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CHAPITRE 41 (part V) : L’Hommage à Bruno Mendonça (fin)

Suite et fin de l’hommage rendu à l’artiste Bruno Mendonça par France Delville...

Gilbert Pédinielli invite le public à sa rituelle distribution de « tracts », ici une photographie de Bruno explosant de rire, avec la mention « dix-huit accidents de moto et un putain d’escalier »…

Tract de Gilbert Pédinielli
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Frédérik Brandi lit un texte demandé par Janie Pédinielli, et Frédérique Verlinden, conservateur en chef du Musée de Gap explique comment, pour le catalogue, Bruno a tenu à ce qu’il y ait tant de photos de ses amis, une sorte de « famille »…et Olivier Garcin habillé de noir fait l’oiseau, on comprend à demi-mot qu’il a montré ce projet à Bruno, et puis, sous la forme d’un Icare sous-entendu (un Grec…), il lance, tel un démiurge, quelques épisodes intimes dont seuls Bruno et lui auraient eu connaissance, cela a l’allure d’une transe, d’une séance devinatoire, et ce jus d’orange dont il s’asperge demeure tout aussi mystérieux, et c’est parfait… et alors l’âme est évoquée, dépassant la surdité du corps, c’est archaïque en diable, une espèce d’exorcisme que Bruno aurait certainement apprécié…

Pierre Le Pillouer lit un extrait du livre que Philippe Boutibonnes a consacré à une amie disparue, Eve Gramiützky, adapté pour Bruno (je l’ai mis presque intégralement dans le clip) inté : « Nous appartenions infailliblement à une même histoire, à une même fratrie fondée sur l’inquiétude, sur les tourments et sur les déceptions partagés…. A l’attachement pour l’ami en allé, s’ajoutent la reconnaissance et le devoir (paroles et pensées) dont nous sommes 1es débiteurs à l’égard des morts, à l’égard de ceux qui nous ont quittés, nous abandonnant pauvrement vivants et inapaisés, coupables oui, coupables de n’avoir pas su les convaincre de continuer à vivre ; de n’avoir su ni les retenir ni les accompagner ou les suivre. Vivant encore, nous sommes toujours ici dans le même présent appauvri, qu’ils ont déserté ; eux n’y sont plus, ils demeurent et pour toujours encore – dans un territoire lointain, inactuel, sans lieux, sans dates, sans limites, sans marges et sans repères, où rien rien, ce qui excède la seule privation, rien ne peut advenir. Comment rapprocher les mondes inconciliables et irréconciliables des vivants et des morts ? Comment se faire entendre des défunts, eux qui ne parlent plus notre langue et nous qui n’avons pas encore appris la leur ? C’est à Bruno pourtant que je voudrais une fois encore et peut être une dernière fois – m’adresser pour lui dire ce que je n’avais pas su formuler dans notre langue commune, désormais et à jamais morte pour lui. Mais les mots étrangement se dérobent. Je ne peux que ressasser ce que lui savait déjà pour l’avoir entendu et que je répète maladroitement comme si l’itération n’avait pour seule fonction que de conjurer ce qui n’a lieu qu’une seule fois et une fois pour toutes.

Et Elisabeth Morcellet a fait une très jolie performance sur les Terrasses du MAMAC, au Jardin d’Eden, où elle a entraîné le public, elle a distribué des fragments d’un Hommage à Bruno Mendonça intitulé « A l’eau de la jetée », qui est le récit d’une rencontre avec Bruno au printemps 1987 où peut-être ils ont fait une vidéo sur la jetée du port de Nice, rien n’est sûr mais c’est très beau, et chacun avec son petit bout de la Princesse de Clèves version Ecole de Nice, en tous cas la présence du vent et des embruns…la jetée… se jeter…vent hurlant… creuser la langue etc. Cet hommage à Bruno est plein de magnifiques textes et propositions, je répète qu’il faudrait les réunir, je vais demander à Patrick Boussu… Et puis Elisabeth a distribué la carte postale « Yokochord », où Yoko Ono demande aux gens de la planète d’allumer des torches, des lampes de poche, des bougies, des feux de broussaille… j’en rajoute, mais c’est toujours la même chose : faire de la lumière, et dire : je vous aime… Sur toute la planète. « Je fis un feu, l’azur m’ayant abandonné, un feu pour être son ami… », ça c’est de l’Eluard, et comme je n’ai pas la place pour mettre les textes de tout le monde in extenso, je fais comme Patrick Boussu, je me rabats sur le « ressenti ». Et ce que je ressens, c’est que c’était infiniment émouvant, comme l’était Bruno. (

Bruno aux ateliers Spada, 2008
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Et Alexandre de la Salle, dans l’auditorium après Madame Verlinden, avait eu envie que je relise cet échange joyeux entre lui et Bruno à l’époque du Paradoxe d’Alexandre, qui marquait la présence définitive de Bruno Mendonça dans « l’équipe » de la galerie Alexandre de la Salle, et sa présence définitive dans l’Ecole de Nice.

Exposition particulière à la galerie Alexandre de la Salle en 1997
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« Cher à l’ex t’es rieur, avait-il écrit à Alexandre, ta galerie fut un paquebot s’arrachant au port de St Paul, explorant la Méditerranée, s’aventurant sur quarante années de navigation bien au-delà des collines, des cols de Vence ou Nice... Tu as jeté un Boomerang explorateur qui n’est toujours pas revenu, chargé de souvenirs, de mémoire vive, brûlante, il fait son tour du monde. J’essaye à travers les Installations de « Bibliothèques Ephémères », les éditions, les gravures, les créations d’alphabets et de civilisations imaginaires, les livres-sculptures, l’emploi de matériaux renouvelés, de bousculer ce monolithe, ce cube sur lequel nous passons d’une face à l’autre, tels des alpinistes. Pouvoir visiter les six faces grâce à nos cinq sens, permettant de découvrir les quatre points cardinaux, pourrait être une nouvelle carte de V.R.P. « Voyageurs Rebondissant Perpétuellement ». Tentative de conjuguer novation, imaginaire linguistique et formel dans un déséquilibre compensé par un souffle permettant au prao d’arriver à bon port, celui de la peau du globe ». Et Alexandre lui avait répondu : « Bruno est insatiable... Il parle le monde, il le recense, il le fait, il le refait, il le capte, l’entasse, le dissèque, le peint, le dessine, l’hallucine, et s’il n’avait peur de le perdre, il le vomirait... Il est le Préposé de l’Ile au trésor, le Gardien du phare, des plages oubliées, des fonds marins, il ramène ses prises, les polit, les marie, leur donne seconde vie, et sens imprévisibles... Il est donc tour à tour peintre, calligraphe, enlumineur, écrivain, et sculpteur. A lui tout seul il est une armée en marche, un innombrable programme informatique. Il est saoulant et passionnant, fou et intelligent, exhaustif et inventif... le talent, quoi ! Ô Bruno, où s’arrêtera donc la tornade Mendonça ?... Mais nulle part bien sûr puisque ton voyage sans fin rebondit ! Si tu le pouvais tu serais à toi tout seul le Louvre et les Arts Premiers. (Alexandre de la Salle)

Et pour conclure, voici la « Déclaration » de Bruno qui fut lue avec toutes les autres le 4 décembre 2010 au Musée Rétif, le jour de la clôture de l’exposition :
« Nous fumes fumée, cendres avant d’être artistes, l’interrogation fut notre premier engagement.

« Permis en tous genres », 1982
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Interroger la question de l’identité, de l’appartenance à une quelconque dynamique de groupe, pour moi synonyme de molécules animant une synergie collective ? Les singuliers de l’Ecole de Nice sont autant d’électrons libres survolant leur magma crépusculaire, de rien. Le choix retenu n’est-il pas proche de la roulette du Casino, promotion, compromis, contradictions, la courbe n’est plus que la dialectique intersidérale de l’espace-temps (cinquante ans). Les territoires de recherche sont symboliquement partagés comme des espaces de cadran solaire plongé dans l’obscurité d’une éclipse, cotonneux, versatiles, tranchants sans l’aide d’un guide ou critique. LISTOIREDELARD s’écrit-elle avec beurre ou huile d’eau live...? La place des artistes dans le tiercé se fait-elle dans un désordre structuré ou un hasard financier ? La position des pièces dans l’échiquier artistique se calcule-t-elle, en théorie accomplie stratégiquement à court, moyen ou long thermes ? Le survol de quelques critiques approfondit-il la proximité des recherches plastiques d’une période requise, en relation avec les territoires internationaux explorant des domaines requalifiés en seconde lecture et inscription officielle dans le cursus historique ? La période recouverte par Alexandre de la Salle est avant tout une ouverture sur des singularités : Malaval, Chacallis, Isnard, Charvolen, Chubac, Ben, Serge III, et tant d’autres oubliés temporairement, mais qui avaient leur réseau, leurs spécificités anachroniques, leurs zones de chasse ou pêche, à la mouche ou au vif. Les connections étaient du domaine des ruptures nettes et franches, des cassures définitives avec l’Histoire de l’Art enseignée, reproduite au rouleau en lithographie ou en sérigraphie, le mécanisme historique était en marche forgée, forcée. Les sous durs et secrets commençaient à circuler. Ils demeuraient des manques que l’arc en soudure allait combler. LES COLS DE NICE POUVAIENT ÊTRE FRANCHIS AVEC DES CHENILLETTES ET DES RAQUETTES, L’INDIVIDU S’EXTRAYAIT DE LA NEIGE, LA CHRYSALIDE POUVAIT ENFIN SE LIBÉRER DU COCON ET S’ENVOLER... »

« L’Ecole de nice » 2006
DR

Fin de cet hommage à Bruno Mendonça demain, mardi 14 février

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