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Maggy Kaiser, peintre des Espaces

Suite du texte de Monique Fuchs dans le catalogue de l’exposition (1989) au Musée des Beaux-Arts de Mulhouse.

Libération de l’emprise du réel

De la fin des années 50 à 1966 les recherches de formes dépouillées, épurées, conduisent progressivement et sans heurt Maggy Kaiser à renoncer à la transcription de la quintessence supposée du réel pour aborder le monde de l’abstraction vécu comme une libération de l’emprise du réel. De 1966/67 datent les premières toiles abstraites, elles ouvrent à Maggy Kaiser les voies de l’imagination, libre champ d’investigations où l’invention (et non plus l’analyse de l’existant) devient possible.
Comme Malevitch en 1920, et bien qu’elle avoue ne pas l’avoir connu à cette époque de transition de 1966-67, Maggy Kaiser ressent la nécessité de se débarrasser du figuratif au nom du principe créateur pour découvrir de nouveaux signes.

“Le grand cobalt” (1977) Huile/toile

Cette démarche est également à mettre avec celle de Mondrian pour qui abstraire signifie approfondir, ouvrir la voie à la sensibilité et, en abandonnant toute référence extérieure à la peinture, se concentrer sur les effets de la ligne, de la surface, de la couleur, la ligne organisant les surfaces et les rapports pleins vides.
Parallèlement à son évolution, Maggy Kaiser ressent impérieusement un besoin de liberté. Si elle fréquente Vieira da Silva, Germaine Richier, et fait la connaissance de Prassinos et Magnelli, elle cherche aussi à s’isoler pour trouver sa propre voie. En 1959/60 elle quitte définitivement Paris pour se retirer à Valbonne et rompt tous liens avec le monde artistique parisien.
Les années qui suivent sont des années de solitude, parfois très dures matériellement, où l’indépendance qu’elle revendique exige la pauvreté et l’isolement d’un ermite.
Ces années sont vécues comme l’épreuve nécessaire à l’accomplissement de soi.
Comme Marcelle Cahn, Maggy Kaiser a quitté l’Alsace. A une certaine époque de sa vie, l’Alsace était peu propice à la création, elle reste le creuset d’une intériorité, même si l’Alsace est ressentie comme le piège romantique à fuir.
Depuis que Maggy Kaiser vit à Valbonne sa palette s’est progressivement éclaircie au profit d’une vision plus méditerranéenne.

“Rythme diagonale” (1983) Huile/toile

La voie

L’amitié de Magnelli l’aidera à décanter l’enseignement de Coutin.
Les nombreuses commandes murales réalisées en Alsace contribueront à la sortir de son cocon et à acquérir une dimension monumentale où la création devient une cause mentale dans la tradition du quattrocento.
Les toiles de 1967 sont significatives des premières préoccupations de Maggy Kaiser en abstraction : selon les saisons la palette est sombre ou claire, mais ce ne sont pas les oppositions clair obscur à la base de la notion de volume qui l’intéressent. Sur des formes géométriques amples viennent se loger de petits carrés, de préférence au centre de la composition. Sans recourir à la perspective Maggy Kaiser brouille l’impression de superpositions à partir de détails. Cette volonté de ne pas rendre un espace tridimensionnel est encore plus évidente ultérieurement. La quête de Maggy Kaiser s’effectue sur le plan bidimensionnel, avec des valeurs approximativement de même intensité. De temps à autre un triangle rouge attire le regard à la surface du tableau. Les compositions compliquées où les segments de cercle sont rares, se simplifient au début des années soixante dix.

“Dispersion” (1981) Huile/toile

Sans se référer à la nature, Maggy Kaiser compose des « paysages » abstraits de triangles et trapèzes, les valeurs colorées seules donnent de la profondeur à ses compositions.
De 1971 à 1975 les toiles sont faites de plans heurtés, directions obliques contrariées par des horizontales. C’est de la tension entre les formes que naît l’expressivité très forte des toiles de cette époque.
Souvent les couleurs ont la même valeur, aucun « objet » ne se détache sur le fond. L’abstraction traduit une émotion intellectuelle et un état psychique.
Après 1976 sa palette s’éclaircit à nouveau. Aux années noires (1971-75) succède une période plus sereine, où Maggy Kaiser parvient à rendre les qualités tactiles de la lumière et où la ligne colorée devient de plus en plus expressive et importante dans la composition. Progressivement Maggy Kaiser se rend compte de l’importance de la distance et de l’épaisseur de la couleur qu’elle pose par petites touches mates sur la toile. La matière déposée par le pinceau est perceptible de tout près mais disparaît à distance pour laisser au dégradé de la couleur seule toute sa valeur. En 1976 les formes sont moins dures, souvent adoucies par un segment de cercle.
En 1977 Maggy Kaiser découvre l’importance expressive du rond. Elle le structure en plans simples ou plus ou moins complexes au point de faire apparaître le cercle comme le lieu même de l’éclatement. Maggy Kaiser explore le labyrinthe et le cercle jusqu’en 1980/81 au pastel et à l’huile.

“Le grand cercle” (1985) Huile/bois

La grande question

La lecture de Jung en 1977 est à l’origine de ce changement radical de composition. En posant les questions fondamentales : d’où venons nous ? Pourquoi faire de la peinture ? Jung lui donne les outils pour ordonner sa recherche. Elle découvre l’importance des archétypes et avec ses travaux sur le cercle s’affranchit définitivement de l’enseignement de Coutin.
Les techniques de Jung lui permettent de structurer ses questions et son cheminement la pousse à une introspection approfondie. Cette pénétration de soi va très loin, mais flairant le danger, Maggy Kaiser anticipe une destruction possible en transcrivant sur ses toiles des compositions complètement éclatées en réaction aux cercles. Les toiles de 1981 évoquent d’inquiétants kaléidoscopes, la composition est morcelée, dispersée en mille triangles et trapèzes. Cet éclatement traduit de manière presque littérale la crise intellectuelle traversée à ce moment par Maggy Kaiser.
Elle est suivie d’une lente restructuration de la composition, d’abord selon des verticales et des horizontales, où les « morceaux » donnent l’impression de se recoller pour former progressivement des « objets moléculaires » se détachant sur des « fonds casiers ». Cette période grise et rouge se prolonge jusqu’en 1985/86 et cède progressivement la place à des toiles aux teintes pastel sereines, aux larges compositions obliques unifiées, structurées par de fins traits parcourant en Z la toile.

“Grande morphologie” (1986) Huile/toile

Cette remise en question débouche enfin sur une nouvelle sérénité intérieure qui fait dire à Maggy Kaiser que ses toiles actuelles sont des partitions de musique intérieure dont la trame est dictée par l’intuition et la lumière par l’émotion.
Cette rétrospective montre, malgré la rigueur constante des formes, la richesse d’invention possible en abstraction géométrique. Il n’y a guère de récurrence des formes chez Maggy Kaiser, par contre le carré fragmenté abordé avec différents changements d’échelle est d’une grande importance dans son parcours.
L’abstraction chez Maggy Kaiser est exigeante mais n’exclut aucunement l’expression d’une sensibilité, d’une émotion personnelle justement libérée par l’abstraction, la réalité extérieure (paysage, nature morte) influence sa palette mais est étrangère à l’essence même de son questionnement.

“La grande blanche” (1989) Huile/toile

Le tableau est le lieu où se concentrent les interrogations fondamentales de l’artiste, même si les sources affectives sont à l’origine de l’acte créateur. Elle cherche d’abord à comprendre le monde à travers des relations formelles extérieures. Puis elle découvre sa propre voie à travers l’abstraction et enfin essaie de résoudre la seule vraie question : pourquoi faire de la peinture ?
Dans sa recherche de l’essentiel le peintre ressemble au religieux mais en acceptant toutefois la dualité du monde et l’hypothèse que tout n’est peut être qu’une vue de l’esprit.
Ruptures et crises successives ont libéré sa relation à la peinture d’une tension douloureuse au point que Maggy Kaiser dise elle même qu’il y a moins d’inconscience aujourd’hui dans sa peinture tout en reconnaissant que sa vie entière a été mue par une nécessité intérieure. « J’ai toujours fait, parce que je ne pouvais pas faire autrement. (Monique Fuchs, juillet 1989)

(A suivre)

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