Coppélia est un personnage iconique de la danse. Cette poupée automate a inspiré nombre d’adaptations chorégraphiques, toutes époques et tous styles confondus. L’histoire de ce robot inanimé, capable de faire vibrer le coeur d’un jeune homme malgré son regard vide, est un formidable moteur à fantasmes : magie, métamorphoses et quête amoureuse se mêlent dans une irrésistible évocation. Les divers épisodes donnent de la consistance à la tragédie intime des personnages.
Le rideau se lève sur un plateau plongé dans une brume à la fois visuelle et sonore, grâce à la partition hybride, avec certaines parties écrites par Bertrand Maillot (frère du chorégraphe) jointes à des arrangements de la musique originale de Léo Delibes à laquelle se mêlent des instruments virtuels. Le spectateur est projeté dans un monde futuriste, aseptisé, où tout est blanc. Les personnages apparaissent comme des ombres dans de beaux effets de contre-jour.
Parmi eux, Coppélius, un savant fou qui a inventé Coppélia, une créature androïde aux gestes mécaniques dont un jeune homme tombe amoureux à la veille de son mariage. En s’introduisant dans l’atelier du démiurge, sa fiancée prend la place de Coppélia, en imitant ses gestes de poupée automate. Dans un final insolite, Coppélia détruit son créateur, afin d’échapper à sa condition de robot.
Nombre de spectateurs risquent de s’égarer s’ils s’entêtent à suivre l’histoire de Coppélia et de son savant possessif qui s’oppose au jeune homme amoureux d’elle. Mieux vaut s’abandonner à la pure magie de la danse qui se conjugue à celle de la musique, à ce surgissement incongru d’indicible qu’on ne ressent que là, devant un spectacle chorégraphique d’une telle qualité.
Pour cette créature extra-terrestre, son allure de danseuse robotisée d’une extraordinaire agilité en fait une rivale mystérieuse et maudite. Cette poupée mécanique pourrait-elle ressentir des sentiments ? éprouver des émotions ?

Ce ballet entraîne chaque spectateur à se poser de multiples questions. Jusqu’à quand appartiendrons-nous au genre humain ?
Nous ne sommes plus dans la S. F. d’antan. Aujourd’hui notre libre-arbitre est déjà chamboulé. Ne sommes-nous pas en train d’être dépassés par l’I. A. ? L’intelligence artificielle ne prend-elle pas de plus en plus de place dans notre quotidien ? Les algorithmes transforment nos vies, nous ne maîtrisons plus l’escalade. Il y a bien déjà des poupées sexuelles pour répondre aux fantasmes érotiques. Où sont les émotions, les affects, les pulsions ? La réalité virtuelle uniformise et donc affadit l’environnement de chacun.
Dans « Coppél-I.A. », l’alchimie est totale entre la musique et la danse. L’étonnante trame composite de la musique, ni classique ni contemporaine, colle à l’histoire interprétée par les danseurs de ce ballet futuriste. Malgré leurs gestes d’automates, les mouvements des danseurs restent gracieux, souples et sensuels. La révélation est la merveilleuse Lou Beyne qui interprète une époustouflante Coppélia. Anna Blackwell est parfaite également en rivale jalouse, comme Matèj Urban et Simone Tribuna dans les personnages de Coppélius et de Frantz, le jeune homme amoureux.
La scénographie de cet univers planétaire et les audacieux costumes d’Aimée Moreni sont magnifiques, passant de délicieuses et amusantes robes à cerceaux à d’autres tenues d’un monde futuriste où l’imagination montre la danse comme un songe. Et tout sonne juste !
A la fin, les applaudissements et les sifflets d’euphories sont interminables. Le public clame sa joie et le plaisir ressenti d’avoir vu cet exceptionnel spectacle. Bravo !
Caroline Boudet-Lefort