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Luc Martinez : « Je ne suis pas très nombreux en France »

Repenser le son en fonction de son usage, tout en lui donnant une esthétique propre, tel est l’objectif que s’est fixé Luc Martinez. Car de la composition musicale au design sonore, il n’y a qu’un pas, qu’il a franchi en pionnier à la fin des années 80. « Je travaille sur les nouveaux territoires du son, ce qui engendre de nouveaux rapport au public, c’est ce qui me passionne », indique Luc Martinez. En chercheur averti (il a notamment travaillé au Centre National de Création Musicale, CIRM de Nice, entre 1989 et 1999), il observe que les stratégies d’écoute sont de plus en plus individuelles, poussées par l’avènement de la portabilité avec l’utilisation croissante de téléphones mobiles et autres lecteurs MP3. « Mais, dans le même temps, il n’y a jamais eu autant de concerts et de gens dans les lieux de spectacle ». Paradoxalement, les moments d’écoute et de partage se démultiplient. Sans entrer dans le débat qui agite les opposants et les défenseurs de la loi Hadopi, Luc Martinez estime que le téléchargement sur Internet est une véritable aubaine pour la musique : « à 15 ans, les jeunes d’aujourd’hui ont déjà tout écouté et digéré toutes les influences. Ils se remettent donc à jouer ! ». Et preuve en est, la vente d’instruments de musique n’a jamais été aussi florissante… Après la disparition du 33 tours et de la cassette audio, celle, imminente, du CD, marque la fin d’une époque : « au regard de l’histoire, la courte parenthèse du support musical se referme ». Pour autant, la musique de support continuera d’exister mais contre toute attente, sa dématérialisation relance la musique live ! « Quand une nouvelle technologie arrive, on la juge selon des usages et des modèles traditionnels. Or les technologies numériques actuelles modifient en profondeur notre rapport aux autres, aux arts et à la musique en particulier. La création musicale et sonore sort ainsi des sillons… ou des salles de concert pour investir de nouveaux espaces.

Déjà présenté à Nice en 2004, le Mur d’Alice est un rideau de sons dans lequel sont plongés les visiteurs de la Cité des Sciences, à Paris (installation permanente). Crédit photo : Luc Martinez

Réveiller ce sens animal qu’est l’ouïe

Ces nouveaux territoires, Luc Martinez, lui, les explore : il s’agit des espaces publics, des lieux de culture, et notamment du musée. « Beaucoup de muséographies sont basées essentiellement sur un seul sens qu’est la vue, déplore-t-il. Mais à force de devoir regarder, s’orienter ou lire une multitude d’informations, ce “sens unique“ devient vite saturé. » Son but est donc de faire comprendre aux scénographes qu’il peut être bénéfique de se dégager de la vue et de réveiller ce sens animal, souvent sous-exploité, qu’est l’ouïe. Le son illustre, complète un propos, nous touche parfois… mais il nous renseigne aussi sur la géométrie des espaces que nous habitons. Par exemple, au lieu d’indiquer une direction avec une énorme flèche, qui, même si elle est rouge et clignotante, risque de ne pas être vue, il est possible de diriger les visiteurs vers la gauche en diffusant un son venant… précisément de la gauche, grâce à l’interactivité et à des procédés de diffusion très discrets. Autre exemple, dans une exposition, il est impossible de prédire ce que les visiteurs, libres de leurs mouvements, vont entendre à un moment précis. « Mon objectif est donc de composer des états sonores coexistant dans un même lieu, par touches, à l’instar des peintres impressionnistes ; le public de passer librement d’un état à l’autre, explique Luc Martinez. Les sons sont conçus et diffusés pour se mêler, s’harmoniser ou au contraire créer des ruptures voulues par la scénographie. Dans mes compositions, chaque visiteur écrit inconsciemment sa partition, au rythme de sa visite » Pour ce faire, Luc Martinez utilise les arts numériques dans leur ensemble et repense la diffusion en redonnant aux sons leur place dans l’espace. « Ma musique est une expérience du lieu, de l’espace. Je ne peux concevoir les contenus sonores sans avoir la maîtrise des technologies de jeu et de diffusion. Dans des espaces complexes, le choix des technologies participe de l’écriture même du propos sonore ». Il n’est donc plus question d’entendre en boucle dans une salle d’exposition le son d’un écran vidéo que personne ne regarde ! C’est possible grâce à des capteurs de présence ainsi qu’une diffusion parfaitement localisée, grâce à de tous nouveaux haut- parleurs dont il a accompagné l’élaboration. Une technologie que l’on retrouve dans sa réalisation Le Mur d’Alice, œuvre installée sur le Parvis de la Cité des Sciences et de l’Industrie de la Villette, à Paris. Dans sa toute première version, cette installation sonore avait d’ailleurs déjà été créée à Nice, dans le cadre de l’événement « Les murs – Un autre regard », en 2004. Le principe ? Le public traverse un véritable rideau sonore rectiligne dont les matières sonores évoluent de l’aube au crépuscule… « Sur le parvis de la Cité des Sciences, Le Mur d’Alice reconstitue, par le son, la partie absente de la barrière de granit qui relie les deux bassins situés en contrebas », précise Luc Martinez. Les sons évoquent l’univers scientifique et technologique exploré par la Cité des Sciences mais répondent également à la présence de l’eau, souhaitée en abondance par l’architecte, tout autour de son édifice.

Marseille 2013 : un centre méditerranéen virtuel et multimédia

Autre installation permanente où l’on peut apprécier les talents de Luc Martinez : le Mémorial Charles de Gaulle, récemment inauguré à Colombey-les-Deux-Eglises (Haute-Marne) et dont Luc Martinez a conçu le design sonore ainsi que les musiques originales). Par exemple, quand les visiteurs s’assoient face à l’un des écrans géants où sont diffusées les batailles du désert de Lybie, c’est sur des véritables caisses de munition. « Ces dernières deviennent de véritable générateurs de basses fréquences », souligne-t-il. Ainsi, lors d’une explosion à l’écran, les vibrations des basses sont directement diffusées dans le siège. La vibration du son devient physique, Effet sursaut garanti ! Même principe pour illustrer la « guerre des ondes » que se livrèrent Paris et Londres entre 1939 et 1945 ; les visiteurs peuvent actionner les boutons d’une véritable radio d’époque dans laquelle sont contenus des sons d’archive. « Avec cette cannibalisation des objets, on obtient une véritable radio qui recherche les stations. Cela parle tout de suite aux gens, qui se projettent instantanément dans cette situation ».
Autre projet en cours, et pas des moindres : Media Terra – Mers en Ligne, dans le cadre de Marseille-Provence 2013, Capitale Européenne de la Culture. Conçue après la réalisation d’une vingtaine de concerts en réseau haut débit, cette Installation monumentale destinée à fonctionner 24h/24 pendant toute l’année 2013 a pour but de relier Marseille à l’ensemble du pourtour méditerranéen, en recréant un centre virtuel de la Méditerranée qui n’existe pas dans le monde réel : en effet, les méditerranéens, lorsqu’ils souhaitent se rassembler, sont obligés de le faire sur une des rives de leur mare nostrum. Marseille accueillera donc une couronne de 20 écrans géants juxtaposés entourant un ensemble de projecteurs vidéo, reliés à 20 ports historiques du pourtour méditerranéen par un faisceau haut débit. Le lien visuel entre toutes ces images vidéo sera obtenu d’un écran à l’autre par la continuité de la ligne d’horizon, captée depuis chaque port par une station multimédia sécurisée. Ponctuellement, ces écrans pourront relayer tout type d’événements, comme des concerts en réseau, des conférences, des performances d’artistes, avant de retrouver leur fonction de paysage interactif permanent. « On pourra également entrer dans le cercle d’écrans, où un décor reconstituera une île imaginaire, véritable terre du milieu, précise Luc Martinez. Cette position centrale sera plus propice à l’écoute de la création musicale permanente évoluant autour des auditeurs. » Dans le travail de l’artiste, le son n’est jamais seul. Car la musique est l’art le plus transversal, comme l’est l’homme : multi-instrumentiste, compositeur, concepteur multimédia, producteur, directeur artistique, Luc Martinez est tout cela à la fois. Et si, à 47 ans, il admet avoir sacrifié la recherche de la perfection dans chacun de ces domaines au profit d’un métier de musicien recélant de multiples facettes, il faut tout de même reconnaître qu’ils sont rares, ceux qui arrivent à tout faire aussi bien.

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