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CHAPITRE 41 (part II) : La « délivrance » du Livre

La chronique devient saga... Hier, nous en publiions la première partie. France Delvile rend hommage à un grand artiste et ami disparu il y a peu, Bruno Mendonça.

Bruno Mendonça est né à Saint Omer, Pas de Calais, le 29 novembre 1953. Déjà initié au judo et aux échecs (il a commencé à l’âge de sept ans), en 1961 il vient à Nice. Après une scolarité à Nice et Monaco, en 1973 il entre à Sciences Po, et joue des compétitions de tennis de table, squash et hockey sur gazon. A partir de 1968 débute la longue liste de voyages qui vont le mener dans une quarantaine de pays, en moto, voiture ou en train.

Squash Bibliothèque », 2000, Catalogue CIAC, Editions de l’Ormaie
DR

Sa première expo se produit en 1973 à la galerie Assotor (Nice), sa première performance en 1976 à la Maison des Jeunes et de la Culture de Magnan. La même année, Frédéric Altmann l’expose dans sa Galerie L’Art marginal, lui qui, en 2002, en tant que Directeur du Centre International d’Art Contemporain de Carros (CIAC), lui fera une grande exposition intitulées « Bibliothèques éphémères ». Ses performances vont conduire Bruno à travers le monde, Portugal, Zaïre, Italie, Congo, Pologne, Irlande, Allemagne... Deux thèses consacrées aux performances relatent ses différentes « actions », dont la durée peut dépasser, les vingt-quatre heures. Depuis 1973 il n’a jamais cessé d’exposer, seul ou en groupe, expositions dont les titres reflètent assez bien sa démarche, entre autres « Le Corps » (1978, Venise), « Des derniers Mandalas aux premiers Abaques » (1980, Galerie de l’ancienne Poste, Calais), « Ecritures dans la Peinture (1984, Diagonal, Nice), « Corps au bord » et « Cortext » (Galerie Lara Vinci, Paris, en 1985 et 1986),

« Cortext », Galerie Lara Vinci, 4m/2m, Catalogue CIAC, Editions de l’Ormaie
DR

« Bibliothèques » (Galerie Lara Vinci en 1988), « Livres délivrés » (1988, Bibliothèque de Wolfenbüttel, Allemagne), « Délires de livres » (1989, Centre Culturel de Boulogne-Billancourt), « le temps de l’Ailleurs » (1994, Galerie Lara Vinci), « Livres des bords » (MAMAC 1995), « Livres à voir » (1998, Arras), « Bibliothèques fractales » (2006, Château-Musée Grimaldi de Cagnes-sur-mer), « 535, Bruno Mendonça, bâtisseur d’aléatoire (2010, Musée de Gap). Quant aux écrivains, critiques d’art, conservateurs, ils lui ont constitué un « corps » de textes très raffiné : Jean Forneris (Une « poiétique » pour les « temps de détresse » et « Le corps en fusion », Bruno Mendonça en noir et en couleurs), Daniel Larché (Vers un langage pétrifié), Jean-Luc Parant, Bertrand Espouy (Matière-écriture), Georges Dussaule, Jacques Lepage, Bernard Noël, François Le Targat, Frédéric Altmann (A propos de peinture), Dominique Angel, Jean-Pierre Giovanelli, François Goalec, Jean Mas, Vicky Rémy, Charles Dreyfus, Christian Arthaud, Pierre Tilman, Raphaël Monticelli, Robert Hoang Haï, Alain Amiel, Annette Malochet, France Delville, Pierre Le Pillouër, Frédérique Verlinden, Gilbert Lascault, Roland Constant…

Utopia

S’il a conçu ses premiers livres à partir de 1974, il a créé sa maison d’édition, Utopia, en 1980. Il est l’auteur de plus de 150 livres d’artiste, chacun réalisé de 1 à 20 exemplaires, et a co organisé des festivals de performances.

« neurones » 1988, livre unique, et « N’ose sonne » 1989, Livre unique, dans le catalogue de l’exposition du MAMAC 1995
DR

Dans le catalogue de l’exposition « Livres des bouts » en 1995 au MAMAC de Nice, il s’entretient avec le regretté Pierre Chaigneau, conservateur du Musée, homme si sympathique qui aimait beaucoup les artistes, qui aimait beaucoup « L’Ecole de Nice », ainsi qu’avec Isabelle Goetzman, la Commissaire de l’exposition. En voici le début :

Pierre Chaigneau : Vous êtes né à Saint-Omer, dans le Nord de la France, en 1953, et vous êtes arrivé très tôt à Nice, en 1961, à l’âge de sept ans. Vos origines du Nord de la France ont-elles influencé votre œuvre et à partir de quand avez-vous commencé à peindre ?

Bruno Mendonça : Pas directement, mais le fait de « découvrir la lumière du Midi », selon l’expression classique, a été un révélateur extraordinaire, et c’est par la suite que cette lumière m’a propulsé vers le désir de travailler sur toile alors qu’auparavant je travaillais dans le domaine de la musique, le jazz-rock. C’est en 1973 que j’ai commencé à peindre et j’ai eu ma première exposition personnelle la même année.

PRC : Vous ne vous êtes pas inscrit dans une Ecole d’Art ou de Beaux-Arts, mais à Sciences Politiques, pour quelles raisons ?

B.M. : C’était dans l’esprit d’une découverte du monde au sens où Sciences Po, au départ, semblait être la voie royale pour découvrir le monde à travers la diplomatie. Les rencontres que j’ai pu faire avec des écrivains, avec la musique, avec le milieu artistique, a produit des étincelles, des chocs au sens presque d’être K.O. debout. Je pense aussi à Henri Michaux, Antonin Artaud, qui m’ont permis d’approfondir mes connaissances sur les relations entre l’écriture et la peinture…

Isabelle Goetzmann : Votre œuvre est en effet une suite de transformations de l’écriture qui prennent la forme de peintures mais aussi de performances, de livres-sculptures­objets.

B.M. : Oui. Je mène ces trois activités de manière parallèle. Ma peinture était dans les premières années relativement influencée par Paul Klee. C’était vraiment pour moi le peintre qui faisait la synthèse entre la Figuration et une certaine idée de l’Abstraction. Ce rapport m’a aussi beaucoup intéressé dans ma découverte d’autres civilisations grâce aux voyages que j’ai pu faire dès l’âge de 15 ans. Mon travail aujourd’hui consiste à réaliser des images qui sont amputées d’une partie de la réalité et qui sont dépossédées d’une part d’imaginaire, mais transmutées dans quelque chose qui se situe entre l’abstrait et le figuratif, et d’autre part des écritures inventées comme sorties d’un inconscient. C’est en 1976 que mon travail de performances a débuté, plus physique, plus gestuel - c’était la prolongation du théâtre que je faisais adolescent, et la performance me permettait de mettre en scène des aspects musicaux, des aspects extérieurs presque exhibitionnistes au sens de Gina Pane, et de tous les gens que j’ai rencontrés par la suite. En 1974, j’ai réalisé mon premier livre d’artiste ; cela a consisté en un détournement du livre avec des pliages, des déchirures, des décollages, des superpositions, des tampons.

Entrailles de la matière

Dans le catalogue de l’exposition du CIAC en 2002, le directeur, Frédéric Altmann avait écrit un texte intitulé « Ivre de livres », et dont voici des extraits : « … Depuis sa première exposition importante (1977) dans ma galerie L’Art Marginal, rue de la Préfecture à Nice, Mendonça ne m’a jamais déçu. Avec obstination et courage, sans aucune compromission ni mondanité, il a poursuivi son but. Son chemin d’artiste s’apparente à celui d’un archéologue de la mémoire. Son discours est planétaire, et les espaces de ses expositions aussi divers qu’inattendus parfois : grottes (Saint Jeannet), lac (Saint Auban), musées, galeries, maisons des jeunes, médiathèques, bibliothèques, situés au Zaïre, en Espagne, aux États Unis, en Allemagne, en Slovaquie, en Belgique, au Portugal, en Bulgarie, en France... Autant d’interventions ponctuées de performances. (…) Je garde le souvenir de ses expositions à L’Art Marginal, mémorisées par le journal de la galerie, Intact n°4, consacré à la présentation des derniers travaux de Mendonça : « Dessins Ecriture »… (…) Les interventions artistiques de Mendonça à cette époque furent pour moi l’occasion d’interrogations fécondes, parce que sans aucun point de comparaison dans l’histoire de l’art. Il s’y montrait cependant proche des contestataires et provocateurs de l’Ecole de Nice. Sa jeunesse et son enthousiasme m’enchantaient, mais, comme ce fut le cas pour beaucoup d’autres expositions que j’organisais alors, le public cria au scandale. La vitrine de ma galerie fut même brisée, lors de la présentation de ses toiles immergées pendant trois mois dans le lac de Saint Auban... « Neuf peintures furent exposées dans les eaux du lac de Saint Auban, du vendredi 26 novembre 1976 au vendredi 26 février 1977, d’où cinq toiles furent émergées. Ces cinq peintures subirent une détérioration cutanée (la toile) et le squelette (le châssis) de chacune d’elles fut désarticulé. (…) En immergeant ses toiles Mendonça a sacrifié une partie du patrimoine de demain, et le milieu liquide établit une alchimie vers une Renaissance et une nouvelle identité de chaque peinture. L’entraille de l’enveloppe de chacune d’elles nous fera prendre conscience de la détérioration de la nature et de l’espace sans limite ». (Daniel Larché, 1977).

Dans la prochaine séquence de ce chapitre sera relaté l’Hommage à Bruno au MAMAC, textes, photos, vidéo.

Cliquez ici pour lire la première partie de cet hommage à Bruno Mendonça

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