Patrick Moya, de l’art vidéo à la planète internet (1/2)
Analyse d’une œuvre
- DR
Patrick Moya, Installation Patrick Moya, 2011 [1]
DESCRIPTION
Cette peinture est totalement figurative et nous emmène dans l’univers de Moya tel que nous avons l’habitude de le connaitre : impossible d’échapper à l’autoportrait de l’artiste qui embrasse son double (l’effigie de Pinocchio), un troisième Moya qui monte sur une échelle pour peindre les lettres de la chemise, un quatrième cornu en bas à gauche, d’autres clones, les ailes, la brebis Dolly, les quatre lettres colorées qui composent son nom, le bestiaire et l’ours en peluche, la végétation luxuriante, le musée Moya dans le lointain…Ce n’est pas une énumération à la Prévert, mais un tableau riche et complexe qui demande un balayage visuel préalable pour en saisir toutes les composantes. En fait tout est connoté et renvoie aux éléments de sa création et de son existence.
INTERPRETATION
L’autoportrait occupe les deux tiers du tableau ; érigé comme sculpture polychrome, il nous rappelle l’importance que se donne le personnage par rapport à sa création artistique ; l’artiste est ici entièrement dans l’œuvre comme sa revendication de « la CREATURE dans l’art ». La prise de vue en légère plongée permet d’identifier plus aisément le regard attendrissant et les ailes qui donnent à l’artiste le statut de divinité.
Le personnage qu’il tient dans sa main – son double Pinocchio - a été inventé par ses soins en 1996, proche de sa caricature par les traits du visage et la simplification de la silhouette, et depuis devenu omniprésent dans ses œuvres. Ce personnage pourrait jouer par transfert le rôle de Jiminy, la conscience de Moya qui surveille en permanence ses agissements.
L’artiste se met à nouveau en scène à travers cet autre Pinocchio qui monte sur l’échelle, mise en abime de la création artistique et surtout de sa propre création par ces retouches finales de la peinture des lettres qui vont donner vie à l’œuvre, comme l’a suggéré Michel-Ange par la main de Dieu sur les murs de la Sixtine.
Par opposition, le double négatif de Pinocchio, en bas à gauche serait sa mauvaise conscience, avec les attributs de Satan, le rouge et les cornes du diable ; directement sorti des flammes de l’enfer, il s’oppose à la candeur évidente de la brebis Dolly, cet animal devenu culte des Dolly Party, des soirées techno branchées. Une seule échappatoire au démon et au serpent tortueux, la barque placée symétriquement en bas à gauche avec sa fuite hors du champ visuel. Cette succession de représentations de l’artiste sous des codes différents pourrait se référer à ses multiples activités (peintre, sculpteur, performer, animateur DJ, modèle nu), et à son dédoublement virtuel qui permet ainsi la multiplication de ses apparitions.
Son univers multiforme se compose aussi des quatre lettres de son nom qui s’éparpillent dans des positions et lieux différents sur la toile. Cette quête d’identité, véritable leitmotiv de sa création artistique, propose un parcours visuel qui nous permet de découvrir les multiples recoins du tableau, à l’instar des dessins/devinettes du dix-neuvième siècle.
Le musée Moya, sur la gauche s’érige vers le ciel au-delà de la sculpture décapitée, au milieu d’une végétation luxuriante, le paradis peut-être puisqu’un autre Moya/Pinocchio s’envole vers les cieux…clone coloré et virtuel, celui-ci, véritable Moya identifiable par les lettres de son nom, s’échappant comme un « Deus ex machina » hors de la scène, avec un rideau de théâtre dans la partie supérieure prêt à se refermer pour masquer tous les artifices du décor.
MORPHOLOGIE
La composition générale du tableau est séparée en deux par un axe médian servant de ligne d’horizon. L’autoportrait de l’artiste constitue l’élément de liaison entre le sol et le ciel et, par sa taille hors d’échelle semble attirer tous les éléments environnant qui gravitent autour de lui. Ce rayonnement de lignes obliques (l’épaule, l’échelle, le bras, la brebis, le profil de Pinocchio) vers le centre d’intérêt conduit le regard du spectateur vers les yeux de Moya qui semblent nous regarder.
Tous les espaces sont occupés, avec un remplissage ad-infinitum, dans un but évident de saturation de l’image ; on voit ici l’adepte avoué des théories de Mc Luhan et son occupation de l’espace. Le sombrero dans le ciel, les lettres-motifs de la chemise constituent autant d’animations de surfaces qui laissent peu de place aux zones de repos. Les différents procédés de l’image : le hors d’échelle avec le gigantisme de la sculpture, la double lecture avec la forme d’un cœur issue du baiser Moya/Pinocchio ou les lettres du nom qui se réfèrent à des objets identifiables, proviennent du monde du rêve dans lequel veut nous amener l’artiste.
SPATIALITE
L’éloignement spatial est suggérée par un semblant d’horizon, mais les différentes prises de vue démultiplient l’espace ; le grand autoportrait de Moya et la brebis sont vues en plongée, alors que son musée dans le lointain est perçu en contre-plongée pour accentuer son élévation. Moya invite ainsi le spectateur à se déplacer virtuellement comme si objets et personnages étaient vus à des moments différents.
La perspective s’affirme à travers quelques éléments de détail, comme les fuyantes des lettres ou le socle de la sculpture décapitée pour donner une certaine légitimité à la scène, alors que la plupart des éléments semble en lévitation.
CHROMATISME
Moya revendique l’utilisation des couleurs pures, ce qui est évident ici, et les primaires sont utilisées en quantité égale. Le bleu coeruleum semble davantage dominer, avec des rappels multiples, et surtout les reflets qui jouent à la fois sur les volumes et l’aspect irréel des personnages. Cette lumière froide papillote sur l’ensemble du tableau pour créer, avec les ombres violettes, un univers enchanté hors des conventions naturelles. Aux reflets s’ajoutent des auras utilisés comme tissus conjonctif entre les différentes scènes qui cohabitent : cette couleur jaune, proche des dorures saintes de la peinture classique, crée des échos multiples pour affirmer cette vision sacrée à travers les rappels des formes elliptiques du sombrero et de la lettre « o » mise en perspective : voilà les auréoles de Patrick Moya qui s’envolent dans le ciel !
A suivre...