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Sortie ciné : Lettre à Franco d’Alejandro Amenabar

Le film commence par la déclaration de l’état de guerre à Salamanque et dans toute l’Espagne : pas plus de trois personnes ensemble, etc.... Cette guerre civile fera 400 000 morts par les armes, sans compter ceux dus à la famine et à la misère durant cette république dictatoriale. « Lettre à Franco » se déroule durant l’été 36. Grâce à quelques échappées sur de superbes paysages, on peut voir l’éclatante luminosité de l’Espagne, ce qui évite au film d’être totalement sombre durant cette période de guerre civile qui a duré de 1936 à 1939, début de quatre décennies de dictature.

Le célèbre écrivain espagnol, Miguel de Unamuno, n’a pas aussitôt compris les remous de l’histoire de son pays. En 1936, aveuglé par sa fidélité à la jeune république espagnole, il soutient les nationalistes, faisant même un don de cinq mille pesetas à la junte militaire, sans trop connaître son rôle funeste. Ce geste lui sera reproché tout au long du film – comme probablement dans la réalité - par ses meilleurs amis et par la veuve du Maire, exécuté dès la prise du pouvoir par les généraux fascistes qui clament « Viva la muerte ! » comme un cri de vainqueurs.
Figure importante de la vie intellectuelle espagnole, Miguel de Unamuno est nommé en 1936 recteur de l’Université de Salamanque. Même s’il n’a pas d’emblée bonne opinion de Franco et toute sa clique, il reste persuadé que l’Espagne doit rester une république et que seul ce parti évitera de revenir à la royauté.

Mais Unamuno sera vite démis de ses fonctions, dès lors où ses yeux s’ouvrent sur l’horreur des arrestations et des exécutions arbitraires de tous ceux qui ont une opinion opposée. Pour que ses yeux se dessillent enfin, il aura fallu les reproches de ses filles d’abord, puis des deux proches compagnons de son habituel café quotidien, le pasteur Atilano Coco et Salvador Vila, un de ses anciens élèves. Et surtout, il faudra leurs exécutions sous les armes franquistes pour qu’il comprenne enfin combien il s’est fourvoyé.

« Lettre à Franco » se déroule dans cette courte période où Unamuno comprend son erreur en voyant les agissements du régime qui a pris le pouvoir par la force en tuant à tout va.

Quoique concentré sur vieil écrivain, philosophe à la candeur naïve, le film vaut par une révision des événements bien connus de tous : la prise du pouvoir d’un système despotique et ossifié de généraux qui se cramponnent pour défendre leurs privilèges. Amenabar s’est adressé à des historiens pour s’assurer de la véracité des faits, mais il ne pourra éviter au film quelques controverses.
Au cours d’un discours dans l’amphithéâtre de l’université, Unamuno dit le fond de sa pensée en déclarant « Vous vaincrez, mais vous ne convaincrez pas ». Ressenti par l’assemblée comme un élément perturbateur, il se trouve vite conduit vers la sortie où seule la femme de Franco lui tend la main. A-t-il signé son arrêt de mort ? Il disparaîtra quelques jours plus, tard terrassé par une crise cardiaque, à 72 ans.
Le film est avant tout l’univers de la grandeur morale de cet homme touchant dans sa candeur. Sobrement interprété par Karra Elejalde, il est entouré d’excellents comédiens vibrants pour exprimer les horreurs dont ils sont témoins. Avec « Les Autres » et « Mar adentro », le réalisateur espagnol Alejandro Amenabar ne nous avait guère habitués à ce cinéma engagé qu’on ne peut qu’apprécier !
Caroline Boudet-Lefort

Sortie en salles : 19 février 2020 / 1h 47min / Drame
De Alejandro Amenábar
Avec Karra Elejalde, Eduard Fernández, Santi Prego

Visuel de Une : Karra Elejalde |Copyright Teresa Isabi

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