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Georges Lautner, Un flingueur qui vous veut du bien !

Avec une quarantaine de films à son actif où sont épinglés au générique des monstres sacrés comme Gabin, Blier, Ventura, Belmondo, Delon, Serrault et malgré une reconnaissance du public qui se perpétue via la petite lucarne et le DVD, Lautner est entré par effraction à la cinémathèque. Il faut dire que ce franc-tireur d’origine niçoise a creusé son sillon en ouvrant le feu, sur fond de jacquerie Twist n’ shout et en pleine nouvelle vague en prenant à rebrousse-poil le cinéma de genre. Bogard versus Ventura, Hemingway contre Audiard, quand les « Tontons flingueurs » débarquent en 1963 sur la butte pour régler son compte au film noir américain, y a de quoi plomber l’ambiance ? Happy Birthday les Volfoni ! Les balles sifflent comme chez Tex Avery, les dialogues d’Audiard fusent comme des V2 sur la France Gauliste. Alors la farce policière se change en un grand coup de pied au culte qui traversera les générations « Lautner tue en gaîté, moi je tue sinistre ! » C’est l’analyse fine de l’un de ses ex-assistant : Bertrand Blier. Il est vrai que Georges dont le père trouva brutalement la mort dans un avion de chasse garda une profonde aversion pour la violence et revendiquera l’humour comme ce qu’il y a de plus subversif et salutaire, à la scène comme à la ville. 50 ans plus tard après une « filmo » alternant coups de génie, coups d’éclats avec Delon (Mort d’un pourri) Belmondo (Le professionnel) et Serrault (La cage aux folles) et quelques coups d’épées dans l’eau, le réalisateur coule des jours paisibles en Riviera. Une retraite, pas trop ! Car, ironie du sort, lui qui a été si « bâclé » par la critique, le voilà sacralisé depuis l’an 2000 et contraint de reprendre la route des festivals. L’an dernier c’est les rencontres cinématographiques de Cannes qui le convièrent à fêter son demi-siècle de carrière. Les cameras de TF1 étaient là pour immortaliser la scène qui se clôtura par la projection des "Tontons Flingueurs" en compagnie de Mireille Darc et de Venantino Venantini, le dernier survivant d’une drôle de bande de porte-flingue dont les silencieux n’ont pas finit de faire du bruit.


43 claps au dessus de la cheminée, en regrettez-vous certain ?

Tournage à Nice. Alma, Nobert Saada, René Brun, Georges Lautner

Georges Lautner : Non, car chaque film que j’ai tourné a été une victoire. Mes préférés sont ceux qui ont marché car ils m’ont permis de continuer à faire du cinéma. « Quand passent les grives il ne faut pas manquer de cartouches ! » dit un proverbe niçois je l’ai appliqué à la lettre. J’ai accepté certains films pour que mon équipe puisse bouffer. Ma réussite est une réussite collective car j’ai eu la chance de travailler avec une bande de copains, Robin Davis, Yves Rodallec, Maurice Felous sans parler de la fine équipe niçoise dont je déplore quelques pertes lourdes comme René Brun mon fidèle régisseur niçois et ami de longue date...

Votre enfance à Nice ?

En fait mes grands-parents sont venus s’installer à Nice vers 1880. Mon grand-père était orfèvre à Vienne, ma grand-mère dentellière en Auvergne. J’ai du sang autrichien du côté de mon père qui tenait une bijouterie place Masséna et piémontais du côté de ma mère comédienne. De ma prime scolarité au Parc Impérial, je ne me souviens de rien, si ce n’est que j’avais pissé sur mes pantoufles et qu’on les avait mises à sécher sur les marches de l’école. A la mort de mon père on a rejoint la capitale où j’ai fait mes études secondaires au Lycée Janson de Sailly.

La Victorine, un bercail sur la route ?

J’y ai débuté en tant que second assistant non défrayé. Je me souviens d’avoir participé à une connerie totale, qui ne devait pas l’être au départ car c’était un film écrit par Sacha Guitry. Mais ce dernier, malade, délégua la mise en scène de « Amédée ou le jouet de la fatalité » au 1er assistant et à Fernandel qui a pris les commandes en appliquant une règle unilatérale : Gros plan sur moi ! Il fit même corriger les dialogues du maître par son propre beau-frère… » Mais la Côte d’azur est toujours restée dans mon cœur, j’ai réalisé 18 de mes films à la Victorine dont certains en intégralité comme « ne nous fâchons pas ! »

Comment sont nés ces Tontons flingueurs qui en 1962 « taclent » le genre policier ?

J’ai toujours été entouré de gens qui pratiquaient « la déconnante » tel Norbert Carbonnaux dont je fus l’assistant sur « les corsaires du Bois de Boulogne ». Quand j’ai pris la caméra en 58 le film policier français, c’était sérieux ! Dans la veine, il n’y avait guère qu’Eddy Constantine alias Lemmy Caution pour prendre la tangente. Ce qui a plaidé en ma faveur c’est que j’aimais les comédiens et les dialogues. Ça à l’air con de dire ça, mais à une époque où tout le monde faisait des paysages, moi, je filmais les acteurs en gros plan ! Et puis il y a eu la rencontre avec Audiard. La trilogie des « Monocles » avec Paul Meurisse alluma la mèche, avec les tontons on a mis carrément dans le rouge !

Votre meilleur souvenir ?

Assistant de Robert Daréne, j’ai embarqué en 1957 sur un cargo mixte pour Madagascar avec François Perrier, Jean Carmet, Robert Hirsch, Jean Lefèvre et mon pote Coban. J’ai découvert Nossy Comba, un paradis où il n’y avait que des lémuriens et des caïmans affamés. On nous avait refilé comme assistants des bagnards. Celui qui s’occupait de la cantine avait été condamné pour empoisonnement. Un climat chaud et surréaliste. Cela reste un de mes plus beaux souvenirs. Tous les dimanches, on allait avec ma femme faire des ballades sur les lacs avec le bateau de la sucrière !

Des acteurs fétiches ?

Pour les mâles, c’est Blier, pour les femelles, Mireille Darc ! Je dois beaucoup à la famille Blier. Son père m’a mis le pied à l’étrier et son fils fut mon assistant et scénariste entres autres sur « Quelques Messieurs trop tranquilles » ou « Laisse aller... c’est une valse » avant de faire la brillante carrière qu’on lui connait. Lino Ventura, sévissait lui en tant que catcheur quand mon pote Henri Coban qui réglait les cascades de mes films, lui cassa la jambe sur un ring. C’est comme ça que je l’ai débauché.
Quant à Belmondo que j’ai rencontré plus tard, on a fait les quatre cent coups et notamment à Nice sur « Joyeuses Pâques »… Si je le revois encore ? ça ne te regarde pas, mais sache seulement qu’il va bien, qu’il est amoureux et qu’il bande encore.

Et la rencontre avec Gabin ?

Au début du tournage du « Pacha » toute l’équipe me disait ça va être ton grand soir ! C’était une autorité mais un vrai mec. En fait Gabin qui avait tourné avec Renoir était déconcerté par ma technique. On ne lui faisait que des longs plans séquence majestueux, moi je le serrais de près ! Quand il a vu les premiers rush tout s’est arrangé » je me souviens encore de sa réplique lorsque que j’ai voulu le faire monter dans une Matra. « Georges vous n’allez tout de même pas me faire rentrer dans ce suppositoire ? »

Des regrets ?

Je n’ai jamais été récompensé et la critique m’a toujours traité avec condescendance. Mais qu’importe, cinquante ans plus tard mes films repassent toujours sur le petit écran, ressortent en DVD, au printemps : « La Grande Sauterelle » avec Mireille Darc, « Quelques messieurs trop tranquilles », « Pas de problème » « Fleur d’Oseille ». Certains sont désormais projetés en versions numérisées comme le Pacha, les Tontons, les barbouzes. On m’invite à la radio, à la télé, je redeviens tout à coup fréquentable ! C’est vrai que tous les copains disparaissent un à un, mais l’esprit survivra, Audiard rentrera bientôt dans les manuels scolaires !


La réalisation, ça vous démange encore ?

Je regrette que le cinéma de genre ait disparu au profit de « la jauge audimat ». La TV ne m’intéresse pas, il y a incompatibilité d’humeur entre nous, aujourd’hui. On y pratique le contrôle absolu et j’appartiens à une génération réputée ingérable. Je travaille depuis quelques temps à l’adaptation d’un livre de Pierre Magnan « la Folie Forcalquier » mais il y a encore de gros problèmes de droits. J’ai un autre projet qui me tient à cœur mais je réfléchis avant de remettre le couvert ce serait dommage de détruire la bonne réputation que j’ai maintenant (rires).

Mais encore ?

Je peux juste vous dire que j’ai très envie de faire reprendre du service au Monocle. Un personnage insensé créé par le Colonel Rémy qui au départ raconte les aventures d’un noble breton qui faisait avorter sa fille et brulait le fœtus dans la cheminée.. . Un truc sinistre. J’en ai fait un pastiche de film d’espionnage. Le premier volet « le Monocle noir » sorti en 1961 en plein mois d’août a finit pas casser la baraque, deux autres suivirent « L’œil du Monocle » puis « le Monocle rit jaune ». Le plus dur sera de trouver un successeur au flegmatique et savoureux Paul Meurisse, j’ai ma petite idée que je garde pour moi, tant que rien n’est signé.

j’dynamite... j’disperse... et j’ventile...

- 24 janvier 1926 Georges Lautner nait à Nice de Renée de Saint-Cyr et Charles Léopold Lautner

- 1932 Scolarité au Parc Impérial.

- 1938 Son père trouve la mort dans un avion de chasse.

- 1950-57 Assistant réalisateur auprès de Claude Cariven, Robert Daréne, Norbert Carbonnaux, Henri Lepage, Jean-Claude Roy.

- 1958 « La Môme aux boutons », premier long-métrage signé Lautner

- 1959-60 « Marche ou crève » et « Arrêtez les tambours ». Rencontre avec Bernard Blier

- 1961 « Le Monocle noir ». Lautner amorce avec Paul Meurisse le dynamitage du policier à la Française. Renée Saint Cyr, sa mère achète le moulin de Grasse.

- 1962 Naissance des « Tontons flingueurs » sur les fonds baptismaux de Michel Audiard.

- 1964 Mireille Darc est admise dans la bande avec « La grande Sauterelle » et tournera avec lui une dizaine de films des « Barbouzes » aux « Seins de glace ».

- 1977 « Mort d’un pourri ». Lautner entre au box office avec Delon et réalise dès lors des films à gros budget (plus d’un milliard d’anciens francs).

- 1978-1981 Flic ou voyou est le seul film de l’année à dépasser le million d’entrées. Avec « Le Guignolot » puis « Le professionnel » (1,3 million d’entrées en 1981) la trilogie Lautner/ Belmondo marque une période faste.

- 1985 « Joyeuses Pâques » puis « La cage aux folles », enfonce le clou.

- 1989 « La Maison assassinée » Rencontre avec l’écrivain Pierre Magnan

- 1992 « L’inconnu dans la maison » avec Patrick Bruel, son dernier film jusqu’ à aujourd’hui.

- 2000 « Foutu fourbi » Les mémoires du réalisateur sous forme d’entretiens avec José Louis Bocquet.

- 2003 Lautner égraine ses souvenirs avec ses amis sur TPS Cinétoile. Une commande de 52 émissions

- 2004 Sortie de « On achève bien les cons », une BD écrite par Georges Lautner et dessinée par Phil Castaza (éditions Soleil Productions).

- 2005 Décès de sa mère Renée Saint Cyr. La cérémonie à lieu à Nice en L’église Sainte Réparâtes.

- 2006 Sortie de son autobiographie "On aura tout vu" et du DVD hommage « Georges Lautner de A à Z"

- 2008 « Lautner s’affiche » 25 auteurs de BD rendent hommage à 25 des ses films culte.

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