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CHAPITRE 49 (part V) : Carmelo Arden Quin à la IIe Biennale de La Havane

Suite et fin (pour cette semaine), de la chronique de France Delville consacrée à Carmelo Arden Quin...

A la IIe Biennale de La Havane, fin 1986, Carmelo Arden Quin présentait des pièces de la période « Programmation du plastique », une exposition « Programmation du plastique n°2 » ayant eu lieu en mai-juin 1985 à la Galerie Alexandre de la Salle, jumelée avec la Rétrospective Arden Quin au Musée des Ponchettes, et la première « Programmation du plastique » s’étant tenue en avril-mai à la Galerie 30 (30 Rue Rambuteau, Paris), où avait été montrée « Transparence n°3 » (1952-53), comme si cette pièce aérienne avait été une sorte d’ancêtre de l’investigation des matières synthétiques.

“Transparence n°3”, huile/bois avec fils de nylon (1952-53) (Photo François Fernandez)
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Concernant la Rétrospective aux Ponchettes, dans sa revue Arthèmes, Marie Lou Mouzon avait titré : « Arden Quin à la galerie des Ponchettes, Une œuvre présente, au conditionnel », et écrit : « Faire à propos d’Arden Quin de la dialectique, au sens de l’analyse critique d’une œuvre, quand cette dernière pose comme principe fondamental la « dialectique matérialiste » au sens de la mise en œuvre ou plutôt en place de la logique, tient de la gageure quand elle ne sombre pas dans le sophisme. Mais ce serait emprunter un raccourci par trop facile et ne pas répondre justement aux sollicitations, à l’impact, à la puissance, aux ouvertures d’hier sur aujourd’hui et sur demain que représente l’œuvre de Carmelo ARDEN QUIN, exposée à la Galerie municipale des Ponchettes de Nice, durant ces mois de mai et juin, retraçant la production de l’artiste des années 1936 à 1985, tandis que la galerie Alexandre de la Salle présente du 17 mai au 15 juin, du même artiste, « Programmation du Plastique n°2 », travaux de 1986, le n°1 de cette programmation étant accroché à la galerie 30 à Paris. (…) Aujourd’hui à la galerie des Ponchettes il nous est possible de constater la jeunesse de l’œuvre d’ARDEN QUIN, souligner tous les critères d’abstraction mécanique qu’elle mit en exergue et qui sont devenus aujourd’hui des acquis graphiques, voire socio-culturels. Oui, la jeunesse d’une œuvre qui contient toujours des avances dont nos dessinateurs industriels ou autres pourraient tirer profit. (…) C’est à ce point que l’œuvre devient dialectique et que nous lui cédons le pas, mais cependant sans résister au plaisir de conclure que le travail d’ARDEN QUIN témoigne de la joie, de la poésie, de l’humour aussi, qui animent l’artisan en prise directe avec la matière, confrontant l’idée platonicienne au concret. D’ailleurs tournez et retournez votre carton d’invitation, il est déjà « l’objet », ce ticket qui vous fera rentrer dans l’esprit d’une démarche. (Marie Lou Lamarque Mouzon).

Catherine Topall à la Maison de l’Amérique Latine, Exposition MADI (2007)
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Vitrine Arden Quin à la Maison de l’Amérique Latine, Exposition MADI (2007)
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Durant cette période, les expositions continuent de se succéder. En mars-avril 1986, c’est à l’Espace Belleville, CFDT, 4 Bd de la Villette, et Arden Quin y voisine entre autres avec Yaacov Agam (qui était passé par son atelier, de l’aveu même de celui-ci), Joseph Albers, Ode Bertrand, Marcelle Cahn, Geneviève Claisse, Carlos Cruz Diez, Joël Froment, Horacio Garcia Rossi, Auguste Herbin, Eduardo Jonquières, Julio Le Parc, Jean Leppien, Magnelli, Pavel Mansouroff, Richard Mortensen, Aurélie Nemours, Luc Peire, Satoru, Seuphor, Luis Tomasello, Victor Vasarely, Yvaral. Puis le « Movimento MADI expose à la Galleria SINCRON de Brescia (7 juin-15 juillet), tandis que les artistes de Sincron viendront à leur tour exposer à la galerie Alexandre de la Salle. A l’occasion de l’exposition à la « Sincron », Carmelo Arden Quin écrit le « Manifesto di brescia », qui débute ainsi : « Les Madistes sont invités à s’interroger (nous vous invitons à vous interroger) sur la dégradation des Arts plastiques, évidente surtout dans quelques-unes de ses tendances actuelles. Malgré la bonne qualité des olives, l’huile qui en sort est de mauvaise qualité, si elle n’est pas adulterato, et, parfois, déjà rance.
Horreur !

Les jours passant, nous nous demandons quand la farce va finir. Mais comme la mode de la Représentation est comme tous les modes, qui passent, nous prenons notre mal en patience et en profitons pour faire une visite au phare.
Et vous, que faites-vous de la monotonie des toiles sur vos murs ? Vous y prêtez encore attention ? L’enthousiasme n’est peut-être pas encore à bout de souffle ? Vous ne voyez pas que nous vivons dans le terrorisme de l’Acquis ? (Arden Quin, Turin, 1986) (extrait)

Dans la revue Kanal d’août/sept. 1986, sous le titre « Les constructeurs  », paraît un texte d’Alexandre de la Salle : « L’artiste constructeur est celui qui interpelle l’espace. Par-delà la rigueur de ses structures, ce qu’il a d’abord visé, dans la grande tradition classique, c’est, même sur une surface réduite, à suggérer l’immensité. Dans les petits portraits de Piero della Francesca par exemple. Les peintres abstraits, plus particulièrement les abstraits géométriques, éliminant toute profondeur de champ, n’ont retenu du tableau que la surface peinte et les relations précises qu’y établissent ses différents éléments : les Constructivistes russes, Mondrian... (…) Pour Arden Quin et pour sa mouvance MADI, la surface est devenue de plus en plus ce lieu où s’exercent les visées constructives de l’artiste moderne, surface qu’il faut considérer en tant que telle, et, pour lui en faire dire plus, déformer, découper, surcharger de reliefs, rendre mobile, et même, lui ôtant son caractère de plan parfait, voiler, courber, trouer. L’image va céder la place à l’objet ludique, madique, tour à tour peinture ou sculpture, poème spatial ou structure variable, habitable. Œuvres ouvertes sur l’avenir, accueillantes au métal dur comme à l’herbe folle, à la poésie électronique comme au chant des oiseaux, et dont la prétention métaphysique sera de susciter un homme moins craintif, plus léger, sachant mieux respirer. (Alexandre de la Salle, Kanal, août/sept. 1986)

Œuvres d’Arden Quin à la Maison de l’Amérique Latine, Exposition MADI (2007)
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Œuvres d’Arden Quin à la Maison de l’Amérique Latine, Exposition MADI (2007)
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En 1987, Carmelo Arden Quin expose à la Galerie Down Town (Paris), à la Galerie d’Art « El Retiro » (Buenos Aires), dans le groupe « Neuf Artistes » à l’Espace Latino américain (Paris), chez Sara Sluger à Buenos Aires sous le titre : « Arden Quin ou a cuando se es joven para siempre ». L’ouvrage « Arden quin, Le Livre Madi », paraît aux Editions Alain Buyse (Lille) et une exposition d’art géométrique à la Galerie de la Salle, Saint-Paul (2 janvier-12 février) réunit Arden Quin, Caral, Chubac, Decq, Garcia Rossi, Gasquet, Presta. Au même endroit suit une exposition personnelle Arden Quin (23 Mai- 2 Juillet) : « 20/20CM ». Autour de Madi et de la Géométrie, à la galerie de la Salle le mouvement s’accélère, mais le sujet ici est de pointer comment la présence de Carmelo Arden Quin aux deux premières Biennales de La Havane s’inscrit dans le fait qu’il n’a jamais cessé d’être inscrit dans des événements en Amérique latine même habitant Paris à partir de 1948, ce qui est décrit dans le Catalogue raisonné de ses œuvres entre 1935 et 1958 (Alexandre de la Salle, Editions L’Image et la Parole). Après, de 1958 à 2008, nous pouvons noter dans son parcours :

1960  : L’exposition « 150 ans d’art argentin » au Musée National des Beaux Arts de Buenos Aires

1983 : Sa rétrospective à l’Espace latino américain de Paris qui est un « Hommage pour ses 70 ans »

1984  : Exposition « Face à la machine » à la Maison de l’Amérique Latine, Paris

1985 : Exposition à l’Institut Italo-Latino-américain à Rome

1985  : Exposition au Musée d’Arte Contemporaneo à São Paulo

1986 : Biennale de La Havane

1987 : Exposition avec le Groupe Latino-américain de Paris à Buenos Aires

1987 : Exposition à l’Union Latine de Paris

1997 : MADI à ARTE BA (organisation Sofia Müller), première foire d’art contemporain de Buenos Aires

1997 : Arte MADI au Museo extremeño e iberoamericano de arte contemporáneo, Badajoz, Espagne

2003 : Movimiento MADI Internacional (organisation César López Osornio) au Museo de Arte Contemporáneo à La Plata (Argentine)

2004 : Movimiento MADI Internacional au Centro Cultural Borges, Buenos Aires

2005 : Inauguration du Musée MADI à Sobral (Brésil)

2005 : Galeria Multi Arte (Max Perlingeiro), Fortaleza, Brésil

2006 : SP ARTE, São Paulo, Brésil

2008 : « Mouvement Madi International 1946-Paris 2008 », Maison de l’Amérique latine, Paris

En tant que sud’américain, nous le trouvons aussi à DAADgalerie en 1981 (Künstler aus Lateinamerika), en collaboration avec la Galerie Donguy, et principalement en 1993 dans l’exposition Latino-américaine du MOMA, New York City (« Latin American Artists of the 20th Century », où « le travail d’ARDEN QUIN fut hautement apprécié, et mentionné dans les deux revues américanes les plus importantes comme l’une des découvertes de cette Rétrospective ». Et si l’œuvre d’Arden Quin s’est inscrite de manière incontournable dans l’art contemporain européen du XXe siècle (en dehors du fait que Madi est « international », avec surtout le très actif Madi italien), l’origine uruguayenne de Carmelo ajoutée à la fondation argentine de MADI, reste une source non moins incontournable. Car c’est dans la transmission de Torres-Garcia que s’est ancré le jeune Arden Quin, même – et surtout – s’il a été capable de développer à partir de cette source tout une dialectique d’avant-garde.

Vidéo sur Torres-Garcia à la Maison de l’Amérique Latine, Exposition MADI (2007)
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Ainsi, dans le catalogue « Art d’Amérique Latine, 1911-1968 » de l’exposition du Centre Georges Pompidou en 1992 (on y voit l’atelier de Carmelo Arden Quin à Savigny), Serge Lemoine écrit qu’entre 1945 et 1960, l’Argentine et le Brésil ont constitué deux foyers de création pour l’abstraction géométrique, permettant de rompre avec l’image exclusive qu’offrait, de l’Amérique latine, le muralisme mexicain. Et que c’est Joaquin Torres-Garcia qui, rentrant dans son pays en 1934 après avoir passé plus de quarante années à l’étranger, va y faire connaître l’aventure de l’art européen du XXe siècle, Mondrian, Van Doesburg, Vantongerloo, Domela, Moholy-Nagy… et que des jeunes artistes de Montevideo et Buenos Aires vont suivre leurs traces, soit avec Carmelo Arden Quin, Rhod Rothfuss et Gyula Kosice pour chersf de file, soit avec Tomas Maldonado etc.
Margit Rowell reprend le thème de l’influence de Torres-Garcia, avec la conviction de celui-ci que la tradition de l’Amérique du Sud est la tradition indienne, que c’est là que s’inscrivent son passé et son avenir. Elle dit que cet art qui va manifester une conception mythique et magique inscrite dans des structures géométriques (…) va faire école dans maintes parties de l’Amérique du Sud, et aidera à déclencher la peinture d’Amérique du Nord, Barnett Newman, Mark Rothko, Adolph Gottlieb… D’après elle « Torres-Garcia a contribué à la libération de certaines conventions européennes, et à l’ouverture d’une voie vers d’autres perspectives, aboutissant à une forme d’abstraction inédite et proprement américaine ». Cette influence de l’esprit de Torres-Garcia - passé chez ses « fils » - sur l’art américain, ne peut manquer de nous interpeller au moment où, à La Havane, en 1986, Carmelo Arden Quin et d’autres artistes géométriques viennent se ressourcer dans « l’art du Tiers-Monde » et, pourquoi pas, aider cet art à se ressoucer lui-même ? Mais c’est le chapitre 50 qui offrira l’espace de cette investigation.

A suivre donc...

Relire la première partie de la chronique de France Delville de cette semaine

Relire la deuxième partie de la chronique de France Delville de cette semaine

Relire la troisième partie de la chronique de France Delville de cette semaine

Relire la quatrième partie de la chronique de France Delville de cette semaine

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