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Prix littéraires : ils ne sont pas tous mauvais...

Voilà donc l’époque où tout le monde doit se gargariser des mérites comparés et incomparables de tel ou tel « prix » - entendez bien, on n’est plus dans l’oeuvre, on ne suit plus un auteur, on compare les honneurs rendus par la profession, par les aéropages, rarement par les lecteurs.

Oh il y a bien les prix des voyageurs SNCF, celui des lecteurs de la Fnac, celui des libraires, ou celui de tel ou tel libraire en particulier. Mais « les prix » désignent généralement une caste plus réduite d’honorables sociétés qui déjeunent chez Drouant ou au club Interallié et dont les faveurs passées justifient les espoirs des éditeurs et auteurs. Nous le savons tous : le bandeau rouge frappé de ces quelques mots vaut de l’or en librairie : ce seront les livres que vous retrouverez sous le sapin ce Noël.

Il est donc devenu très politiquement correct de « dénoncer » : la manipulation, la triche, la corruption ou tout juste le copinage indigne. Quand il ne s’agit pas de l’affairisme des éditeurs.

Ne voit-on donc pas l’immense service que rendent ces cooptations au livre, à l’édition, à la littérature ? Même tel prix attribué presque par hasard (en général parce que les camps de plusieurs protagonistes s’affrontaient trop fortement pour que l’un deux puisse emporter la breloque) à un inconnu, méritant ou non, va nous faire lire ce que nous n’attendions pas. Et tel est bien l’enjeu du livre, l’enjeu de l’existence des libraires indépendants (grands ou petits) : le livre est le seul support d’expression (pour ne pas dire culturel) à la portée de tous, permettant à presque tout un chacun de s’exprimer, et dont le foisonnement (plus de 60 000 titres publiés chaque année) garantit la disponibilité de milliers de formes de pensée, de dizaines de milliers d’histoires d’autant de sensibilités que nous sommes.

Il n’y a pas de mauvais livre. Il n’y a que des livres que vous n’aimez pas. Et puis ceux qui vous émerveillent, qui changent votre vie. C’est bien cette diversité qui fascine, diversité qu’on ne peut réellement appréhender sur aucun site internet, dans aucune émission de télévision, sur aucun blog. Il n’y a que chez le libraire que vous trouverez, à côté de la pile de prix littéraires qui vous aura fait pousser la porte, des centaines, des milliers d’ « autres livres ». Et si vous avez la curiosité et le temps d’en feuilleter quelques-uns, vous irez d’émerveillement en surprise, et le temps passera si vite que vous serez en retard, vous aurez raté « télé-foot » et « qui veut gagner des millions », et alors vous vous direz, autant le prendre avec moi ce petit volume, je le lirai jeudi soir, plutôt que de me faire expliquer par des egos surdimensionnés ce qu’il faudrait que je lise, et voilà, vous l’embarquerez avec le gros pavé entouré du ruban rouge, que peut-être vous lirez aussi avant de l’offrir à votre sœur – car vous lui offrez un livre, ne sachant vraiment pas de quel parfum ou autre futilité elle pourrait bien avoir envie.

Et cette année elle pourra vous remercier car la moisson, pour être souvent inattendue, est plus savoureuse et plus variée que d’habitude. Pour ne pas vous laisser sur votre faim, car vous êtes là, désespérés, à mes pieds, me suppliant les larmes aux yeux, de vous dire donc enfin, ce que je vous recommande, pitié, faites donc le choix pour nous !

De ma hauteur de libraire qui a tout lu, je vais donc condescendre à vous dire : cette année, le Goncourt est un très bon cru. Un auteur de policiers qui s’intéresse à l’histoire, et en particulier à ce que devenaient les poilus qui ont eu la chance de revenir, entiers ou en morceaux : c’est à la fois poilant et émouvant, et instructif en plus.

Ou alors, intéressez-vous au choix des lycéens, qui tombent souvent plus juste que leurs illustres mentors : le Prix Goncourt des Lycéens « couronne » cette année un sacré livre, lui aussi contant une guerre, celle du Liban, et lui aussi diablement humain et franchement saisissant.

Voilà donc. Ce n’est ni violent ni effrayant, vous pouvez donc les offrir à tout le monde. Et tant pis s’il s’agit des prix les plus connus : je ne vais pas bouder mon plaisir cette année : ils sont bien tombés.

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