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SERGE III - Attention Art Méchant

Serge III, Z’éditions dans le catalogue réalisé à l’ocassion de l’exposition à la Galerie Christine Le Chanjour - 1er au 29 février 1991 © Z’éditions

Un poster géant montrant Serge III faisant du
stop avec un piano signalera l’exposition estivale
à l’Eco’Parc de Mougins. Un demi siècle
plus tard personne n’a oublié Serge III mais
le mystère plane encore sur une oeuvre singulière,
sulfureuse. En 2010 fut proposée à la
vente aux enchères de l’Ecole de Nice une série
de photos représentant les corps meurtris
de la Bande à Bonnot à la morgue. Le travail
de la balle fut une des dernières exactions de
Serge III. La première, qui mit le feu aux poudres,
fut l’happening qu’il réalisa en jouant
à la roulette russe (avec une arme chargée)
lors d’un concert Fluxus. Entre-temps la carrière
du frère de l’écrivaine Zoe Oldenbourg,
troisième Serge d’une veille famille russe, fut
aussi controversée que productive.

Auto-stop avec un piano - 13 juin 1969, Cros de Cagnes

« Ma première rupture avec l’art classique des
années 50-60 fut en février 1962. Bien avant
que j’entende parler du Happening, j’ai proposé,
pour 1 Franc, mon âme à Ben. Le but
était de traiter avec dérision ce que d’autres
prennent tellement au sérieux. C’était la première,
mais non la dernière fois ». Force est de
reconnaître que la vie de Serge Oldenbourg né
en 1927 fut un happening qui dura 73 ans. La
production subversive de l’artiste emprunta
deux voies, la performance avec Fluxus et celle
de la création d’oeuvres à forte teneur acide
pour la morale, la religion, l’ordre établi. « Serge
III ose des images très fortes où l’on ne sait
qui l’emporte de la dérision ou de la gravité du
propos » c’est ainsi qu’ouvrait Claude Fournet
(Conservateur et Directeurs des Musées de
Nice) le catalogue consacré à la rétrospective de l’artiste à Nice en 1988. « Avec Pinoncelli,
ils furent certainement les deux plus radicaux
dans leurs gestes » souligne aujourd’hui Eric
Mangion, directeur du centre d’art de la Villa
Arson dont l’exposition « le temps de l’action »
fera une large place à cet héritier de DADA. Le
caractère ambivalent et radical de Serge III posa
bien des problèmes à ses contemporains, aux
institutions comme parfois à ses amis. Et quand
l’artiste performer fit la une des journaux ce
ne fut pas celle de la presse spécialisée. « Un
français échangé contre un espion Tchèque »
titrait France-Soir le 29 décembre 1967. Serge
III venait d’être libéré, suite à 14 mois de prison
pour avoir collaborer à la désertion d’un soldat,
après un concert Fluxus à Prague. En 1970 invité
à l’exposition « Environs Il » à Tours, Serge
III achète un pistolet à amorces. Il prévient les
organisateurs et la presse, monte dans un bus,
braque le chauffeur et lui ordonne de rejoindre
la bibliothèque où se déroulait l’événement.

Couverture "Journal de prison" Prague 1966-67 de Serge III - Oldenbourg édité par Frédéric Altmann

Mais la police l’intercepte. La même année, il
peint avec les trois couleurs du drapeau français
des ossements et des sabres pour célébrer
le centenaire de la défaite de Sedan. Peu
après, à La Rochelle, invité à exposer dans la
rue, il accroche à des câbles, une croix de 2 m
50 de haut sur laquelle on peut lire : "le Christ
revient de suite". La liste de ses gestes artistiques
contrôlés (ou moins) serait longue. Mais si
l’on redécouvre aujourd’hui Serge III c’est aussi
grâce à une oeuvre de galerie qui fit une large
place à la réflexion sur l’engagement créatif, en
témoigne ses agressions d’identités ou son travail
sur le contenu/contenant. Pour matérialiser
ce concept, l’artiste réalisa au début des années
70 des moulages intérieurs d’armoires, bouteilles,
bidon, paquets de cigarettes exposés
pour Sigma 5 à Bordeaux en 1969, au Musée
d’Art Naïf à Flayosc en 1973, à Porto en 1974 et
au Centre Georges Pompidou en 1977 et plus
tard à Nice.

La Une du journal "France-Soir" du 29 déc. 1967

Au travers de ses performances, objets et peintures,
Serge III a fouillé en profondeur, au deçà
des interdits, là où d’autres artistes se firent sociologues,
nos modes de pensée. L’oeuvre protéiforme
de Serge III est un regard aigüe, posé
sur les autres, sur l’art, un regard sur soi. Sans
complaisance. « Un art méchant » ? Comme il
titrait lui-même en 1974, avant de fabriquer des
épées, fléaux, crocs, hache de bourreau puis de
poser des barbelés sur d’innocentes victimes
de l’art (Héros de BD, Pin up etc.). C’est peutêtre
Ediglio Alvaro qui résume le mieux le trajet
de cet artiste insoumis. « Serge III a su créer et
assumer une telle variété de gestes et d’objets
subversifs, il a tellement payé de sa vie, tellement
souffert et tellement vécu qu’il reste sans
conteste, un des grands prédateurs créateurs
de l’art français et européen. »

Que reste-t-il de nos amours ?



Pour mieux cerner ce créateur complexe, entier, aussi vénéneux que généreux qui referma
son parcours par une série baptisée « je t’aime » quelques proches et complices
ont accepté d’ouvrir l’album de souvenirs.

"Marilyn Monroe", poster collé sur bois et fil de fer barbelé, 1990 © François Fernandez

Ben Vautier Artiste Fluxus

Quand j’ai rencontré Serge Oldenbourg, il faisait
du Théâtre traditionnel. Je l’ai embauché
dans le théâtre total à Nice, il a joué avec moi
à la gare du Sud en 1964 puis en 1966 à Paris
pour Fluxus. Pendant le concert il est monté
sur scène avec un revolver et a joué à la roulette
russe, il avait mis une balle dedans. On l’a su
après. Il m’avait juste dit : tu vas voir, tu auras
un choc ! En 1969 pour le festival Non Art, il a
proposé de faire du stop avec un piano. Je l’ai
laissé sur la route à Cros de cagnes. C’est moi
qui ai fait la photo. Quand je suis revenu deux
heures plus tard il était toujours là. Personne
ne s’était arrêté sauf un type qui allait à Marseille.
Je lui ai reproché de ne pas en avoir profité
mais pour lui cela n’avait pas de sens, sur
son écriteau indiquait : Paris. Peu après il avait
le projet de mettre le piano sur des bouées
et de partir en Corse à la rame. J’ai trouvé
l’idée poétique mais elle ne s’est pas faite.
L’épisode le plus marquant avec Serge fut celui
de la Tchécoslovaquie. En 1996 nous avons
été invités à donner un concert Fluxus à Prague.
Quand on est arrivé sur place il n’y avait
une cinquantaine de personnes dans une petite
salle mais bon, il y avait des groupies qui
hurlaient. On a joué une trentaine de pièces
et j’ai terminé en brisant un violon ! On devait
rester deux jours de plus mais l’ambiance était
morose. En plus une fille me draguait mais posait
plein de questions, je me sentais mal à
l’aise. Quand j’ai dit à Serge mon intention de
repartir le lendemain il m’a répondu : Tu peux
partir, moi je reste ! Ce n’était pas très sympa
parce qu’on était venu tous les deux dans ma
2CV. Ce retour, je m’en souviendrais. Je suis
parti dans la nuit, j’ai roulé, arrivé à la frontière
autrichienne je n’avais plus d’essence, le
pot d’échappement était tombé, le plancher
avait cédé, je voyais la route défiler sous mes
pieds. Un vrai cauchemar, j’en ai chialé. A
Nice, on entendait le retour de Serge par le
train. Au bout d’une semaine, d’un mois, pas
de nouvelles. C’était un mystère qui nous a
tenu en haleine, jusqu’à ce qu’on apprenne
qu’il avait été arrêté comme espion. On a découvert
qu’il s’était fait avoir par une fille à
qui il avait donné son passeport pour que son
petit ami passe à l’Ouest.

L’histoire ayant mal
tourné elle avait balancé Serge à la police.
Chaque artiste a sa légende. Satie a la sienne
mais son oeuvre reste extraordinaire c’est pareil
pour John Cage ou Duchamp. Pour Serge III,
pendant longtemps j’ai pensé que c’était juste
un petit con prétentieux qu’il fallait remettre à
sa place. Je l’appelais « Moi je » parce qu’il ne
pouvait pas commencer une phrase sans dire
« Moi je ». La vérité, c’est que je n’avais pas
vu qu’il avait inventé le côté subversif dans
l’art, ce que moi je ne voulais pas assumer. Je
me méfiais de lui je me demandais même s’il
n’était pas espion ou flic, il était très à l’aise
avec la contestation politique, moi, c’était pas
mon truc. Mais je reconnais que quand il a fait
les images de la bande à Bonnot, Le Vinyle
blanc, mais surtout le travail sur les contenus,
c’était très fort, très personnel. Son expo au
MAMAC, a permis de voir l’épine dorsale de
son travail. Plus tard j’ai acheté ses pièces,
une vingtaine.

Jean Mas Artiste performer

Serge se plaisait à dire qu’il était l’artiste qui
avait le plus peint. Il faut dire que pour gagner
sa vie il devait faire de la rénovation d’appartements.
C’est aussi de là que lui est venu
l’idée de tout peindre tout en blanc, y compris
les toiles d’artistes, c’est ce qu’il a fait dans
sa période « Vinyle blanc ». On a construit
ensemble un igloo. L’idée nous est venue à
l’Eden Bar. J’avais acheté un bouquin « l’art de
faire un igloo » puis en levant nos verres on a
chanté : Et glou et glou, il est des nôtres ! C’est
comme ça qu’on a décidé d’aller en montagne
pour réaliser cette installation. Le plus drôle
c’est que Serge est venu avec un marin russe
du nom de Pedro qu’il avait ramassé passablement
éméché du côté du port. On l’a embarqué
avec nous à Saint Martin de Vésubie,
on s’est servi de sa valise pour mouler les
briques de neige. Mais il ne faisait pas assez
froid, ce fut une galère. L’autre expérience
avec Serge fut aussi biblique. Cette fois on
est descendu sous terre, on voulait exposer
sous le MAMAC. On est entré sous le paillon
au niveau de la prison. Après avoir longé les
souterrains sur plus d’un kilomètre nous sommes
arrivés à la verticale du MAMAC. Là on
a empastissé les murs de peinture. Ça doit y
être encore. Un photographe nous avait suivi.
Le 7 novembre 1991 on faisait la une de Nice-
Matin « Jean Mas et Serge III exposent sous le
MAMAC ». Cette prise de possession du lieu
fut sous-titrée : « Nous sommes sous l’art »,
un clin d’oeil à Serge qui buvait pas mal. Avec
le recul je crois que Serge III incarna au coeur des années 60 la culture de l’authenticité, ce
désir de s’imposer comme individu sans faire
de compromis, d’allégeance à quoique ce soit,
au groupe, à l’état, à la morale, à la religion.
Il représentait plus que tout autre cette vision
de l’individu qui a une manière singulière de
réaliser son humanité. Son travail de plasticien
est un mélange d’art naïf et d’art brut avec ce
côté cru, authentique, farouchement opposé à
la pollution des institutions.

Frédéric Altmann Galeriste, critique d’art et photographe

Je l’ai rencontré en 1964 au théâtre total de
Ben à l’artistique. Et puis il y a eu cette histoire
à Prague. On titrait dans la presse « Le français
échangé contre un espion tchèque raconte
 » Un beau jour, c’était en 1973 il me sort un
tas de petit papiers griffonnés et dit voilà c’est
mon journal de prison. Je l’ai publié. Il avait
fait un tract qui s’appelait « La ridicule école
de Nice ». Il était sévère, intransigeant mais il
avait souvent raison. Il avait l’habitude de distribuer
ses lettres à tout le monde. C’est à la
suite d’un de ces tracts qu’il s’est brouillé avec
Ben. Moi même j’y ai eu droit « Frédéric est un
salaud » il avait écrit puis il s’est excusé. Il faut
dire que son travail était difficile à vendre et
qu’il entretenait des rapports tendus avec les
galeristes.

Je l’avais exposé dans ma galerie
l’Art marginal en 1978. Et quand Il y a eu son
expo au MAMAC, Fournet m’a dit : Vous en
prenez la responsabilité, s’il y a une connerie
je vous mets dehors. A part ça, il pouvait être
charmant et être drôle. Comme nous étions
voisins, il venait souvent dîner à la maison. Un
soir où on avait bien bu, il s’est mis à haranguer
les flics qui surveillaient la préfecture et
à leur jeter des choses par la fenêtre. En fait
c’était des magazines pornos. Un des flics en
faction quand il a vu ça, les a promptement
ramassés et mis sous son manteau. On était
mort de rire. Les gens avaient peur de Serge.
On ne savait jamais vraiment ce qu’il allait
faire. Les deux fous authentiques à l’école de
Nice, c’était Pinoncelli et lui. Ils n’avaient peur
de rien. Serge était un anarchiste, il ne voulait
pas se laisser récupérer par le pouvoir en
place. Il est mort debout !

Alain Amiel Editeur, écrivain

Serge III aimait l’écriture, les contrepèteries.
En 1984, il participa à l’exposition : "L’écriture
dans la peinture". Il distribuait des tracts
il avait même créé une revue « le Guep’art ».
Dans les années 90, j’avais un local dans une
galerie de la rue Bavastro où il venait souvent
faire des photocopies pour éditer ses numéros.
Une de ses performances m’avait marquée.
Son vernissage au MAMAC, fut suivi par
une soirée à la galerie de la Marine avec Ben et
Jean Mas. Serge III y donna une création dans
un concert de Fluxus en clouant une à une les
touches d’un piano. Toute la galerie résonnait
de cette implacable et dissonante mélodie. Le
rapport entre Ben et Serge III était particulier. Il
ne supportait aucun compromis et reprochait
souvent au mentor de Fluxus d’être moins intransigeant.
Plus généralement, on peut dire
que Serge III fut le plus rebelle d’entre tous, le
plus déterminé dans ses actions.

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