| Retour

Festival d’Avignon : on en redemande !

Les aventuriers de la cité Z

Cinevox, 22 place de l’horloge

Tout va très vite, les quatre comédiens énergiques : Régis Lionti, Leïla Guigue, Loîc Trehin et Cyril Benoit enchaînent les rôles et situations, pastichant les films d’aventure à la Indiana Jones.
Une jeune britannique à la recherche de son père disparu en Amazonie embauche un faux aventurier inculte et ringard pour l’y accompagner. Un nazi les poursuit pour leur voler le plan conduisant à la cité Z, une cité disparue, ersatz d’Eldorado. Vingt-six décors délirants changent à vive allure : projections, peintures sur de grandes toiles de fond, accessoires, costumes, et la mise en scène dynamique de Aymeric de Nadaillac donnent à ce spectacle une grande vigueur comique.

Tumulus

Fabrica, 11 rue Paul Achard

Comment allier danse et chant ? Le chorégraphe François Chaignaud et Geoffroy Jourdain, directeur de la compagnie des Cris de Paris, ont réussi l’exploit de présenter treize excellents danseurs-chanteurs en mouvement permanent qui courent, glissent, et grimpent sur un tumulus occupant la plus grande partie de la scène.
Belle idée que de faire mouvoir des corps sur des surfaces non plates qui permettent de nouvelles relations entre le corps et l’espace. Autre intéressante trouvaille, les corps sont engoncés dans des doudounes rembourrées plus ou moins épaisses qui changent l’allure des corps d’autant qu’elles sont portés différemment (sur la tête, le dos, devant, derrière, etc.), par chaque acteur. Le peu de lumière favorisant l’aspect, on assiste à un ballet de corps humains tous différents. Les chants polyphoniques inspirés de la Renaissance et les chœurs contemporains qui s’élèvent confèrent à ce spectacle total une grande originalité.

Exposition « Maria Casarès, Gérard Philipe, une évocation »

Maison jean Villar

Une exposition mettant les vies de Gérard Philippe et Maria Casarès en parallèle pour le centenaire de leur naissance (ils sont nés à une dizaine de jours près : Maria Casarès à La Corogne en Galice et Gérard Philippe à Cannes).
Tous les deux se sont fait connaître juste après guerre et sont devenus des idoles, des icônes pour toute une génération avide de liberté et de modernité. Tous les deux sont nés au sein de familles d’intellectuels engagés. Maria a dû fuir l’Espagne franquiste avec sa mère pour se réfugier en France et entame à vingt ans une carrière de comédienne.
Maria la sombre rencontre Albert Camus en 1944 chez Michel Leiris, et entament une relation amoureuse, mais Albert est déjà marié et doit rompre leur idylle qui se maintiendra plus ou moins secrètement jusqu’à sa mort accidentelle en voiture qui suit de peu celle de Gérard Philippe.
Gueule d’ange, icône romantique du cinéma français, le lumineux Gérard est déjà célèbre quand il rencontre Maria en 1947 dans la pièce Les Epiphanies d’Henri Pichette et la retrouve au cinéma en 1948 pour La Chartreuse de Parme de Christian-Jaque. Au fil de leurs rencontres de cinéma et de théâtre, une amitié amoureuse les lie.
Tous deux vont marquer le théâtre et particulièrement Avignon et la période Villarienne. Du Cid et de Macbeth à Phèdre, Gérard et Maria ont figuré la grâce, la jeunesse et l’engagement, en incarnant dans l’histoire du théâtre et du cinéma les grandes épopées mythologiques françaises et européennes.

La Parenthèse du Mimosa


Théâtre L’Optimist, 50 rue Guillaume Puy

Un joli titre qui donne envie d’aller voir ce qui se cache dessous, car Avignon en juillet avec ses 1540 spectacles du Off et sa cinquantaine du In nous oblige à des choix compliqués mêlant des recherches objectives (spectacles signalés par la presse) et très subjectifs : un thème, un auteur, et pourquoi pas, un titre ?
Celui-ci était poétique et mystérieux, je lis le pitch : « la rencontre d’une jeune parisienne et d’un barman baroudeur alcoolique revenu d’Afrique ».
En fait, c’est bien plus que ça : ce sont deux vrais personnages complexes et incarnés.
Elle débarque dans son bar à l’heure de la fermeture, il veut la virer, mais elle s’incruste et un dialogue désabusé d’un côté et déterminé de l’autre s’instaure. La jeune femme (Marie Ronarch, excellente) et le vieil homme (Jean-David Stepler, très vrai et touchant) ont finalement des choses à se dire. Et beaucoup plus que ça : un secret qui va progressivement se dévoiler…
La mise en scène minimale avec juste quelques déplacements du bar, de la table et des chaises, donne à cette rencontre de deux mondes une densité remarquable due à l’écriture affinée de Grégoire Aubert (un auteur prolifique qui a plus de 25 pièces à son actif). Un spectacle authentique avec l’Afrique noire francophone en arrière-plan. À ne pas rater.

La priapée des écrevisses de Christian Siméon

Chien qui fume 24, boulevard Saint-Michel

Le titre là aussi peut être déclencheur, mais c’est surtout le nom d’Andréa Ferréol, arrière-petite fille de Frédéric Mistral, qui nous attire : l’actrice de La Grande Bouffe, des Galettes de Pont Aven et du Dernier Métro entre autres, là, sur scène, devant nous allait être un moment exceptionnel.
Elle incarne avec fougue un personnage puissant, celui de la belle Marguerite Steinheil, célèbre amante de Félix Faure, mort à l’Elysée dans ses bras (une terrible pipe, paraît-il) et mêlée à des crimes comme ceux de la mystérieuse affaire du double meurtre de l’Impasse Ronsin.
Un journaliste (Vincent Messager) est là pour interroger « La Sarah Bernhardt des Assises », mais elle n’en fait qu’à sa tête et décide que l’interview se passera pendant qu’elle cuisine. Métaphores culinaires et sexuelles sont bien sûr de mise, et la « vraie histoire » de la belle dévoilée.
L’écriture enlevée de Christian Siméon qui joue sans cesse avec des sous-entendus ponctué par des chansons dans le style d’époque interprétées par Pauline Phelix et des doubles-sens comiques entraîne les rires communicatifs de la salle.

Journal d’un malentendant et ses malentendus

Ambigu Théâtre, Place des Corps Saints

Quand j’ai lu le titre de cette pièce, je me suis dit : « c’est pour moi, faut que j’aille voir et entendre ce que l’auteur-acteur va m’apprendre  ». Il faut dire que je fais partie de la grande confrérie des « malentendants ».
Une personne sur dix, paraît-il est atteinte d’une déficience auditive, une personne de moins de vingt ans sur 25, mais une personne sur trois parmi les plus de 75 ans. Il suffit de voir dans les villes le nombre d’enseignes de centres auditifs (dans ma rue, il y en a trois) pour voir que je suis loin d’être seul et que le commerce de l’audition se porte bien (même les lunetiers s’y mettent). Ce trouble ne concerne pas les sourds profonds qui sont une tout autre déficience, bien plus grave, qui survient dès la naissance, suite à diverses maladies ou à des accidents. Cette dernière cause est celle qui a foutu en l’air la vie de l’auteur qui jusque là menait une vie d’acteur bien remplie (films, séries télé, etc.), mais comment poursuivre dans ce métier quand on n’entend plus le son de sa voix ?
C’est ce que nous raconte Frédéric Deban dans ce spectacle-témoignage né de notes puis d’un livre écrit pendant sa période de surdité profonde.
C’était bien loin de mes problèmes et de ceux de millions de malentendants, comme on nous appelle, qui entendent encore un peu et sont sérieusement aidés par cette industrie des appareils auditifs en plein essor.
Le « spectacle » auquel j’ai assisté évoquait des problèmes bien plus graves que ceux que je connais depuis bientôt trente ans, notamment celui de l’identification par mes amis et par moi-même au célèbre professeur Tournesol. Je m’attendais à rire des « lapsus auditifs », ou des quiproquos et malentendus provoqué par des ratages d’informations essentielles ou mal comprises. Bien sûr, souvent je faisais répéter, mais après avoir signalé deux trois fois à mes interlocuteurs mon problème d’audition, j’abandonnais car s’il faisaient un effort pour parler plus fort pendant quelques secondes, leur voix avait tendance à baisser très rapidement. Je faisais alors semblant de comprendre et mettais rapidement fin au dialogue. Je craignais par dessus tout les gens qui chuchotaient ou n’articulaient pas assez et je fuyais ceux qui parlaient trop bas. Pour la télé et la radio, c’était casque obligatoire et pour le reste, je décidai « que comme ça, j’entendrais moins de conneries… »
L’histoire que nous raconte avec émotion Frédéric Deban est bien plus terrible. Dans une bagarre, une bouteille lui heurte le front et d’un coup, c’est silence radio, même pas le son de sa voix, il est diagnostiqué « surdité profonde bi-latérale » et subit des acouphènes terribles : « un Boeing 747 en phase de décollage  ».
Il est alors en Afrique, on le rapatrie d’urgence à Paris, on tente de le soigner, mais c’est pas évident…
Allez l’écouter, son récit est poignant. Il évoque les cinq années passées à revoir sa vie, à se retrouver face à lui-même, puis sa longue rédemption et enfin comment il a pu réentendre enfin la musique qui lui manquait plus que tout. Ce n’est pas un « spectacle », ni une confession, ni un simple témoignage, mais un dialogue vrai, fin et intelligent avec ceux qui sont là, et pour nous les malentendants (Lacan dit que lorsque deux personnes sont d’accord, c’est qu’il y a un malentendu), ça remet les problèmes à leur place.
Tous les malentendants et les autres devraient aller écouter Frédéric Deban. D’ailleurs, il y aurait un film à faire de cette histoire.

Toutes photos de l’article ©A.A

Artiste(s)