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Festival d’Avignon : Quelques-uns de nos coups de coeur

Sebastião Salgado « Amazônia »

Palais des Papes

Des photos de toute beauté, grandes (prises au sol ou par avion) dans une grande partie de l’Amazonie nous immergent dans ce paradis vert fait de plantes et d’eaux, celles de l’Amazone et de ses confluents, mais aussi celles du ciel, les rivières volantes qui transportent de l’eau en état de vapeur, des masses immenses qui se déplacent poussées par les vents. Des fleuves aériens qui acheminent l’humidité de la forêt d’un point à un autre, protégeant les terres de l’érosion et nourrissant les cours d’eau. Véritables veines et artères nées de la transpiration végétale qui protègent et font croître la forêt. Elles sont également à l’origine de mers d’eaux douces enserrant, découpant des îles.
Les admirables photos de Salgado, en plus de leur esthétique puissante, nous instruisent sur la formation de ces merveilleux paysages.
Deux cents photos exposés dans la Grande Chapelle du Palais des Papes nous montrent l’extraordinaire beauté et la complexité de ces univers qui sont loins d’être plats : il y a des montagnes, des méandres incroyables, une diversité géographique et climatique étonnantes : pluies torrentielles, mers de nuages, densité de la forêt et des mangroves, un fleuve Amazone si large qu’on ne peut voir ses rives.
Le nom « amazonie » fait bien sûr référence à la légende grecque, ce sont des soldats des premiers conquérants espagnols qui, se retrouvant à combattre des tribus comprenant des guerrières, ont donné au fleuve Maranon le nom d’Amazone. Car dans cette diversité fabuleuse vivent des hommes, certains (de moins en moins) vivant complètement en dehors de la « civilisation », une soit-disant civilisation qui les a détruits, esclavagisés, apporté toutes sortes de maladies et qui continue à les décimer. Le combat de Salgado rejoint aussi celui de centaines d’associations et de tribus se battant encore aujourd’hui contre des envahisseurs destructeurs de leurs cultures : des centaines de langues, de manières de vivre et de visions du monde différents. L’association créée par Salgado et sa femme prouve (à la fin de l’exposition) que des terres qui ont été spoliées peuvent se régénérer, être récupérées et qu’on peut faire de nouveau reculer les envahisseurs.
Accompagnée par des musiques, des sons pris sur place, et par des explications bien faites évoquant la vie de quelques tribus, l’exposition est d’une rare richesse esthétique et émotive.

Tartuffe ou quand les femmes prennent le pouvoir

Théâtre de l’Adresse, 2 avenue de la Trillade 84000 Avignon

La célèbre pièce de Tartuffe est revisitée par trois femmes qui jouent tous les rôles. Au texte d’origine en alexandrins ont été rajoutés des chansons contemporaines, des jeux de mots et des répliques très actuelles. Le rythme a été fortement accéléré et les comédiennes virevoltent d’un personnages à un autre grâce à de petits masques et quelques tenues. Les actrices qui sont également musiciennes sont excellentes et nous font passer un bon moment.

Les Etoiles » : Philippe Caubère conteur et magicien

Condition des soies- 13 Rue de La Croix

Dans ce spectacle joué dans l’antre de la Condition des soies (le lieu où les soies étaient humidifiées pour être protégées), Philippe Caubère est un merveilleux conteur. Ils nous entraîne avec Daudet dans de poétiques histoires provençales qu’il joue sans jouer. Ce ne sont pas des lectures, mais une « envie de s’amuser et d’amuser les autres, petits et grands. Et si possible, de les toucher. Une chose qui me ramène à l’enfance, la mienne comme celle de tout le monde. L’enfance de l’art aussi. Voilà, juste ça : des histoires, des paysages, des personnages, des accents. Et un pays. Le mien : la Provence. »
Le spectacle complet est en trois soirées. Dans la dernière, « Le Phare des Sanguinaires », L’Agonie de « La Sémillante », Les Vieux, Le portefeuille de Bixiou, Le Départ, La cabane, Le Vaccarès (la Camargue) et Les Étoiles, il nous livre des textes moins connus dont il fait ressortir la poésie intense cachée sous des mots simples. La culture provençale, sa vision de son païs nous enchante. Pris par le charme des mots de Daudet et la présence puissante et sereine de Caubère nous projettent dans des paysages, des atmosphères qui éveillent en nous une nostalgie profonde.

Le journal intime d’Adam et Ève


Shams théâtre, 25 rue Saint-Jean Le Vieux

Belle idée de faire parler Adam et Ève, d’évoquer leurs premières rencontres et les suivantes. C’est Ève qui raconte, elle parle beaucoup, pense Adam. Elle se demande qui est cet individu étrange qui passe son temps dans les arbres : un reptile peur-être ? un singe ? Elle le surveille, essaie de l’approcher, de le comprendre et finit bien sûr par l’apprivoiser.
Lui aussi s’interroge, mais ne tient pas vraiment à passer du temps avec cette personne avant bien sûr, d’en tomber amoureux. On connaît la suite : le serpent qui parle, la pomme, le premier bébé, etc. C’est bien joué et sympathique.

Mahalia et moi

Shams théâtre, 25 rue Saint-Jean Le Vieux

Le Shams est un charmant petit théâtre très accueillant, en même temps bar et restaurant situé au cœur d’Avignon qui met en avant de jeunes compagnies émergente et des formes théâtrales originales à découvrir.

Florence Aubrun nous convie au bord du Mississippi en compagnie de Mahalia Jackson, la Reine du Gospel. Ce chant religieux (gospel, godspel : appel à Dieu) est une expression de la souffrance des Noirs récemment émancipés, une révolte musicale née dans une Amérique raciste. Mahalia Jackson a lutté avec Martin Luther King pour l’obtention des droits civiques. Elle disait : «  Je chante du Gospel car cela me donne de l’espoir...".
Comme elle, Florence accompagnée de ses musiciens : Pierre Auguste Bona à la batterie et Rantely Rambeloson au Synthé, nous chante les grands standards des negro-spirituals : Amazing Grace, Nobody Knows the trouble I’have seen, Take my hand Precious Lord, ainsi que quelques unes de ses créations originales, certains repris par la salle tant ces chansons ont traversé le temps et les mers.
Des extraits musicaux, de moments historiques comme : « I have a dream  » de Martin Luther King, des marches pour les droits civiques et d‘interviews de Mahalia et de Thomas Dorsey, son pianiste, contribuent à nous plonger dans l’ambiance des années 50-60 aux États-Unis,

Very math trip

Théâtre Le Palace, 38 cours Jean Jaurès

Manu Houdart, un prof de maths belge s’est mis en tête de nous intéresser à sa science non reconnue par le Nobel car la femme de M. Nobel avait un amant mathématicien. À quoi ça tient la science des fois ! Enfin, il est emphatique et nous introduit dans les merveilles des mathématiques avec par exemple, en nous expliquant comment M. Gauss (celui de la célèbre courbe), enfant déjà doué, avait trouvé la manière d’additionner les nombres de 1 à 100 sans se fatiguer à faire toutes les opérations. Sa courbe nous apprend entre autres qu’il suffit de 23 personnes pour avoir deux dates de naissance (le jour et le mois) identiques, mais le plus épatant c’est la notation pastedGraphic.png. Manu Houdart, pendant le confinement a appris dix milles décimales (leur suite est non logique) de ce chiffre-monde infini : 3,14159265358979323846264338327950288419716939937510582, etc.
Sur scène, il en fait la démonstration en demandant à un spectateur le lire les premiers chiffres de la ligne d’une page au hasard et il en déclame la suite sans se tromper (en se concentrant un peu quand même). D’autres opérations où il fait participer le public nous font la démonstration que les maths, c’est pas si compliqué et que surtout, qu’on y découvre très souvent des effets « Whaoo ! ». On ne suit pas tout, mais les projections sur l’écran et l’énergie du prof nous font passer un moment participatif agréable.

Antonio Placer « Trovaores »

Théâtre du Rempart
56 rue du Rempart Saint-Lazare

Un guitariste d’un immense talent (Juan Antonio Suarez Canito), deux chanteurs émouvants (Antonio Placer, Javier Rivera) et un beau et puissant danseur (Rafael Campallo) composent ce quartet de flamenco bouleversant. Comment la musique venue du fond des âges (et des tripes) de Galicie, d’Andalousie et des troubadours d’Occitanie, enrichie de toutes ces influences, parvient à l’expression intense des sentiments, et particulièrement celui du désespoir amoureux.
Nominé (catégorie meilleur artiste) aux Victoires de la Musique 2022, Antonio Placer revisite et réinvente le flamenco, nous faisant vivre un prodigieux moment d’émotion musicale. A ne pas rater, un concert exceptionnel.

Futur proche

Palais des papes

Un clavecin aux mains d’une virtuose (la polonaise Goska Isphording) fait virevolter dix-sept danseurs d’âges différents, dont deux enfants, dirigés par le chorégraphe Jan Martens.
Rien ne ressemble à ce ballet d’une originalité et d’une liberté rares. Les danseurs sont dans leurs tenues de tous les jours, pieds nus ou non, et chacun semble jouer sa propre partition, se mettre en mouvement avec ses propres gestes. Sur un rythme effréné, ils se meuvent sur toute la largeur de la scène immense du Palais des Papes. On ne peut pas les voir tous, le regard est obligé de se déplacer pour voir la danse de chacun ou de petits groupes, ainsi chaque spectateur assiste à une représentation différente, il réalise en quelque sorte son propre spectacle. Et c’est fascinant. Il y a bien sûr des moments où les danseurs se regroupent et se déplacent en même temps, des instants où on peut tous les suivre, mais tout s’accélère et ils tournent très vite autour d’un grand banc au centre de la scène (où ils sont assis au début).
Une belle invention scénique nous surprend : une petite caméra posée à terre filme de près les danseurs placés devant elle. L’image hyper agrandie est projetée sur la façade du Palais. Les danseurs de dix mètres de haut jouent avec la caméra et nous offrent des chorégraphies étonnantes incluant des visages, des torses, des jambes et des corps surdimensionnés. De belles et étonnantes images de danseurs comme on n’a jamais vu.
Suivent d’autres séquences autour de thèmes différents : un groupe dans une petite piscine qui se remplit à l’aide de seaux de couleurs portés par les danseurs, une danse où les corps s’accroupissent puis se redressent de bas en haut, presque sans déplacement, et d’autres trouvailles chorégraphiques étonnantes montrant la richesse et l’originalité de ce ballet qui se joue des codes, offrant à chaque participant le pouvoir d’exprimer ses propres interprétations et aux spectateurs de nouvelles émotions.

Photo de Une : Deux cents photos superbe de l’artiste Sebastião Salgado exposés dans la Grande Chapelle du Palais des Papes (détail) ©A.A

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