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Béatrice Commengé, lauréate du Prix littéraire Audiberti 2021

Sur une proposition de Marie-Louise Audiberti, fille du grand auteur dont s’enorgueillit la ville d’Antibes, le Prix Jacques Audiberti a été accordé cette année à Béatrice Commengé, par un Jury « qui n’est pas batailleur », a précisé son Président, l’écrivain Didier Van Cauwelaert. Fondé par la ville d’Antibes en 1989, ce prix récompense des oeuvres en résonance avec la Méditerranée.

Ce sont des souvenirs privés que raconte Béatrice Commengé, tout en se gardant de confortables épanchements intimes.

Juste un besoin de s’inscrire dans une généalogie à travers ses souvenirs de crainte qu’ils ne s’enfuient de sa mémoire et lui échappent...

Dans son livre le plus récent paru aux Editions Verdier, « Alger, rue des Bananiers », elle nous parle de ses racines, en remontant aux sources jusqu’à l’installation de ses deux grands-pères sur la terre algérienne au début du 20e siècle. Elle décrit même l’Algérie d’avant, en s’appuyant sur l’histoire de ce pays, elle mène une véritable enquête sur toute la généalogie familiale qui la précède, remontant bien avant sa propre naissance.

Comment et pourquoi ( y a-t-il un pourquoi ?) ses deux grands-pères - « Bon Papa », le père de son père, et « Grand-père », le père de sa mère - sont venus, en 1912, sur cette terre nouvellement conquise par la France pour en faire un de ses départements de 1830 à 1962. « Liberté, égalité, fraternité » est inscrit sur tous les frontons, mais certains Algériens sont toujours restés exclus de ces trois mots. Hantée par une histoire complexe et parfois violente, l’Algérie est habitée par le fantôme du colonialisme avec son pouvoir hégémonique.

Eprouvant une nécessité viscérale à s’inscrire dans une généalogie, Béatrice Commengé remonte sans cesse le plus loin possible dans la succession de ses ancêtres, fait des recherches sur les lieux de leur passé, sur les combats aussi bien que les catastrophes naturelles (inondations, incendies,...) qui lui permettent de restituer l’histoire de chaque région, de chaque ville, et souvent d’en expliquer le nom avec une accumulation de réflexions et d’émotions.

Certains souvenirs et même recherches restent flous, d’autres sont précis.

Une opacité parfois déconcertante entraîne des interrogations et demeure un mystère. La description de photos en regardant comment chacun est habillé l’intrigue : une photo de sa mère avec son frère peut l’informer sur des liens familiaux et sur une époque selon les vêtements... L’auteure s’attache à de multiples détails et précisions comme pour prouver la véracité de ce qu’elle écrit. Pas question de se livrer à son imagination, de s’égarer dans un délire allègre.

« Le hasard m’a fait naître sur un morceau de territoire dont l’histoire pouvait s’inscrire entre deux dates, comme sur une tombe : 1830- 1962. Une histoire qui, comme toutes les histoires, aurait pu ne pas avoir lieu. »

Avec la distance littéraire, Béatrice Commengé raconte son enfance avec la remontée de sensations sans en faire une biographie romancée.

Elle a quitté ce pays pour la Métropole en 1961, sans connaître l’horreur la guerre ou même du départ obligé de 1962. Selon ses termes, elle peut ainsi avoir une « nostalgie heureuse  », à la fois de son enfance et de l’Algérie.

« Alger, rue des bananiers » est donc un livre de mémoire fondé sur l’absence de souvenirs. Un livre de mémoire sur des temps morts ou ses trous de mémoire qui réenchantent, en les convoquant, des souvenirs de sa famille en Algérie dont Béatrice Commengé parle en remontant jusqu’à l’époque de Napoléon III.

Elle accorde de l’importance aux lieux, aux décors, aux livres, en passant de moments de grande douceur et de joie de vivre, à l’horreur du bras cassé d’une petite fille par une bombe lors d’un attentat. Ce contraste saisissant est permanent.

Elle capte ce qui reste de l’Algérie chez ceux qui l’ont quittée, leurs souvenirs de jeunesse ou d’enfance, la musique, la danse, la cuisine, leur sens identitaire...

Elle décrit des paysages, les arbres souvent et les fleurs, mais ignore la mer qui borde Alger, surnommée la ville blanche. Place aux bananiers bien sûr, mais aussi aux oliviers, aux figuiers, aux bougainvillées, aux citronniers, aux amandiers... Des odeurs fruitées nous envahissent !

Béatrice Commengé se remémore cette maison à « Alger, rue des bananiers » où ses parents et elle occupaient le rez-de-chaussée, les trois arbres du petit jardin, les rues en escaliers, les voisins, les copains arabes avec lesquels elle jouait... Des souvenirs engendrent d’autres souvenirs. Elle commence d’ailleurs par les livres sur l’Algérie que son père a accumulés au point d’une invasion qui déborde de la bibliothèque dans toute la maison ... La nostalgie reste permanente, heureuse ou pas.

Arrivée en France, la famille s’est installée en Dordogne dans leur « maison de vacances », et c’est à Toulouse que Béatrice Commengé a fait des études de littérature anglaise et américaine en obtenant un Doctorat sur Virginia Woolf. Par ailleurs elle a déjà obtenu, en 1988, le Prix Max-Barthou pour « La Danse de Nietzsche » et, en 2004, le Prix Cazes pour « Il ne pleut jamais naturellement ». Encore un livre sur le temps et la mémoire qui convoque le poète allemand Hölderlin, et parle du drame de la perte de la mémoire. Décidément, le passé ne passe pas...

Caroline Boudet-Lefort

Photo de une (détail) Béatrice Commengé, lauréate du G. Prix littéraire 2021 Jacques Audiberti DR Ville d’Antibes Juan Les Pins

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