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L’homme qu’on aimait trop

D’André Téchiné.
Alors qu’elle revient d’Afrique après l’échec de son mariage, Agnès (Adèle Haenel) échoue à Nice chez sa mère, Renée Le Roux, avec laquelle elle garde une relation complexe. Aussi brigue-t-elle son indépendance. Il faut dire que Renée (Catherine Deneuve) a une forte personnalité et une position d’importance dans la société niçoise puisqu’elle dirige le Casino du Palais de la Méditerranée. Agnès tombe follement amoureuse de l’avocat de sa mère, Maurice Agnelet (Guillaume Canet), et vend ses parts du Casino, ce qui va mettre en difficulté Renée Leroux, déjà démunie suite à une partie truquée par le directeur du Casino concurrent, Fratoni (Jean Corso, parfait en mafioso corrompu). Culpabilisée par son comportement et rejetée par son amant, Agnès disparaît....

Ce thriller est donc bien l’affaire réelle de la disparition d’Agnès Le Roux pour laquelle Maurice Agnelet est accusé de meurtre. Sans preuve, ni cadavre.

Trente-sept ans plus tard, rien n’est élucidé, le procès se poursuit avec un coup de théâtre en avril dernier, alors que le film était terminé. Le fils d’Agnelet a accusé son père d’être le coupable et d’avoir enseveli le corps en Italie.

A la proposition d’adapter librement les mémoires de Renée Le Roux, écrites par son fils Jean-Charles « Une femme face à la mafia », Téchiné a aussitôt pensé à Catherine Deneuve, déjà interprète de six de ses précédents films où il la tirait vers l’ordinaire, le quotidien. Cette fois, il l’a voulue sophistiquée pour jouer Renée Leroux, toute en bijoux et tenues huppées, méprisante et égoïste en régnant sur le temple du jeu de la Promenade des Anglais. Guillaume Canet joue un inquiétant Maurice Agnelet, à la fois séducteur et ambitieux. Affolé par l’exaltation amoureuse d’Agnès, magnifiquement interprétée par Adèle Haenel, sportive, insoumise et même rebelle. Très émouvante aussi en amoureuse excessive qui ose une énergique danse africaine qui l’entraîne jusqu’à la transe. A ce triangle passionnel sur fond de guerre des casinos, il faut ajouter Fratoni, personnage pivot qui, en soudoyant Agnès, tire les ficelles à son avantage et coule Renée Le Roux.

Avec son habituelle mise en scène efficace et une narration limpide, sans esbroufe, André Téchiné a trouvé dans ce fait divers tous ses thèmes favoris : une passion dévorante, des tensions familiales, des luttes de pouvoirs, des manipulations, des mystères dramatiques ... Aussi n’a-t-il pas cherché à déplacer l’histoire du côté de la fiction et a-t-il préservé tout le mystère de cette disparition, sans donner des explications ni boucher les trous avec ses propres hypothèses. Son inscription dans le réel en fait déjà un thriller niçois d’autant plus excitant qu’il n’y a toujours pas de résolution. Le cœur du film est la disparition d’Agnès. Téchiné en fait une disparition aussi inexpliquée que celle de L’Avventura.

On a pu reprocher à Téchiné de n’avoir donné aucun point de vue sur l’affaire, mais, dès le début du projet, il avait annoncé qu’il ne ferait pas un film à charge contre Agnelet. Est-ce pour cela qu’Agnès est présentée comme instable, limite déjantée, sinon borderline ? La victime devenait ainsi la coupable. Non ! Ce qui intéressait le cinéaste, ce sont les relations humaines où l’argent pèse beaucoup, une économie concrète qui dévore celle des affects. Il insiste aussi sur l’histoire, banale, d’une femme amoureuse d’un homme qui l’est moins. Ce serait dans ce « moins » que le drame s’est engouffré.

Renée Le Roux s’est toujours acharnée à faire condamner Maurice Agnelet, mais, en fait, la pleine lumière n’est toujours pas faite sur l’affaire qui provoque encore des vagues judiciaires. Tout ce panier de crabes – une société de prédateurs – s’agite dans cette ville de soleil, de palmiers et de mer qu’est Nice dont le film montre la belle luminosité !

Sortie en salles le 16 Juillet 2014

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