. Les 10 élus furent à l’époque : Alocco, Arman, Ben, Chubac, Fahri, Gilli, Klein, Malaval, Raysse et Verdet.

3* Rencontre avec ALEXANDRE DE LA SALLE : Le fédérateur de l’École de Nice, Vence-pratic.com (printemps 2010) http://www.vence-pratic.com/info/Cu...

4* Art Côte d’Azur, 6 août 2008, cité par Florence Canarelli.
5* Du 8 juin au 18 décembre 2010, Alexandre de la Salle organise une exposition intitulée « 1960-2010, cinquante ans de l’École de Nice » au musée Rétif de Vence. Une nouvelle exposition afin de faire le point mais aussi « d’en finir » avec cette l’École, comme il le déclare ! Le titre est « marchand », « en finir avec l’Ecole de Nice » est significatif du personnage, mais l’exposition vaut le détour…

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Interprétation d’une œuvre

Ernest Pignon Ernest 1942-

Ernest Pignon Ernest, né à Nice en 1942, est un artiste très renommé dans cette région où il s’est beaucoup investi, même s’il n’a pas été considéré comme partie intégrante de l’Ecole de Nice par les anciens critiques d’art. Pourtant son travail entre totalement dans cet esprit. Après avoir fait des dessins d’architecture, il installe ses œuvres engagées dans des endroits déterminés, en rapport avec le thème choisi. Ses dessins à la mine de plomb jouent un rôle de dénonciation et quittent galeries et musées pour investir des lieux insolites. Ses portraits de personnages célèbres (musiciens ou poètes comme Rimbaud ou Antonin Artaud) se retrouvent sur les murs des grandes villes. D’autres dessins plus dénonciateurs représentent les pauvres gens, les émigrés ou les ouvriers, placés dans des cabines téléphoniques ou sur les murs de Nice lorsqu’il a dénoncé les conditions de l’Apartheid dans une ville alors jumelée avec le Cap en Afrique du Sud. Après les repérages culturels dans les villes qu’il va visiter, les sérigraphies à partir de dessins originaux sont collées en attendant que les intempéries et l’usure ne les fassent disparaître à jamais. Naples, Santiago du Chili, et plus tard l’Inde ou New York sont l’objet de ses investigations présentes et futures pour mettre les œuvres dans la rue et impliquer les passants.

Ernest Pignon Ernest 1988, Images à Naples : David et Goliath d’après le Caravage (photo Séverine Giordan)

Description interprétation


L’œuvre montre plusieurs images : David tient de la main gauche la tête de Goliath après son combat victorieux et de la main droite une autre tête. Dans la partie inférieure, une photo reprend la scène qui apparaît sur la façade d’un mur. Cet ensemble d’images s’inspire d’un épisode mythologique - le triomphe du jeune David qui après avoir affronté le géant Goliath, l’a terrassé et brandi la dépouille de sa tête. Deux séquences sur ce tableau : l’œuvre dessinée d’Ernest Pignon Ernest et le lieu où était placé ce dessin. La confrontation des deux images tente de situer à la fois la position de l’œuvre, et ce qu’il en est resté après l’usure du temps. Le lieu est important, car il n’est pas innocent et correspond à l’intégration des dessins in situ.
Le travail fait à Naples résulte des investigations et des impressions diffuses qu’a ressenti l’artiste au contact des visites effectuées. Après avoir choisi le lieu de son travail, Ernest Pignon Ernest s’imprègne de son atmosphère, de son vécu et de l’ambiance. Au-delà de l’impression de mort qui rode (l’épidémie de peste au quinzième siècle, la présence du volcan, des solfatares, et des désastres causés par les différentes éruptions) la religion semble dominer, comme la suprématie de la mère – la « Madre » - dans cette ville. Les thèmes traités se réfèrent à ces situations, mais aussi à la culture et l’histoire de l’art : le sujet traité s’inspire d’un tableau célèbre du Caravage, qui lui-même est mort à Naples, probablement en duel ; la tête de Goliath est remplacée - habile procédé de permutation - par celle du Caravage (inspirée de son autoportrait) et l’autre visage reprend les traits de Pasolini, éminent cinéaste et sémiologue mort sur la plage de la ville. Ce double clin d’œil métaphorise la mémoire que l’artiste restitue par rapport à des évènements culturels.

Morphologie

Le dessin a été prélevé du mur qui lui servait de support et marouflé sur toile. L’œuvre dessinée (tirage lithographique à partir de dessins à la mine de plomb) ne conserve que des lambeaux en raison du passage du temps. Le jeu du découpage irrégulier et l’aspect déchiqueté des pourtours extérieurs accusent la prégnance du graphisme qui se détache avec force de la toile immaculée. De plus, la cohabitation avec la photo référentielle met en opposition l’irrégularité des contours du papier, avec la rigueur du cadrage photographique ; ce rectangle parfait se lit comme un insert, l’image d’un souvenir, réminiscence furtive du dessin d’origine.

Technique

La virtuosité technique permet un rendu saisissant de la scène et restitue le tableau initial du Caravage par sa composition. La douceur des dégradés et l’exagération des graphismes accentuent l’expression dramatique ; mais l’opposition des ombres et lumières, les effets de clair obscur (le Caravagisme) ne tombent jamais dans le trompe l’œil, et l’artiste s’en défend. Le but n’est pas de créer une illusion comme sur nombre de façades Italiennes, mais d’imaginer des œuvres en rapport avec le lieu et s’intégrer dans leur contexte. Pour cela il a choisi les emplacements pour créer la surprise chez les passants et collé les sérigraphies dans des lieux inattendus (soupiraux, frontons, fenêtres) pour susciter des interrogations.
L’aspect ancien du dessin n’est pas obtenu par le biais d’artifices : les sérigraphies ne vivent que quelques temps en raison de l’usure du temps ; et Ernest Pignon Ernest privilégie cet aspect éphémère adapté au souvenir et à l’effritement des images.

Pour en savoir plus
Alain Biancheri, André Giordan et Rébecca François (2007), L’Ecole de Nice, Collection Giordan-Biancheri, Ovadia Editeur, Nice.

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