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L’ECOLE DE NICE - CHRONIQUE 3 : Ecole de Nice : Comment tout a commencé ? - Chronique 3 - Par André Giordan & Alain Biancheri

Résumé des précédents numéros : L’Ecole de Nice a fini par exister… On parle aujourd’hui d’elle comme d’une véritable Ecole ; on lui consacre des expositions à Nice et à l’étranger, des films et des articles. Une vente aux enchères assez relevée a lieu en octobre 2009. Dans un précédent article (artcotedazur chronique ; http://www.artcotedazur.fr/l-ecole-...,1591.html), ses 4 grandes tendances étaient présentées… ainsi que ses artistes « atypiques », les plus nombreux. Tout ce qui s’est fait en Art à Nice n’est pas de l’Ecole de Nice, encore leur fallait-il se tenir distant de tout académisme, de toute convention et si possible novateur. Mais comment tout a commencé ?Et quand ?

Quand on s’intéresse de près aux débuts de l’Ecole de Nice, on ne découvre pas moins de 7 histoires différentes

Les critiques, et surtout les marchands d’art, ont besoin de mythes ou de légendes pour promouvoir l’art. Leur histoire « officielle », tout comme les apparences, peuvent être trompeuses ! Quand on s’intéresse de près aux débuts de l’Ecole de Nice, on ne découvre pas moins de 7 histoires différentes. On peut lire celle de Sosno, celle de Ben, celle de Mas, la plus proche de la réalité, celle d’Arman, celle de Restany et celle de Lepage, deux « grands » critiques… enfin, une dernière fut écrite en 1947 par Claude Pascal, un ami de judo et de voyage d’Yves Klein et depuis écrivain :

« 1947. Un jour, sur la plage à Nice, Klein, Arman et Claude Pascal décident de se partager le monde. Klein choisit le ciel avec son infini, il signa son nom sur l’autre côté du ciel et ainsi commença son aventure monochrome.
Nice aux yeux de putain cannoise se culotte devant les yeux ébahis de la Corse. En 1947, face à cette mer imbécile où se consument les vieillards de la France et de l’art, nous avions la vingtaine, Yves Klein, Arman et moi.
La Promenade des Anglais. Nous portions des chemises barbouillées de pieds et de mains nues et nous nous nourrissions de l’or et du fer contenus dans l’air. Le besoin du temple nous fit trouver la cave. Les murs furent recouverts de funèbres, de blasphèmes et de l’emblème... pieds et mains gluants de peinture et un mur monochrome et bleu. Le mirage, c’était notre volonté tendue comme une corde en travers de la route où butaient les voitures paralysées malgré l’essence. Jeûnes... abstinences... goût de l’entreprise démesurée... contemplations de l’univers bleu. (…) »
Claude Pascal, A propos de Nice, Centre Georges Pompidou, Janvier 1977

Pourtant ce texte, souvent mis en avant, n’a rien à voir avec les débuts de l’Ecole de Nice. Au mieux, ce récit traduit la naissance d’un groupe aujourd’hui oublié, Triangle, né de la rencontre de Klein, Arman et Claude Pascal. Eventuellement, il peut être préparatoire au Nouveau Réalisme. Ce mouvement que le critique Pierre Restany tint à bout de bras et qui eut une vie propre, différente de celle de l’Ecole de Nice, avec son manifeste et ses expositions.

L’Ecole de Nice est le produit d’un tout autre cheminement, son histoire est beaucoup plus fabuleuse. Tout a démarré autrement… Interviennent ici d’autres rencontres, d’autres productions, d’autres lieux dans Nice, et surtout des « personnages » à la fois artistes et grands communicateurs, comme Ben, Sosno, Alocco. Tous eurent le désir de la nommer et la passion d’en parler au quotidien. Encore fallut-il que des journalistes bien parisiens comme Claude Rivière du journal Combat, d’autres critiques -Jacques Lepage notamment-, des galeristes comme Alexandre de la Salle, Ferrero, Matarasso, des « photographes-témoins » dont Frédéric Altmann , André Villers et le premier directeur de Centre Georges Pompidou Pontus Hulten en fassent de même. Par la suite, d’autres galeristes, Lola Gassin, Sapone, Scholtes, un éditeur Alain Amiel, et un autre artiste Jean Mas mouillèrent la chemise pour maintenir la flamme !

Eve, Fragments, 1985. Coll. Particulière
Photo Séverine Giordan

Alors difficile de dire quand tout à commencer...

Sûrement pas il y a 50 ans ! Comme le proposera cet été une exposition au Musée Retif de Vence : 1960-2010 : « Cinquante ans d’Ecole de Nice ». Les deux événements pris pour références – le Manifeste du Nouveau Réalisme, l’ouverture de la galerie Place Godeau à Vence en 1960- n’ont rien à voir directement avec les débuts de l’Ecole de Nice. Ce qui n’enlèvera rien à la qualité de cette exposition, si l’on en juge par les organisateurs et les préparatifs. Alors pourquoi ce folklore !
Si on souhaite repérer les débuts de cette mouvance, on peut tout aussi bien prendre comme point de départ 1967, date de la première exposition dédiée à un groupe protéiforme intitulé « Ecole de Nice ? » , dans la Galerie Alexandre de la Salle. Ou 1977 avec l’exposition « A propos de Nice » au Centre Pompidou ou au contraire faire remonter l’Ecole de Nice en 1963 avec l’impact des concerts Fluxus et ce qui en suivit comme manifestations « Fluxus niçois », orchestrées de « mains de maître » par un Ben présent sur tous les terrains… Et encore cela reste approximatif, parce que s’il y eut exposition, au préalable il y eut essai, travail, tentatives en tous genres qui remontent à quand ?..

Au lieu de ces querelles stériles de dates, ne vaudrait-il pas mieux concevoir cette « naissance » comme un empilement de fulgurances et de cristallisations, dans sa richesse de formes et d’idées... Fluxus, ce mouvement international, fut cette première fulgurance. En 1963, il déferle à Nice avec son « pape » George Macianus et stimule tous les domaines de l’art niçois. De jeunes artistes en émergent : Ben, Alocco, Serge lll , Bozzi, puis… Brecht, Chubac, Dietman, Farhi, Mas, Venet, Gilli, Dolla,.. Les expositions spontanées ou plus organisées comme Scorbut dans la boutique que possédait Ben, 32 rue Tonduti de l’Escarène à Nice ou l’exposition « Ecole de Nice ? à Vence traduisent une première cristallisation.

Troupe du Théâtre Total, 1963, Théâtre de l’artistique, Collection Jean Mas

Presque une décennie plus tard Supports/Surfaces, puis le Groupe 70 ajoutent deux couches de fulgurances supplémentaires en s’imposant dès les années 1970. L’exposition « A propos de Nice » sera une nouvelle cristallisation qui impose définitivement l’Ecole. Dans cette mouvance, d’autres individualités mûrissent, n’appartenant à aucun groupe. Tous expriment diverses influences dans une communauté d’esprit. La dernière cristallisation aura lieu avec l’ouverture du MAMAC, le musée d’art contemporain, et son étage consacré à la désormais « célèbre » Ecole de Nice.

Bernar Venet, Déchet Peinture sur carton, 1961. (Fondation Maeght)
Photo : Séverine Giordan

En fait, faudrait-il y voir un véritable cocktail, ou mieux une « vraie » salade niçoise (!), faites par couches et ajouts successifs parfois venus d’ailleurs, dans un lieu unique dans tous les sens du terme : Nice et sa région… Pour fonder avec plus de prestige ce mouvement, les journalistes, les critiques cherchèrent des références. Le plus simple, le plus efficace fut de faire appel aux « grands frères », ceux qui avaient déjà réussi sur le plan international et qui revenaient « passer l’été » à Nice. C’est ainsi que Klein, Arman, Raysse, puis César furent récupérés, dans ce qui sera nommé le « nouveau réalisme niçois, » au grand dam de Pierre Restany…
Klein était déjà mort.

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Ben Vautier

Démarche et évolution

« In the spirit of Fluxus » 1965-2003
Bois, papier, malle peinte, objets divers accompagnés d’affiches...
(photo Séverine Giordan)

Né en 1935 à Naples, Ben Vautier fréquente la Promenade des Anglais dans les années 55/58.
Sa boutique de la rue Tonduti de l’Escarene devient un haut lieu de rencontre de la jeunesse avec l’idée que « tout est possible en art » ; il s’approprie toutes choses et signe tout pour le transformer, tel un alchimiste, en véritable œuvre d’art. La rencontre de Maciunas à Londres lui fait intégrer le groupe Fluxus en 1962 et la création du théâtre Total, Boulevard Dubouchage, en 1963, correspond à la création d’actions avant-gardistes ; celles-ci se multiplient à Nice et dans la région ainsi que les discussions dans les cafés dans un contexte d’art et d’happenings, mais aussi à Paris et en Europe. Après 1970, les expositions de prestige le rendent célèbres (Paris, Cassel en 1972, New York). Les écrits théoriques sur l’art et l’ethnisme l’accaparent et les débats se déplacent à sa maison de Saint Pancrace avec l’apparition des « Pour et Contre ». Au delà de Nice, Ben est invité dans de nombreuses galeries et musées dans le monde. Ses activités multiples et son ancrage dans la ville maintiennent une véritable fébrilité artistique : débats, sites Internet, cours dans les écoles d’Art, performances, commercialisation de gadgets…

Description Interprétation

Cette malle ouverte présente des objets hétéroclites. Ce qui est rangé ou caché se donne à voir comme une démonstration, un étalage de références ou de souvenirs et résume tout l’univers de Ben, le dérisoire, les affirmations laconiques (ici en anglais), l’accrochage bâclé, la démarche de Fluxus et son historique. Évidente référence à la boutique qu’il tenait à Nice où vendre devenait une action artistique. Mais ici rien n’est à vendre, tout est là pour nous interroger sur le sens de l’art ! (« is art a joke » ?) Les tableaux renvoient à l’académisme désuet, et au passéisme bourgeois (d’où le « vomit ! »). Les thèmes principaux (nu, portrait, paysage), sont accompagnés d’une loupe suspendue à un fil pour mieux apprécier les détails. L’art véritable n’est- il pas ce fer à repasser orné de clous, rappel du « cadeau » dadaïste de Man Ray ? La sculpture, la porcelaine et les rois mages réhabilitent le mauvais goût avec l’alibi de Fluxus : tout est art, et ce ne sont ni l’éléphant rose (qu’on ne peut séparer du « concert Fluxus », « du psyché », ou de « la drogue ») ni les babouches qui vont le contredire ! Face à ce déferlement kitsch, les objets de consommation peuvent aussi appartenir au monde de l’art comme la selle de vélo, la semelle usagée ou la bouteille d’eau de seltz. L’esprit de collection, (voir Messager ou Boltanski) se manifeste par les accumulations d’objets répétitifs (flacons, écritures, boites de conserves) et renvoient à la mythologie personnelle de Ben.

Morphologie

L’orthogonalité gère toute la composition avec une structure évidente : les lignes les pavés de lettres et éléments rectangulaires jouent sur les rapports de pleins et de vides, avec des décalages de plans, pour animer les surfaces dans la porte de droite ; le graphisme des textes s’intègre de façon linéaire à l’ensemble du panneau pour souligner les axes principaux. Le remplissage des étagères de gauche obéit à une logique plus aléatoire, car les volumes irréguliers (le fer à repasser, la selle de vélo, les sculptures et les babouches) apportent une certaine fantaisie à l’intérieur de cette grille qui peut évoquer Mondrian. Un certain nombre d’éléments de liaison créent un tissu conjonctif entre les divers compartiments de la malle (textes et accrochages) pour donner de l’unité à l’ensemble.

Chromatisme et valeurs

Le rapport ocre/noir de la malle établit non seulement une dualité colorée, mais aussi une opposition intérieur/extérieur et clair/obscur par les inversions de valeurs avec l’écriture. Ces contrastes sont mis en évidence par la structure en diptyque de la malle, où les ampoules ajoutent un aspect solennel. Sur le panneau de droite, le camaïeu d’ocres sert de fond aux taches noires que constituent les textes accumulés vers le bas ; le contraste coloré s’atténue grâce aux scènes qui rappellent la dominante par des nuances plus froides. Cette harmonie équilibrée semble contredire le propos agressif de Fluxus et ses revendications contestataires. La répartition des masses claires et foncées sur des fonds de couleur opposés a pour effet d’aplanir les deux parties composant la malle qui, vues à une certaine distance, créent un unique plan pour assumer la même lecture que celle d’un tableau.

Pour en savoir plus

Alain Biancheri, André Giordan et Rébecca François (2007), L’école de Nice ; Collection Giordan-Biancheri, Ovadia Editeur, Nice.

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