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CHAPITRE 47 (part II) : Bernard Reyboz, poète, aussi

Suite de la chronique de France Delville entamée cette semaine et dédiée à Bernard Reyboz

Les murs du Château de Carros vibrent de matières minérales, végétales et autres productions humaines réinventées par Bernard Reyboz, mais aussi de ses commentaires sensibles. En voici la suite :

Accompagnant les Chrysalides

Un jour, afin de l’occuper
on offrit à un enfant
une chrysalide de papillon,
un cocon à peine plus gros
qu’un gland de chêne.
Pour l’instruire
on l’informa de la fonction
de cet objet :
« Petite usine chimique destinée
à transformer une chenille en papillon »
la définition d’un dictionnaire
tombé tout droit de la poche
d’un intégriste de l’arbitraire.
On promit à l’enfant
que s’il s’en occupait bien,
s’ il y mettait tout son cœur,
il verrait un beau jour
sortir de ce cocon
le corps gracile
et les ailes fragiles d’un beau papillon.
L’enfant prit le cocon
dans le creux de ses mains
et souffla sur sa soie
comme pour le réchauffer
puis le posa dans un nid de sa confection.
Les jours passèrent
et l’enfant s’impatientait de ce papillon
qui avait déjà butiné son cœur.
Un jour enfin
le cocon s’ouvrit et libéra
le corps gras et les ailes gluantes
d’un papillon de nuit.
Ce jour-là l’enfant douta de son cœur
il cloua cet innocent
sur la porte de ses rêves
et d’un inconditionnel de l’imaginaire
il devint un conditionnel de la réalité.

Accompagnant les Tripodes

C’est à mon insu que les Tripodes sont arrivés dans mon atelier. À l’époque je travaillais sur les monolithes et les champs de percussions. Dans un moment de distraction, j’ai modelé avec de la terre un petit sujet à trois pattes surmonté d’un long cou qui portait une spirale. J’ai déposé ce sujet dans un coin de mon atelier et je suis retourné à mes occupations optiques et minérales. Quelques mois plus tard, dans un moment de plus grande distraction, j’ai repris la terre et modelé des centaines de sujets de 5 à 10 cm de haut, tous avec trois pattes, avec un symbole abstrait en guise de corps ou de tête. Je les ai installés sur des plaques de bois, disposés bien en ligne les uns à côté des autres comme une collection ; c’étaient les premiers « recensements »…

Tripodes
DR

Ne pouvant pas laisser ces tripodes perdus dans l’espace-temps, je leur ai inventé une période : la période « cratère ». Cette idée m’est venue d’une période que moi-même je venais de traverser, période noire dans laquelle j’avais eu la sensation d’être enfoncé sous terre par un astéroïde, trou duquel je m’étais extrait pour me retrouver au milieu d’un cratère dont les bords abrupts restaient à franchir. Pour finir avec les Tripodes, j’ai pensé que dans l’obscurité de ce cratère, un peu de spiritualité pourrait leur être utile. J’ai donc réalisé en grandes dimensions le premier sujet qui était venu dans mon atelier et que j’avais baptisé pour je ne sais quelle raison « l’Augure ».

Accompagnant les Monolithes et Galets

Le musée Guimet de Lyon possède peut-être encore dans sa collection un madrépore de la taille d’une citrouille. J’avais dix ou onze ans quand je l’ai vu pour la première fois. Le dessin infiniment précis et concentré de ses méandres m’a fasciné et prit place dans mes dessins de l’époque.

Bernard Reyboz et Monolithes
DR

Vingt ans plus tard, il refait surface sur des volumes préparés pour l’accueillir. Cette application n’a pas eu raison de mon envoûtement. (…) Mon attrait pour les galets fut si fort qu’ils m’ont amené à m’y intéresser de très près. Le travail de l’esprit des galets en deux dimensions appela très vite d’autres dispositions et de nouvelles exigences…

Accompagnant les Mouvants

Je me relie à mes sensations car ce sont elles qui me relient au monde et à la vie… Ces sensations sont le fruit de multiples compositions empruntées au réel qui d’une certaine manière devient pénétrable à nos émotions.

Bernard Reyboz assis sur la malle de « L’expédition Bornéo » (Collection Jean Ferrero)
©Frédéric Altmann

Invitée par Bernard Reyboz (et les éditions artstoarts) à écrire un texte qui servirait de chemin entre les différentes phases de sa création, mes « prolégomènes » commençaient ainsi :
Pénétrer dans le monde de Bernard Reyboz, c’est être jeté sans sommations, au delà de la Plastique, dans un espace délimité par les deux extrêmes que sont la Poésie et le Réel. Espace atemporel mais où se déplie insensiblement une chronologie qui se trouve devenir au Fil du Temps, c’est le cas de le dire, une Genèse. Entre minéral, végétal, animal. Entre vie et mort. Entre gestation et destruction. Entre couleur et non couleur. Entre image et signe. Entre micro et macro. Entre un sérieux extrême et un humour ébouriffant. Si l’on dit Création, on pense aussi récréation, tant la fantaisie y est intense, fantaisie chargée de toute la dynamite de son étymologie, grecque, qui rend compte des apparitions du monde. En fait d’apparitions Bernard Reyboz les aura rencontrées avec force, puis appelées de ses vœux, provoquées, risquées, ainsi que tout chercheur tentant de soulever quelques pelures d’oignons de la réalité.

Photo du Catalogue raisonné
DR

A suivre... (Avec des extraits des textes de Paule Stoppa, Michel Gaudet, JR Leloup, Bernard Reyboz, pris dans le monumental Catalogue raisonné de 420 pages (1989-2009), disponible aux éditions Artstoarts)

- Pour relire la première partie de cette chronique dédiée à Bernard Reyboz, cliquez ICI

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