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Les rencontres d’après minuit

C’est un cinéma hyper stylisé que propose Yann Gonzalez pour son premier long-métrage qui a électrisé la Croisette lors de sa présentation en séance spéciale à la Semaine de la Critique du dernier Festival de Cannes.

© Potemkine Films

Rencontres d’après minuit est le pari hardi d’un « discours amoureux » très spécial pour une insolite assemblée de personnages. Dans un boudoir dépouillé aux éclairages phosphorescents, un jeune couple sensuel attend, pour une orgie sexuelle - qui ne commencera jamais vraiment - des invités inconnus aux noms évocateurs : la Star, l’Etalon, la Chienne, l’Adolescent... Ces « archétypes » de créatures interlopes, de sexes et d’âges différents, se réunissent pour un jeu de rôles, tout en étant animés finalement du même désir de se connaître, de s’épancher, d’écouter, d’aimer, d’embrasser. Dès leur entrée, le bizarre s’insinue parmi eux. Dans un élan de curiosité porté à l’autre, joignant la soif de dialogue à l’attraction physique, chacun profitera de cette occasion pour partager une parcelle de sa vie, donner une clé de soi, révéler un souvenir important. On plonge dans l’imaginaire d’une parole lancinante qui se déroule comme le ruban de ce film inclassable qui met en scène des amours homosexuelles, transgenres, ou autre. Aucun des personnages n’est défini par une sexualité arrêtée, et chacun reste ouvert à toutes les aventures qui s’offrent.

Dans cet oppressant appartement-fantôme, tous tissent un canevas de clins d’œil sur lequel Yann Gonzalez brode des énigmes qu’il laisse cependant en suspens. Faisant table rase de la réalité, il voit le cinéma comme un miroir déformant, lieu de tous les possibles. Entre romantisme effréné, crudité insolente et légèreté naïve, c’est derrière son apparence au parfum mortifère que chaque « archétype » donne à découvrir souvenirs, rêves et surtout fantasmes.

Photo extraite du film
© Sedna Films

Ce film sensuel, qui parle beaucoup de sexe, n’a rien d’érotique. Le motif majeur étant le baiser, reconnu comme étant une façon de sonder l’âme de l’autre. Le baiser d’abord, la parole ensuite ! Jouant sur le semblant, les feintes, les approximations, les rituels et leurs simulacres, le réalisateur manifeste son goût de rendre étranges les lieux et les gens : un juke-box sensoriel traduit en musique l’état d’âme de celui ou de celle qui s’approche, l’un des comédiens (Nicolas Maury) porte jupe et talons pour jouer la domestique, Eric Cantona, pur bloc de virilité perplexe, est doté d’un sexe-prothèse monumental, Fabienne Babe arrive masquée, Béatrice Dalle caricature une surprenante commissaire... Dans un univers fantasmatique à la théâtralité assumée, le film permet de révéler la vérité derrière les apparences d’une utopie déchirante avec pour prétexte cette partouze. La verve ironique des dialogues libertins et l’humour s’amplifiant sans cesse achèvent le processus de fascination transformée peu à peu en émotion sincère.

Peut-on chercher des influences à Yann Gonzalez ? Bunuel, Cocteau, Robbe-Grillet, Monteiro... Bref, nombre de ceux qui sont restés à la marge quel que soit leur succès. Car, qu’on aime ou pas, on ne peut que reconnaître l’originalité innovante de Rencontres d’après minuit, œuvre onirique totalement différente de tous les films formatés qui envahissent les écrans !

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