Bernard Reyboz : L’Odyssée de la forme
Créateurs d’univers, découvreur de formes, architecte de l’organique, le peintre sculpteur Bernard Reyboz convoque la nature et le conceptuel, le réel et l’imaginaire, l’observation scientifique et la contemplation poétique pour donner au monde une forme.
Bernard Reyboz est né à Lyon en 1951. Après des études aux Beaux-Arts de Besançon puis aux Arts déco de Nice, il entame une carrière dans l’illustration œuvrant pour la publicité et l’édition. C’est en 1978 qu’il décide de se consacrer exclusivement à son travail artistique. Comme beaucoup d’artistes, Reyboz choisit la Côte d’Azur pour sa lumière, et son bleu « incruste » qui agit favorablement sur son inspiration. Mais ce sont les galets de la Baie des Anges qui auront un impact déterminant sur le premier chapitre d’une œuvre pluridimensionnelle qui l’amènera à exposer à travers le monde et en particulier au Japon et en France. D’emblée, ces objets-sculptures fascinent : ils se reproduisent comme des cellules mères, chaque série, chaque phase portant en elle les germes de la précédente. L’œuvre de Bernard Reyboz est une famille sidérante, une tribu pleine de fantaisie, de poésie, issue d’unions jamais contre-nature, mais au contraire réunie par un cordon ombilical fait de matière et de lumière. Dès lors l’aventure de la forme commence comme une épopée entre la terre et l’espace, entre l’œil et le réel !
Observation/ Exploration
Le regard serait-il la clé de voûte de l’œuvre de Bernard Reyboz ? On peut le supposer, lui qui commença par travailler autour de la technique du trompe-l’œil. Comment en douter face à ces étranges formes qui évoluent de façon organique dans l’espace, qui nous invitent, au-delà du plaisir de la contemplation, à voir à notre tour le monde autrement. L’observation du vivant préside au travail de cet explorateur qui use d’une méthode préparatoire quasi scientifique. Compilant, archivant, comme dans un muséum, ses souvenirs d’enfant, ses découvertes, ses campagnes de fouille du réel. Car Reyboz fut un aventurier avant que de devenir un plasticien. « Dans le petit port de Teng-Tchéou au nord de la Chine, le baron Shnaauzer, négociant en épices, attend une livraison en provenance de Colombie. Ce jour-là une grande animation règne sur les quais. Les dockers libèrent les entrepôts des colis qui n’ont pas été retirés. Le tout est étalé sur les quais. L’attention du baron est attirée par une caisse bien particulière autant par sa confection que par l’odeur qu’elle dégage. Après y avoir jeté un œil, il en fait l’acquisition et la fait porter à l’hôtel ». Voilà comment s’annonçait en 1994 à Nice l’exposition/Expédition « Bornéo 1904 ». Bien sûr, la caisse du Baron, une fois ouverte, libère des spécimens que n’aurait renié ni Lovecraft ni Burroughs : « insectes énormes, pourvus d’antennes, de trompes et d’étranges pattes, dont les carapaces bariolées rappellent le pelage des fauves… ». Reyboz, l’entomologiste poète, accouchera bientôt par phases successives de mutations, d’une œuvre dont l’apparente simplicité séduit autant qu’elle interroge. Son parcours est à lui seul une expédition qui conduit, pas à pas vers un continent oublié qui fonctionne avec ses propres codes, en autarcie si intelligente qu’il est bien difficile d’y voir les ficelles ou les références. Parti de formes simples, les "objets" de Bernard Reyboz puisent leur puissance évocatrice dans l’origine des forces telluriques de la matière. Comme Prométhée qui déroba le feu du ciel pour enchanter sa propre créature, Bernard Reyboz puise leur énergie dans la nature, dans son instinct grégaire, dans ses premières formes de vie larvaire. L’intemporalité qui s’en dégage fait partie du voyage que propose l’artiste. Une enquête sur une réalité ? Un voyage astral qui passe par « l’extraction d’un centre de gravité dans l’espace temps », une aventure intérieure ? Quelle est la meilleure distance pour observer l’œuvre/monde, semble nous dire à chaque fois Reyboz.
- L’atelier de Bernard Reyboz.
- ©ArtsToArts
Du galet aux Monolithes
Après une étude circonstanciée des éléments naturels, l’artiste propose une re-création du vivant, donnant à chacun de ses avatars son propre continuum. Le galet sera sa première conquête. A l’occasion d’un voyage à Nice en 1972 l’artiste aura un choc pour cet élément qui deviendra la pierre philosophale de ses premières investigations. " Mon attrait pour les galets fut si fort qu’ils m’ont amené à m’y intéresser de très près. Cela s’est traduit par une série de tableaux et dessins exécutés dans la meilleure technique du trompe-l’œil dont disposaient mes mains à cette époque." Ainsi en 1983 à la Galerie Chave à Vence, l’artiste livre sa première exposition personnelle autour du thème « Les Galets » présentée en collections trompe l’œil. Recensés, calibrés, alignés, ces galets sont ensuite répertoriés avec la maîtrise du "minéraliste obsédé par la classification". D’abord traités en noir et blanc, à l’aérographe, en peinture-objets, sculpture-objets, le minéral goûtera ensuite au spectre de la couleur et se révèlera en 3 dimensions dans une seconde phase d’évolution. Curieux Monolithes épousant des formes oblongues, nouvelle génération lissée, polie, comme enfantée d’un monde subaquatique. Puis les galets se changent "en volumes supports graphiques, parcourus de symboles, tatoués de calligraphies, traversés de signes "organiques". Des pièces qui développent l’expression, le langage de l’imaginaire, évoquant les premiers signes d’une civilisation inconnue ou engloutie. « Enfin plus tard, explique l’artiste, ces volumes se sont vidés de leurs signes pour devenir "objet minéral mort", objet "brûlé", "noirci" par le fond de la terre puis rejeté sur elle pour constituer les nouveaux paysages. »
- Galets de Bernard Reyboz, vue du dessus. Scultpure-objet. Acrylique, bois, verre, coulures de terre cuite.
- ©ArtsToArts
La plus étrange collection entomologique
Les Champs de percussion et les Textures naîtront eux aussi d’une étude de la nature. Et notamment leurs trames sensuelles et complexes : "En 1987, j’ai passé plusieurs semaines à photographier des haies végétales taillées ou sauvages. J’aimais ces façades épaisses dans lesquelles on pouvait plonger ses mains ou enfoncer son corps. Ma première tâche fut de mettre au point une technique qui me permettait de produire cette matière virtuelle. Le papier et le métal en feuilles se prêtèrent à cette réalisation (...)". L’effet de matière inspire alors à son auteur une vibration graphique faite du jeu savant des pleins et des vides.
Le peuple des Tripodes, créatures malignes de tailles variables, débarque sur le rivage Reybozien par accident. « A l’époque je travaillais sur les monolithes et les champs de percussion. Dans un moment de distraction, j’ai modelé avec de la terre un petit sujet à trois pattes surmonté d’un long cou qui portait une spirale. J’ai déposé ce sujet dans un coin de mon atelier et je suis retourné à mes occupations optiques et minérales. Quelques mois plus tard, dans un moment de plus grande distraction, j’ai repris la terre et modelé des centaines de sujets de 5 à 10 cm de haut, tous avec trois pattes, avec un symbole abstrait en guise de corps ou de tête. Je les ai installés sur des plaques de bois, disposés bien en ligne les uns à côté des autres comme une collection ; c’était les premiers recensements ». Façonnés avec de la terre, se regroupant en ban, en colonies, ces petits personnages noir et blanc, s’animent au cœur de scénettes poétiques non dénuées d’humour. L’artiste les invitera même dans une série d’histoire où ils évoluent dans soixante boîtes comme dans un petit théâtre. Les Cratères, sortes d’entonnoirs recouverts de sable noir, ovales ou sphériques sont une résurgence de la période des galets qui préface la naissance des Chrysalides, tout comme la série « Magma » où l’artiste met à jour une nouvelle carapace. « L’enchevêtrement de traits peints sur une surface avec des lignes en fils de fer les prolongeant dans l’espace me donnait l’impression de brasser une lave. Je "concoctais" la matière première des futures chrysalides. »
Quand les chrysalides apparaissent, il semble qu’un cycle de l’évolution de l’artiste soit atteint ? Etranges créatures faites de matières grillagées, nids de coraux, fourrés ultra marin, l’imaginaire se laisse piéger par ces formes douces où l’effet de matière joue à plein la symphonie du vivant. « Les Mouvants », plus récents, présentés en 2008 à la Galerie Ferrero, de même que la sortie de l’impressionnant catalogue raisonné de l’artiste (Editions Artstoarts), feront de ces objets sculptures des créatures animées subtilement par un mécanisme interne. « Je fus vite embarrassé de cet aspect mécanique qui pouvait m’enfermer dans un système d’usinage et d’assemblage - j’ai donc détruit toute cette production. Seules deux pièces y ont échappé... des collectionneurs ayant été plus rapides », explique Bernard Reyboz, un artiste dont le monde venu du fond des âges, n’a pas fini de nous enchanter comme une fontaine de jouvence où coulerait l’énergie la plus vitale.
« Ensemble de personnages, de créatures ou de formes, les œuvres de Reyboz se superposent et se bousculent dans une succession d’aventures. Elles prennent corps. On participe aux péripéties »
François GOALEC
*Extraits d’interviews du catalogue raisonné de B. REYBOZ (Edition artstoarts)
- Extrait du recueil de dessins "Tempéraments d’Ecrivains".
- ©Bernard Reyboz
Reyboz est aussi un fin dessinateur. Son recueil de dessins humoristiques « Tempéraments d’Ecrivains » montre un autre aspect de son œuvre : l’humour. Dans cet ouvrage, il se moque allègrement de l’angoisse de l’écrivain, notamment face à la page blanche… Délectable !