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Philippe PASTOR

Philippe Pastor, Révolution sans titre n11002LR, 275x230 cm, Photo Didier Gicquel

C’est un travail singulier que tu abordes en
peinture en lien direct avec la nature. un thème
important ?

Essentiel ! Cela fait des années que je travaille
avec la nature. Je n’ai pas attendu que cela devienne
« à la mode » comme on dit. L’environnement
est pour moi une préoccupation essentielle
et c’est ce que j’aime travailler à travers
ma peinture. Cela a d’abord commencé par les
sculptures d’arbres calcinés et après un travail
pictural assez figuratif, j’ai glissé peu à peu vers
l’abstraction.

Ces arbres calcinés ont donc été ton point
de départ ? Le point de départ de mon travail
en lien avec la terre. En 2003, il y a avait toute
cette série d’incendies dans le Var et étant tout
proche, je me sentais, bien sûr, concerné. J’utilisais
alors des arbres qui avaient brûlé et je n’ai
pas trouvé autre chose de plus fort pour dénoncer
la négligence de l’homme face à la nature. Ils
avaient été réalisés pour choquer, plus que pour
être esthétiques. Je ne considère pas une oeuvre
pour qu’elle soit installée dans un rond-point
mais bien plus pour amener à une réflexion.
C’est un travail « sans concession », comme l’a
écrit Alexandra Marini. Cet aspect de la folie humaine
m’intéresse, tout comme les accidents, la
destruction. Ce que je veux inclure dans mon
oeuvre c’est une prise de conscience.

Comment s’effectue donc ce travail avec la
nature ?

Les toiles actuelles sont des toiles qui
sont restées longtemps en extérieur. Je mets de
grandes toiles sur des bâches, à plat en pleine
nature. Elles ne sont pas à même le sol, bien sûr,
et il a fallu du temps pour mettre au point tout
ce processus de création. Une fois posées, ces
toiles sont un support pour exprimer ce que je
ressens mais aussi ce que la nature a à dire.

A la vue des toiles gigantesques que tu
utilises, où trouves-tu la place nécessaire
pour leur réalisation ?

J’ai la chance d’avoir
une ferme dans le Var, à la Garde Freinet. C’est
une ferme bordée d’un grand terrain que j’ai
acheté il y a une trentaine d’années. J’habitais
alors à St-Tropez et je suis tombé presque par
hasard sur ce havre de paix. C’est devenu un
peu mon refuge et c’est à cet endroit que je me
retrouve pour travailler, loin des vernissages ou
des expositions bruyantes. C’est une belle châtaigneraie,
un lieu vital où, en travaillant avec la
nature, je me ressource en même temps.

Glisser de la figuration à l’abstraction a-til
été chose facile ?

J’ai en effet glissé de la
figuration à l’abstraction progressivement. Au
début, je produisais des toiles très colorées, très
expressives sur lesquelles j’apposais même des
mots, des phrases. Il y avait déjà une part d’abstraction
dans leur agencement mais j’ai voulu
m’y plonger vraiment pour découvrir autre chose.
Avant de pouvoir réellement se lâcher dans
l’abstraction, il faut du temps. C’est beaucoup
plus difficile que ça en a l’air.

Philippe Pastor, Révolution sans titre n11020LR, 320x307 cm, Photo Didier Gicquel

La gestation de tes oeuvres en pleine nature
doit requérir beaucoup de temps ?

Oui. Pendant six à huit mois, je laisse bâches
et toiles au dehors. L’eau ravine et fait son oeuvre
avec ce que j’y ai déposé. J’utilise un nombre
important de pigments naturels, mais aussi
d’éléments que je prélève dans la nature, la terre,
l’eau, le feu dans la spontanéité. Parfois, le
vent peut aussi y poser ce qu’il veut comme des
éléments organiques de l’environnement. Les
toiles s’imprègnent littéralement de la nature et
j’aime composer avec elle. Au bout d’un certain
temps, je récupère mes toiles et les ramène à
mon atelier. C’est là que j’effectue les découpes
qui me semblent justes, les parties de toiles qui
m’intéressent. Je cadre ce qui me semble tenir et
je retends les châssis.

Tu laisses donc la nature maîtriser une
part de l’oeuvre ?

Au départ, en effet, je ne
maîtrisais pas les éléments. Il y avait toujours
des choses nouvelles que je découvrais, qui apparaissaient.
A force de travailler comme cela, je
connais maintenant un peu et par avance ce qui
va se produire sur la toile en termes d’effets, de
rendus, bref, ce qui va se faire sur le support. Il
y a une part de non maîtrisable qui me plaît. Ce
qui me pousse à faire toujours autre chose est
cette recherche d’aller vers l’inconnu.

Les possibilités sont-elles infinies ?

Oui car
il y a un dialogue avec la nature et nous avons
tant de choses à dire. Et puis la nature est toujours en mouvement. J’y combine mes couleurs,
mes matières, des minéraux, des végétaux,
je fais ma cuisine et je laisse agir
mon instinct. Chaque toile a sa propre vie et
reste une trace.

Lorsque tu parles du travail instinctif,
tu parles de sensations ressenties
à un moment précis ?

J’essaie d’être au
plus près des choses en les ressentant le
plus possible. Mais c’est aussi une somme
de recherches qui me permet de travailler
comme je le fais en pleine nature. Il suffit de
voir tout ce que j’ai pu accumuler comme
dessins d’approches, comme travaux préparatoires
dans l’atelier… Que ce soit sur
papiers, sur des toiles collées, sur des morceaux
de toiles, tous ces travaux sont des
essais. De leurs résultats dépend ce que je
décide de faire ou de développer ensuite. Il
y a aussi un grand nombre de dessins que je
garde depuis très longtemps.

Ton action de peinture est profondément
ancrée à l’humain et à son aveuglement
sur une réalité qui le rattrape.

L’homme est toujours lié à la nature et il
en perd malheureusement les repères. Je
suis vraiment sensible à cela car on se rend
compte aujourd’hui de ce que l’homme
détruit, tous ces malheurs, ces bouleversements
climatiques et notamment le dérèglement
dans l’alternance des saisons.
Ce que l’homme détruit d’un côté, il ne le
reconstruit pas de l’autre. L’homme ne veut
pas voir la réalité en face mais ça, c’est dans
tous les domaines. C’est le message que je
souhaite faire passer pour l’environnement,
c’est quelque part mon engagement.

© Didier Gicquel

Pour cela, tu abordes des séries comme
h2O ou dernièrement les Quatre
Saisons ?

H2O a été un projet sur l’eau avec
des coulées, toujours en référence à la nature.
Celui des Quatre Saisons a pour thème
central les instruments de la création. Le
travail en série me permet de partir sur une
voie d’exploration et d’en trouver un développement
intéressant. C’est avec cette
façon de travailler que j’avance. Je pars un
mois, un mois et demi et je bosse à fond sur
quelque chose qui donne naissance à une
nouvelle série, une thématique que je peux
approcher différemment.

Quelles sont les orientations récentes
de ton travail ?

Actuellement, je suis passé
à un travail de drapé. C’est une chose rarement
exploitée, si ce n’est le côté académique.
Les toiles sont vrillées sur elles-mêmes,
pliées et présentent des zones contrastées.
Il y a généralement dans le tableau ce qu’on
dit être le châssis et la toile ; je veux sortir
de tout cela. Je préfère entrer dans une
autre dimension, toujours en rapport avec la
nature. Que ce soit des bâches, des tissus,
des toiles de tente utilisées par l’armée, je
veux faire évoluer ma vision sans cesse et
en toute liberté. Il y a dans certaines toiles
une idée de « révolution ». Ce n’est pas courant
d’être confronté à des toiles présentées
comme cela. Il arrive un moment où l’on ne
fait plus que ce que l’on a envie de faire. On
se fout des préjugés et des bien-pensants.
Mon orientation principale, c’est de faire ce
que j’aime et de faire ce que j’ai envie de
réaliser.

Philippe Pastor dans son atelier, © Didier Gicquel

Te réfères-tu à des artistes connus du
monde de l’art ou bien encore à un
mouvement artistique ?

L’inspiration,
je la trouve avant tout dans la nature, sous
mes châtaigniers. Il est probable que certaines
de mes toiles puissent faire penser au
travail d’Ansselm Kieffer par exemple mais
c’est du pur hasard. Ma référence de base
est notre environnement. Les mouvements
artistiques ne me font ni chaud ni froid.
Ce n’est qu’en travaillant et en persévérant
qu’on y arrive, pas en s’inspirant de ce que
font les autres.

On peut se rendre compte au premier
coup d’oeil que tes projets sont toujours
des projets d’envergure. ce sont
des challenges que tu relèves seul ?

Être entouré de gens avec qui on se sent
bien est primordial. Qu’ils soient compétents
et qu’ils développent derrière
moi, c’est un atout supplémentaire,
c’est sûr. Un artiste ne peut pas tout
faire comme être sur le terrain des
expositions et à son atelier… J’ai la
chance de travailler avec un petit groupe
d’amis depuis plusieurs années. Et
puis, comme je fais du monumental, je
ne peux pas manipuler seul des toiles
d’aussi grandes dimensions. Le monumental,
pour moi, c’est la vie. La vie, c’est
aussi l’amitié.

Biennale de Venise, centre culturel
français à milan, Siège des nations
unies, etc… les expositions s’enchaînent
à un rythme effréné ?

Oui et ça ne
s’arrête pas. Entre la préparation des toiles
et les expositions, il y a un turn-over de fou
 ! La crise n’a épargné personne mais ça repart.
De plus, je ne travaille pas à la commande
et je n’aime pas travailler dans l’urgence.
A un certain âge, j’essaie de rester
aussi très libre dans mes choix par rapport
à beaucoup de choses. C’est important de
ne pas être dépendant d’un système et je
n’ai personne qui me dit d’exposer ou de
ne pas le faire. Certains exposent pour l’argent,
d’autres pour la démarche.

Les projets à venir ?

Il y en a un certain
nombre et il faut du temps. Parmi la programmation
des prochaines expositions, il
y a celle qui se tiendra dans quelques semaines,
du 17 mai au 14 juin, à Paris, à la
Galerie Nicolas Deman. Mais d’ici quelques
jours déjà, je repars à la Garde Freinet,
dans ma bergerie pour entamer la création
d’autres toiles. Après Pâques, c’est la bonne
période. Je vis au rythme des saisons…

Philippe Pastor, Révolution sans titre n11002LR, 275x230 cm © Didier Gicquel

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