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CHAPITRE 50 (part II) : Arden Quin et Picabia (suite)

Suite de la chronique de France Delville entamée hier...

L’exposition Carmelo Arden Quin au Musée de Pontoise de mars à mai 1989 montre des peintures entre 1936 (« Dada »), et 1952 (« Vert-de-gris »), et si, dans le dîner préparatoire à l’exposition du printemps 1989 au musée de Pontoise, Carmelo Arden Quin réévoque sa rencontre avec Francis Picabia, c’est peut-être pour repartir de ses débuts parisiens, si re-fondateurs. Continuons donc un peu à réévoquer nous-mêmes cette période, qui est aussi celle où il rencontre Marcelle Saint-Omer, avec laquelle (et Volf Roitman) il va créer un centre de Recherches MADI.

« Ionnell », livre découpé d’Arden Quin
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Et le 12 décembre 1950, Arden Quin se dirige vers la « Galerie des deux îles » où est présentée une autre exposition de Picabia, intitulée « Points ». Dès qu’il passe la porte, une charmante femme lui jette : « Mais je vous connais ! », ils s’étaient vus à la rétrospective du cher Picabia. Carmelo l’invite à dîner mais elle est déjà prise, et lui propose de passer le lendemain à son atelier de la Rue Froidevaux. C’est ainsi qu’Arden Quin et Marcelle Saint-Omer vont commencer à la fois un roman d’amour et une aventure artistique, puisque c’est dans l’atelier de la Rue Froidevaux que s’installera quelque temps plus tard le Centre de Recherches et d’Etudes MADI. L’atelier se trouve au cinquième étage d’un bel immeuble occupé par de vastes ateliers d’artistes donnant par des baies vitrées sur le cimetière Montparnasse. Maryse Bastié y a vécu. Marcelle Saint-Omer est inscrite aux Beaux-Arts de Paris, fréquente des acteurs, des artistes, est elle-même peintre, mais sa passion est le tissage. Marcelle doit rentrer chaque soir chez sa mère, rue Orfila. Ses parents sont séparés, mais chaque matin, son père, qui possède une menuiseraie d’art sise pas loin vient dire bonjour à sa fille. Pour être plus libres, Carmelo et Marcelle vont donc déménager à Savigny-sur-Orge, où Carmelo fera des mobiles avec des chutes de bois précieux coupés à la menuiserie Saint-Omer. Ce qui ne les empêche pas d’aller aussi travailler rue Froidevaux, Arden Quin peignant et sculptant, Marcelle tissant. Avec les Picabia ils vont dans les vernissages, chez les Picabia le samedi soir on danse. Ils voient aussi Vieira da Silva et Arpad Szenes, Pierre Loeb, Jacques Debourg, Michel Seuphor, Marcelle Cahn, Pierre Benoît, Georges Hugnet, Henri Goetz, Nicolas de Staël, Roger Desserprit, et des artistes vénézuéliens, Jesus-Rafael Soto, Alejandro Otero, Ruben Nuñez, Luis Guevara et Narciso Debourg, Nunez et Guevara ayant déjà rejoint Madi, et Soto fréquentant les manifestations Madi, et le Centre de recherches. L’influence d’Arden Quin sur Nuñez et Guevara est attestée, et ses relations avec les Vénézuéliens est consolidée fin 1951 lorsque Volf Roitman débarque à l’hôtel Christine chez Narciso Debourg, que fréquente Nuñez et les autres, et, en 1953, le groupe Madi se présente à la Sorbonne, au club Paul Valéry, avec Guevara, Nunez, Sallaz, Pierre Alexandre, Lenhardt, Neyrat et Marcelle Saint-Omer. Leurs travaux seront exposés chez Colette Allendy, Suzanne Michel, Denise René, Silvagni. La salle Madi du Salon des Réalités Nouvelles en 1953 était constituée essentiellement par des œuvres « optique vibration » et des sculptures mobiles à moteur.

Salle Madi au Salon des réalités nouvelles (1953) sculptures d’Arden Quin
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Pour restituer l’ambiance de ces années-là, il est peut-être utile de donner en entier le Manifeste d’Arden Quin de mai 1950 pour l’exposition Madi chez Colette Allendy :

... Nous voulons la pluralité.
Nous cherchons la transparence.
La lumière ne fait pas autre chose qu’élargir l’espace.
Notre architecture ira vers tous les horizons !
Notre littérature sera une mer de mythes !
Notre peinture mettra en liberté les couleurs !
Tout bouge !
Sans aucun doute le mouvement, par la porte tournante de Madi, envahit déjà tout l’art, tel un fleuve prodigieux, électrique.
Nos directions sont obliques !
Nous faisons de la sculpture mobile, de la musique électronique, de la poésie mobile (…) L’art est dialectique !
Les lois du mouvement déterminent aussi les relations dans la poésie, l’architecture, les arts plastiques, la musique, la littérature. Frontalité, profondité (sic) et totalité constituent les liens synthétiques des ordres sagittal, orthogonal et vertical.
Mais l’art n’est pas une idéologie aliénée !
L’art fait l’histoire et vice-versa.
Une culture parcourt un cycle complet dans l’expression, la représentation et la signification ! Historiquement chacune des déterminations forme un style.
Matérialisme esthétique.
Nous ne parlerons pas des « murs » de l’orthogonalité.
Nous ne parlerons pas du statisme.
L’art se surpasse. Quand ne l’a t il pas fait !
La peinture fait la révolution visible.
Madi fait l’art mobile.
L’Art recommence.

« Dada » (1936)
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« Vert-de-gris » (1952)
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Le livre découpé d’Arden Quin « Ionnell », exécuté à Ivry en 1949 est présenté dans l’exposition de mai 1950, la photo en est prise dans la revue « Ailleurs » n°8.
Peu de temps après, dans le Salon des Réalités Nouvelles de 1953, Carmelo Arden Quin écrira : « L’homme éclairé de tous les temps exprime sa sensibilité et formule sa pensée, les plus hautes, dans l’universel. Mais l’homme actuel, conscient de l’ordre nouveau et du moment pré cosmique qui caractérise cette époque, agira plus étroitement en accord avec la connaissance du monde. Il lui sera nécessaire de faire appel avec toujours plus de force aux grandes lois qui éveillent en lui le sens de l’universel. Ces lois se révèlent à son esprit dans leur simplicité émouvante et se manifestent dans les jeux les plus simples. Pour l’artiste, il s’agit de les saisir et les accorder je dirais « madiquement » dans un ordre esthétique. Elles affirment une nécessité, car tout se crée, tout s’exprime en elles dans un grand courant d’enthousiasme et de beauté. Elles sont un centre, un tout, une source claire et limpide de création. (Carmelo Arden Quin)

Argentina, Artistas abstractos

Et en 1955, le texte ci-dessous paraîtra dans le livre d’Aldo Pellegrini « Argentina, Artistas abstractos » édité par le Centre International Paris-Buenos Aires, artistes choisis Julián Althabe, Carmelo Arden Quin, Marin Blaszko, Eduardo Jonquières, Juan mélé, Wolf (sic) Roitman, Oswald Stimm, Gregorio Vardánega, Virgilio Villalba, avec introduction d’Aldo Pellegrini, vignettes biographies de chacun des exposants, un texte de chacun d’eux, des photos d’œuvres. Livre imprimé en juillet 1955 dans les Talleros Graficos Cadel, Reconquista 617, Buenos Aires.

« Dans la sculpture madi, outre la valeur plastique qui découle du contenant spatial de l’objet, il en est d’autres qui correspondent à sa nature mobile : ce que j’appelle ludicité et pluralité sont comme des qualités nouvelles résultant de la fonction temporelle. Dans la série des structures « étendues » que j’ai réalisées de 1945 à 1947, l’espace était un solide primordial, généralement un cylindre, ou un parallélépipède, divisé en trois parties et subdivisé en plans ... Suivant une coupe intérieure le volume se divisait en trois formes.

Tandis que la forme intérieure ou noyau était située dès le commencement, les formes extérieures se séparaient mais avaient tendance à s’intégrer ensemble ; elles agissaient comme si elles avaient conservé une parenté formelle. Dans ces dernières, toujours composées de deux parties, l’intégration était résolue au moyen de barres plastiques, souples. Ce rapport interne avait en outre une fonction ludique. Un autre élément d’intégration était constitué par des rectangles de verre mobiles. La structure était réversible. En ce qui concerne les premières, la fonction des barres ou des socles, en matière identique, consistait à créer des valeurs de force et de pluralité et à maintenir l’équilibre. La structure était plurale. L’autre série de structures, appelées « transparences », était constituée par des éléments amovibles de verre ou de plexiglass. Outre la plasticité pure on retrouvait des valeurs de lumière et de pluralité. Les éléments qui entraient dans la composition des deux séries étaient le bois et le fer en tant que matières plus facilement articulables et les matières transparentes usuelles : plastiques, verres travaillés ou non, soumis au nombre d’or. L’objet madique doit être constitué de corps sur lesquels la lumière se reflète comme, outre ceux que nous avons déjà cités, les métaux chromés et polis, et ceux que pénètre la lumière, comme les ensembles de fils, de verres, de matières plastiques transparentes, constituant des vides spa-tiaux. Et finalement, complétant le tout, la lumière et le mouvement réels. La proportion est contrôlable dans un espace géométrique et même lorsque l’articulation est relativement concentrique. Plus l’action est rapide, plus les éléments divergent et plus le contrôle des proportions est difficile. Dans ce cas, c’est le temps qui est articulable. On peut déduire de ces expériences que l’espace se comporte comme une matière inorganique, facilement mesurable, tout au contraire du temps qui se révèle comme une matière organique. Ce sont les degrés du mouvement qui provoquent cette différence.

A suivre...

Arden Quin dans son atelier avec une « Sculpture étendue » dans « Argentina, Artistas abstractos » d’Aldo Pellegrini
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Relisez la première partie de cette chronique.

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