| Retour

Maggy Kaiser, peintre des Espaces

Suite du texte de Frédéric Voilley pour l’exposition « De la Figuration à l’abstraction » en 1988 dans les Salons de la Malmaison à Cannes

Jacqueline Driffing

La vocation de Jacqueline Diffring trouve sa source à l’une des conjonctures les plus fécondes de la sculpture du 20e siècle, le Londres de 1950, alors que s’épanouit l’école anglaise. Ecole qui est encore une école de la forme, mais la forme sans contrainte, subordonnée à l’intuition. Déjà s’impose à l’artiste l’objectif qui sera toujours sien : elle doit découvrir le flux sous-jacent qui anime l’homme et le monde, rendre apparent et tangible ce qui est caché et impalpable. L’idéal d’unité qu’elle entrevoit la rapproche alors de la sculpture primitive, celle d’avant la Chute, alors que le visible et l’invisible ne faisaient qu’un. L’autre grande leçon qu’elle reçoit à Londres est celle de Moore, qui lui communique ses rythmes amples, cette alternance entre la plénitude rebondie des volumes et les évidements profonds où se tapit l’ombre.

Marbre

Les corps, les couples et les figurines des années 70 s’inscrivent dans cette continuité avant que ne s’affirme une nouvelle exigence, plus acérée et plus audacieuse : faire éclater les masques, pénétrer l’être secret tel qu’il se révèle par delà son visage et son regard, Capter « L’œil intérieur » (p. 45), celui là même où se reflètent la joie et la souffrance, la résolution et le doute. Aspiration représentative au sens profond, qui s’accompagne d’un total pragmatisme dans les moyens plastiques, fondant la forme figurative et non¬figurative sans qu’aucune préconception ne vienne entraver le jeu créatif. Cette tension, cet emboîtement de l’observation et de l’inné crée une asymétrie tragique et vulnérable.
Paroxysme qui s’apaise ensuite en une naissante monumentalité, les volumes étant perçus plus massivement, plus globalement, l’anthropomorphisme cédant davantage à la géométrie. L’exacerbation de la destinée individuelle s’estompe devant la conscience collective.
A partir de 1985, cette vision architecturale se cristallise en une série d’assemblages de marbre ou de bronze où les allusions à la vie organique sont moins manifestes. Mais les multiples possibilités qu’offrent les pièces amovibles, comme le jeu alterné du concave et du convexe, de l’angle et de la courbe, entretiennent le même refus du statique et du définitif.
Le travail actuel de l’artiste récapitule ses étapes en une synthèse renouvelée du vécu et de la méditation. La large articulation des plans du stade précédent se métamorphose en de lourdes anatomies arc boutées, impérieuses déités émanant d’une mythologie à la fois intime et éternelle. Après les affres, à la limite du soutenable, d’une intransigeante mise à nu de l’être, suivie d’une phase réhabilitante et structurante, Diffring rendra t elle à l’homme sa position transcendante à la jonction des forces solaires et souterraines dont il est fait ?

“Etudes vers l’intérieur” (1955) Dessin

Au total, trois manières distinctes de vivre et de mettre en œuvre la conciliation : coexistence étagée et exhaustive des dosages chez Levedag, la conversion progressive mais sans retour de Maggy Kaiser, alors que Jacqueline Diffring effectue une symbiose instinctive, sans cesse modulée. Ainsi, la figuration peut se nourrir des projections de l’intellect, et celle ci, retrouver en elles les pulsions vitales. Multiplication infinie des espaces et des alliances. (Frédéric Voilley, 11 février 1988)

Nul n’est prophète en son pays

Un an plus tard, en 1989 (15 septembre-19 octobre), c’est le Musée des Beaux-Arts de Mulhouse qui fait à Maggy Kaiser une grande exposition, et le Maire-adjoint, Délégué à la Culture, Michel Samuel-Weis, dans le catalogue écrit ceci :
« Nul n’est prophète en son pays »… Cette maxime aurait pu s’appliquer à Maggy Kaiser. Mulhousienne d’origine Maggy Kaiser s’était installée depuis longtemps en Province après un passage à Paris. C’est fortuitement, lors d’une visite dans ce superbe local des Salons de la Malmaison de la Croisette à Cannes, que j’ai eu l’occasion l’an dernier de découvrir les origines mulhousiennes d’une artiste abstraite dont l’œuvre n’a rien à envier à ses maîtres Magnelli, Klee, entre autres.

“Entre trois couleurs” (1975) Huile/toile

De plus, dans une période de l’histoire de l’art où la figuration et l’expressionnisme tiennent le haut du pavé, on redécouvre l’abstraction. C’est ainsi que Marcelle Cahn, Aurélie Nemours, Maggy Kaiser trouvent leur juste place.
Récemment encore un collectionneur me disait la difficulté des femmes peintres de percer dans ce monde difficile de l’art.
La rencontre de Maggy Kaiser avec Monique Fuchs, conservateur du Musée des Beaux Arts de Mulhouse, a permis cette exposition. Que Monique soit remerciée de nous offrir la chance de profiter des lumières de la palette de Maggy Kaiser.
De nombreux Mulhousiens réussissent loin de chez nous et véhiculent dans le monde entier une partie de notre culture. Maggy Kaiser est de ceux là. Qu’ils sachent que leur ville leur sera toujours ouverte et que nous sommes fiers du succès des nôtres loin de leur base.
Puisse cette exposition contribuer au renom de Mulhouse dans la perspective d’un projet de Centre d’Art Contemporain, puisse t elle aussi permettre à Maggy Kaiser de confirmer sa place parmi les grands de l’abstraction géométrique. (Michel Samuel-Weis, Maire-Adjoint, délégué à la Culture)

Place de Maggy Kaiser dans l’art du XXe siècle

Et la Conservatrice, Monique Fuchs, sous le titre « Maggy Kaiser, Itinéraire » :
La rétrospective organisée autour de l’œuvre de Maggy Kaiser s’inscrit dans une série d’expositions du Musée des Beaux Arts de Mulhouse abordant différents aspects de l’abstraction avec les créations de Jean Legros, Marcelle Cahn et Stipo Pranyko entre autres. Le choix d’un artiste illustrant telle ou telle tendance relève souvent d’un mélange d’opportunité et de volonté.
Maggy Kaiser, comme Marcelle Cahn, est alsacienne d’origine. Mais pour affirmer sa vocation de peintre elle a dû « s’exiler » dans une autre région. Je suis heureuse qu’une exposition dans sa ville natale permette aux mulhousiens de découvrir cette femme et son travail de peintre abstrait. Cet hommage sera, je l’espère, l’occasion d’une première reconnaissance, en Alsace, de Maggy Kaiser. Qu’il me soit permis ici de la remercier pour sa constante franchise, simplicité et authenticité.

“L’Intransigeant” (1972) Huile/toile


Avec 70 tableaux environ, l’exposition retrace l’itinéraire de Maggy Kaiser depuis ses paysages et natures mortes des années 50 aux compositions abstraites d’aujourd’hui. Les quelques lignes qui suivent tenteront de cerner la place de Maggy Kaiser dans l’art du XXe siècle et de rendre plus accessibles ses compositions géométriques et la voie que ce peintre a suivie. (Monique Fuchs, Conservateur des Musées Municipaux de Mulhouse)
Dans le catalogue de l’exposition (15 septembre-19 octobre 1989) au Musée des Beaux-Arts de Mulhouse, Monique Fuchs fit encore une analyse très poussée de l’itinéraire de Maggy Kaiser, qui reste très importante. Première partie :

L’appel de la peinture

Maggy Kaiser ressent très tôt l’appel de la peinture en suivant les cours de L. Binaepfel à Mulhouse en 1941 42. S’affirmer peintre en tant que femme, même au milieu du XXe siècle, c’est aller au devant de l’incompréhension de son entourage, notamment dans une ville industrieuse comme Mulhouse. Pour réaliser sa vocation Maggy Kaiser s’éloignera progressivement de sa ville natale. Après un court séjour aux Arts Déco de Strasbourg, elle gagne Paris puis découvre la Provence dont elle fera plus tard sa terre d’élection.
Si l’atelier de Lhote ne lui convient guère, Maggy Kaiser voue à son premier vrai maître : Coutin, une certaine admiration. Auprès de ce sculpteur et compagnon de tradition champenoise de père en fils, elle apprend à chercher les relations de la Forme, à déterminer les lignes directrices d’un point à un autre.

“Susi” (1974) Huile/toile

Puis cette quête continue au travers de natures mortes et de paysages dont elle essaie de situer le plus exactement les lignes relationnelles et de déterminer le contour linéaire du plein de la Forme.

“3 cercles” (1979) Huile/toile

A cette époque Maggy Kaiser cherche une explication du monde à travers la Recherche de ces invariants que Coutin appelle la Forme et la Relation. La beauté n’a pas pour objet une étude des volumes comme on pour¬rait s’y attendre de la part d’un sculpteur, mais l’analyse de la forme extérieure des objets, des arbres les uns par rapport aux autres. Pour y parvenir Maggy Kaiser n’a pas recours au nombre d’or, mais à l’observation seule.
Lors de l’exposition de Klee en 1948 elle découvre que toutes les lignes sont des structures. « Tout est, en art surtout, théorie développée et appliquée au contact de la nature » (Cézanne). A la suite de Cézanne elle peint « sur le motif » en Provence. L’extérieur des choses est le point de départ de lignes relationnelles imaginaires dont elle cherche à comprendre l’ordre en vue de composer sa toile.
A Coutin elle doit de saisir les relations dans la nature, trame de ses recherches, mais aussi de comprendre l’art roman par exemple. Son travail sur le paysage urbain, notamment en 1952, lors d’un voyage en Italie, débouche sur une série de dessins composés uniquement de lignes d’un désordre apparent.

D’emblée on est frappé, sur les œuvres figuratives de Maggy Kaiser, par l’absence de formes organiques. Le corps humain ne l’intéresse pas. Un arbre est réduit à une forme géométrique au tracé régulier. Une maison est transformée en cube ou en carré. La palette de son paysage de ville de 1958 évoque celle d’Ozenfant (Sisteron 1918, ou Beziana 2 en 1952). Tous deux recherchent la Forme qui transcende toute forme, le module invariable. Mais contrairement à Ozenfant qui érige ses recherches en dogme avec le Purisme, Maggy Kaiser poursuit sa quête qui l’amènera tout naturellement à l’abstraction.
Ce paysage en 1958 est significatif à cet égard : les détails architecturaux sont inexistants, les façades et les fenêtres sont considérées comme des formes géométriques aussi simples que possibles. L’ombre n’existe pas. En application des préceptes de Coutin selon lequel un paysage est la grande forme, valeurs chaudes ou froides remplacent les degrés de luminosité. Ces constructions géométriques sont, au fond, dans la tradition de l’Ecole de Paris.

(A suivre)

pub