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CHAPITRE 47 (Part IV) : Bernard Reyboz, le Maître des Limbes

Suite de la chronique proposée par France Delville consacrée à Bernard Reyboz depuis mercredi...

L’œuvre est d’une telle richesse qu’on ne sait où donner de la tête, d’autant plus que le peu d’éclaircissements que donne Bernard Reyboz est à la fois lumineux - si je peux me permettre ce pléonasme - et producteur de mystère. Entre les « Matrices » et les « Chrysalides » comme phases majeures, se succèdent les « Galets », « Monolithes », « Textures », « Champs de Percussions », « Tripodes », « Magmas ». Des parenthèses inclassables s’intitulent « Expédition Bornéo », « Parcelle de l’aveugle »… et puis des études et autres illustrations – sortes d’apax - sont tout aussi éblouissantes.

« Galets » (1982-83)
Photo Catalogue raisonné

Paule Stoppa et Michel Gaudet parlent très bien de Bernard Reyboz, voici un extrait du texte de Paule présent dans le Catalogue et intitulé très judicieusement « Le Maître des Limbes » :

« En ces lieux, nulle douleur, nulle plainte. L’âme des justes en attente d’un dieu sauveur, celle des enfants morts sans baptême, et gémissant, selon le mythe, devant le désormais inaccessible paradis, n’habitent pas ces limbes gorgés de lumière, peuplés de signes noirs et blancs, si vivaces, si fortement liés et contrastés que dépourvus de toute couleur, ils en créent cependant l’illusion. Dans ces limbes là, tout est profusion de promesses, aspiration à l’existence, imminence des éclosions.

« Galets » (1998-99)
Photo Catalogue raisonné

Ici, dans l’atelier de Bernard Reyboz, qu’une porte sépare de son habitat. Non moins lumineux, l’habitat, un peu surélevé, fenêtre ouverte sur quelques jardins, un portail de bois, des structures de béton, le bleu du ciel. Habitat ombilic, auquel se rattache, franchi le seuil, ce corridor, couloir, allée ? qui autorise le passage, la déambulation paresseuse, le plaisir. Parmi les œuvres. La distribution chronologique de l’espace, la filiation d’une étape à l’autre de ce parcours de peintre sculpteur, la continuité sans failles de la démarche n’excluent ni la variété, ni la fantaisie dans la présentation et la disposition des œuvres. L’immensité de l’atelier que l’œil d’abord englobe, est ponctuée de petites salles presque closes où se recueillir réfléchir, de coins et recoins plus infimes, d’arrêts du corps devant un mur chargé de signes, d’alphabets en attente d’un futur qu’ils désignent, d’êtres, d’objets non encore conçus, dont ils épouseraient et la forme et le sens, leur accordant ainsi droit d’existence, pleine et entière réalité. Ou ce serait, cheminant non sans quelque vertige, troublé par ces méandres, ces circonvolutions, spirales, s’incliner vers les galets peints, courbes douces, risses, entre la paume et les doigts refermés, ce serait comme fleurir, vers eux se penchant, ces monolithes sculpturaux, oratoires au bord des sentiers, offrandes naïves pour les jours à venir peut être...

Corridor, couloir, allée ? Cordon ombilical plutôt, qui lie d’abord à ses œuvres le maître des limbes, puis les œuvres entre elles, qui alimente les phases successives de cette création sans mesures, qui en assure la rigoureuse cohérence et la surprenante fécondité. Des galets, cellules mères, par milliers échoués « sur des plages d’une lecture impossible, » puis recensés, peints en trompe l’œil, alignés avec la cruauté mathématique d’un entomologiste, d’un collectionneur un peu fou, ce John Douglas par exemple de l’Expédition Bornéo, ce John Douglas Reyboz à qui les circonstances (virtuelles) permirent d’acquérir (créer) de fabuleux insectes des galets naissent monolithes, magmas, textures, champs de percussions, cratères, chrysalides… Ils furent, ces galets, pierres arrachées, voici des siècles, aux parois des monts, roulées par les glaciers, les fleuves, lissées par le tumulte des vagues, ils furent témoins de l’apparition des multiples formes de la vie, ils sont la mémoire muette des saisons de la terre. Les voici, milliers de signes, entre « connu et deviné, pris aux pinceaux, au lasso de l’artiste, et, dans ces limbes, annonciateurs d’épopées possibles, dont la nôtre ». (Paule Stoppa, Mars 2009)

« Textures » (2008)
Photo Catalogue raisonné

L’Atelier de Bernard Reyboz comme vérité tangible

Quant à Michel Gaudet sa contribution prend la forme d’une « Visite d’atelier » :
« Voir les œuvres d’un artiste en exposition est une aventure. Tout s’organise pour une démonstration : choix des pièces, souci thématique, environnement, contact avec le présentateur et les critiques, présence de l’artiste, son accueil... L’ambiance est orientée, conforme à l’intérêt de la visite. La perspective souhaitée est la compréhension du visiteur, son accord, voire son enthousiasme. Proposer un atelier, offrir la vérité tangible, naturelle du cadre de travail et des expériences et donc, pour le créateur, celui de son existence, transforme la donne, ne concède aucune bienveillance. La proposition présente un risque : celui de l’incompréhension ou même de la complicité polie que l’éducation engendre. L’atelier se dévoile comme une femme provocante ou humble, soumise sans fard à l’appréciation d’un partenaire. La vie de l’artiste est ici présente, pour le meilleur ou pour le pire, pourrait on dire, et l’intimité est mille fois plus évocatrice que l’apprêt méthodique et finalisé d’une galerie.

Nous voici donc dans l’atelier de Bernard Reyboz. Curieusement ce lieu paré de noir et de blanc, composants des harmonies du sculpteur, s’irradie de lumière. Il faut y voir l’intelligence du classement des pièces, par séries sans doute et peut être par chronologie, ainsi que la logique spatiale des juxtapositions sérielles, rompues souvent par un élément extérieur.
La vastitude du lieu incite à la vue d’ensemble puis à la contemplation par le détail des œuvres suspendues ou posées. La jouissance du visiteur, au gré d’un libre parcours, évoluera ainsi de l’examen du petit format à l’approche de sculptures monumentales, massives ou filiformes.

« Petit trac dans les coulisses » (2002)
Photo Catalogue raisonné

L’agrément de la visite se percevra dans sa liberté ; dans la pratique de ces allers-retours dialogués entre contemplateur et travaux visibles. Sans évoquer une mise en place muséale ni l’arrangement d’une galerie, on est séduit cependant par une intention apparemment méthodique, un souci d’évidence, de continuité de création. Les travaux s’accumulent et composent une complétude. Le cheminement est diversifié, il va des rondes bosses aux éléments tabulaires, à vocation pariétale et donne lieu à la découverte d’écritures dans l’espace, d’inventions spatiales, compactes ou éclatées, dont certaines sont animées. Le choix du sculpteur a réparti ces recherches. Des lieux mesurés, ouverts ou clos sont propices à la compréhension et, libre dans son parcours, le visiteur aura une perception globale ou détaillée de cette présentation intentionnelle qui n’exclut pas la fantaisie d’un léger désordre.

Tout est là dans l’accomplissement d’une méthode. On sent que l’œuvre naît progressivement de l’expérience, de l’évolution lente et sûre de la ligne et de la forme, du détail et de l’accumulation, un langage essentiellement sémantique où le signe se perpétue, accordant sa présence avec l’affirmation des noirs et blancs qui deviennent couleurs. Naturelle dans sa continuité cette graphie polydimensionnelle émancipe sa tactilité dans les bosses striées dont l’échappée contraste avec son expression tabulaire. Le dire, ici encore, est répétitif aux fins d’insistance. Une véritable présence personnalise chaque pièce. Une essence terrienne se manifeste livrant sa forme à la courbe, tandis que, vers le ciel, s’échafaudent des abstractions linéaires : l’élégance n’est elle pas au rendez vous !

Un artiste digne de ce nom est pétri de culture. Concevoir un volume dans notre optique occidentale ne saurait se départir de la tradition volumique que nous laissèrent étrusques, celtes mais aussi les très savants sculpteurs des civilisations gréco latines ou renaissantes. Les grands volumes de Bernard Reyboz s’affirment dans la lignée de cette culture. Grimoires proposés sans autre vertu que leur offrande rythmée, les signes cunéiformes qui animent ses espaces ne sont ils pas messagers d’un devoir culturel ?

« Fossile d’un Malabar – Période pré-Mésozoïque (2004)
Photo Catalogue raisonné

L’humour qui se décèle, dans une forme inattendue, dans la bizarrerie d’une image, est visible ou sous jacent dans cette somme. N’est il pas une preuve d’indépendance ? Si la méthode et la continuité sont ici manifestation de constance absolue, n’affirme t-il pas que la vie doit être spirituelle ? Que l’alacrité critique, vis-à-vis de l’œuvre ou d’une philosophie choisie, est indispensable ? Tel l’enseignement que nous propose ce bel artiste... » (Février 2009-Michel Gaudet)

A suivre...

- Pour relire la première partie de cette chronique dédiée à Bernard Reyboz, cliquez ICI

- Pour relire la deuxième partie de cette chronique dédiée à Bernard Reyboz, cliquez ICI

- Pour relire la troisième partie de cette chronique dédiée à Bernard Reyboz, cliquez ICI

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