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Nivèse - Identification d’une femme

Evénements liés à l'artiste

Exposition à la galerie 30

Parmi eux comptent Nivese Oscari, Frédéric Altmann et Raya Sorkine. L’exposition est ouverte tout les jours de 11h à 19h sauf dimanche et lundi.

Fin : Juillet 2014 Voir l'événement

Cette Appellation d’Origine Non Contrôlée née en 1960 dans le journal Combat a toujours eu du mal à contenir un creuset de créateurs issus de courants divers (Nouveau Réalisme, Fluxus, Support/Surface) de leurs franges ou au-delà de tout marquage. Martial Raysse, ne disait-il pas déjà en 1965 : « nous étions 3, nous voici 10, nous serons 300 dans dix ans ». La singularité de Nivèse c’est qu’elle fut et reste la seule artiste femme à avoir participé à ce vent de renouveau qui souffla sur les seventies. Mais dans ce paradis latin où l’art est trusté par les hommes, l’intégration ne fut pas aisée. Nivèse est jolie, blonde et débarque à Nice en 1973. Un chien dans un jeu de quilles ou une quille dans un jeu de chiens ?

Une enfance entre la Croatie et la Belgique

L’artiste dans son appartement du Vieux Nice © H. Lagarde

Pour Nivèse née Nivese Oscari à Labin (Croatie), l’arrivée à Nice marqua un retour au soleil après les brumes du Nord. « En 1947 nous avons quitté le pays pour la Belgique où je suis restée de 3 à 24 ans. Ce fut une période noire ». Car en terre promise c’est un labeur plus dur que celui de la terre, un travail dans ses entrailles qui attend son père : « Il était paysan. Quand il a vu la mine, il a voulu repartir ? ». Aujourd’hui encore l’artiste se souvient de l’enfer du Borinage : « Enfant, j’allais le chercher. Je le revois encore remonter le visage maculé de suie dans une cage en fer. Une image qui m’a marquée ». On peut se demander si ses découpes de fer verticales, récurrentes dans son œuvre ne sont pas une résurgence de cette « jeunesse au noir ». « Depuis ce pays m’angoisse. J’y retourne voir ma sœur Dolores, comédienne et metteur en scène qui vit à Bruxelles où elle vient d’ouvrir son propre théâtre ». Ainsi quand Nivèse plie bagages en 1973 pour le sud, ce n’est pas du luxe : « J’avais besoin de lumière, il fallait sortir de cette noirceur ».

Nice, retour solaire

Détail paravent palissade de la Bibliothèque Nucéra, Nice © H. Lagarde

Sous le soleil, les choses commencent à lui sourire. Nivèse, qui vient de quitter son ex- mari artiste peintre et qui à douze ans copiait déjà van Gogh, intègre la Villa Arson : « Je me suis inscrite aux Beaux-arts comme élève libre. Venant d’un milieu où je baignais dans l’art j’ai réussi les examens d’entrée sans difficulté ». Mais pour autant elle ne fera pas ses cinq ans quittant à 29 ans le giron de l’école. « Je ne voulais plus trainer, j’ai travaillé et exposé très vite. Ma première pièce date de la Villa Arson. Je me cherchais. J’aimais mélanger le sacré et le profane comme mes ex-voto. Je faisais des collages aussi ?? ». Un exercice sur lequel elle est revenue en 2009 et qui fit l’objet d’une exposition à la Malmaison à Cannes. Mais parler de Nivèse c’est parler des hommes qui jalonnent son parcours. La jeune et séduisante plasticienne n’a pas le choix en pénétrant dans le saint des saints de la création niçoise. Son premier contact avec ce cénacle où les hommes brûlent la vie par tous les bouts se fera avec l’un des piliers du Nouveau Réalisme.

L’école des hommes

En 1974 le pape de la compression fait appel à l’étudiante. « César est venu à la Villa Arson pour chercher un assistant, il est reparti avec moi. À cause de son hépatite virale il dormait beaucoup et me déléguait des travaux comme les compressions en argent que j’ai réalisées chez Morabito ». La rencontre de Nivèse avec Frédéric Altmann, l’homme de sa vie, se fera en 1977 dans sa galerie « L’art marginal » où ce dernier défend l’art et ses amis de l’École de Nice. « Elle est entrée et m’a dit « vous n’avez pas honte de montrer de telles merdes ? » en me désignant une toile d’art naïf. Elle m’a montré son travail, c’était si bien que je n’ai pas pu la brocarder » explique Frédéric Altmann. Au contraire nos deux tourtereaux fileront et continuent de filer le parfait amour dans leur appartement du vieux Nice. Leur témoin de mariage fut Yves Bayard, l’architecte poète disparu en 2008 qui dessina le MAMAC, le TNN, la Bibliothèque et sa Tête au carré.

Nivèse et Arman © Frédéric Altmann

« La première fois que je l’ai vu, il m’a suivi toute une journée dans la ville. Je suis rentrée dans la galerie de Frédéric, je lui ai fait la bise, il s’est dit que l’on était ensemble. Mais il n’y avait encore rien entre nous. Bayard était son meilleur ami et il devint aussi le mien. Il m’a dit un jour tu seras mon grand regret ». Car Nivèse fait tourner les têtes. « De là à la percevoir comme une intrigante il n’y a qu’un pas », explique Frédéric Altman. « Elle était la seule femme du groupe, tout le monde lui courait après. Comme ils n’osaient pas l’attaquer, ils s’en prenaient à moi. C’était un milieu très misogyne ». Nivèse cristallise les passions pour le pire mais aussi le meilleur : « Hans Hartung a photographié un jour mes cheveux. J’étais assise, tout à coup il est allé chercher son appareil, et m’a dit : « cela me fait penser à mon travail ». L’assistante de César sert aussi de lien entre les hommes de l’École de Nice. « J’ai présenté Sosno pour lequel j’avais fait des pièces à Bayard qui l’a fait travailler à Porquerolles avec Bernard Pagès ». Un autre homme prendra bientôt sa défense. Son talent de critique en fit le précieux allié des nouveaux réalistes : « Niki de Saint Phalle et moi avons été poussées par Restany. C’était un type talentueux, mais obsédé par le sexe. Il ne s’en cachait pas. Je me souviens avoir été très gênée lors d’un voyage au Japon où nous étions conviés avec d’autres artistes quand il présenta à nos hôtes une liste d’accessoires sado-maso dont il avait besoin. Ces frasques étaient connues. Ceci dit je lui dois beaucoup comme à Jacques Lepage. Ils m’ouvrirent les portes de l’École de Nice ». Car au cœur de cette ambiance surchauffée Nivèse produit et expose. Alexandre De La Salle lui proposa sa première exposition, Antonio Sapone prit le relais dans les années 80 et organisa une rétrospective dans sa fondation en Italie.

Les tamis de l’ange

L’École de Nice était lancée quand Nivèse investit la Baie des anges. Et si elle ne participa pas en 1977 à l’exposition " À propos de Nice " qui pend la crémaillère du Centre Pompidou (cela lui valut, dit-on, de voir ses œuvres décrochées du MAMAC), elle n’en demeure pas moins un de ces électrons libres qui nourrirent l’émancipation de cette nouvelle vague. Combien de clichés la montrent aux côtés d’Arman, César, de Raymond Hains, Venet, Ben… comme une apparition, une « femme collage » glissée dans le repas de la Cène ? « Rotraut, la veuve d’Yves Klein est arrivée plus tard quant à Niki de Saint Phalle, elle ne fit que de rares apparitions à Nice ». Ainsi Nivèse fut bien la part féminine de cette École de Nice, comme l’explique dans son livre éponyme France Delville. Sa personnalité et son œuvre en témoignent. Du papier découpé elle alla vers la sculpture. « En 1996, 15 tonnes d’acier en Corée ne lui ont pas fait peur » commente Frédéric Altmann. Et même lorsqu’elle s’attaque à ces matériaux rudes, ses coups de ciseaux restent des caresses faites à la matière. Cette part de douceur toujours prégnante à l’image de ses tôles pliées (1982-1986) qui se changent en dentelles en apesanteur, est devenue sa griffe. Dès ses premières œuvres, Nivèse fait parler l’œuvre au féminin. Les ex-voto à la putain convoquent les biens paraphernaux chinés sur les marchés. « Une façon d’évoquer les bordels de Pompéi façon Amsterdam » dit-elle en riant. Mais c’est sa sœur Dolores qui parle le mieux de son engagement : « Avec de la colle, avec des ciseaux, avec du papier, avec de la couleur, avec des pinceaux, elle construit des forteresses écrasantes. Ses mains d’enfant, mais solides, aiment les bras de fer, avec l’acier que, féminine, elle découpe au scalpel… ».

Jardins Albert 1er avec Venet, Arman, Ben et B. Nicoletti. 1988 © Frédéric Altmann

…et l’ombre portée

Nivèse, dont le nom signifie « neige », a le don de la légèreté et de la profondeur tellurique qui ébranle la cuirasse, elle met à jour les leurres de la surface plane. Et le hasard n’a pas de prise : « Il y a un vrai travail préparatoire fait de pliages et de calculs, déjà enfant j’étais douée pour les mathématiques ». C’est peut-être pour ce talent d’accoucheuse du réel que l’Asie s’est entichée de son œuvre. Elle y expose souvent, « plus souvent qu’à Nice » depuis qu’un coréen entra par hasard dans son atelier. « En 1999 j’ai été invitée à Pusan en Corée pour un symposium. J’y ai installé une pyramide où un personnage pousse le côté rouge qui symbolise l’interdit. Quand j’ai fais mon discours j’ai insisté sur l’importance de la démocratie. Ils furent nombreux à venir pousser à leur tour à ses cotés ». Les pyramides, Nivèse - qui convoque l’architecture de ses tours en triangle à sa Miss liberty (statue de la liberté) - les a souvent abordés. De Brême à Tokyo via Nice l’Arénas, elles sont là, ajourées, filtrant le temps qui passe comme un cadran solaire, cinétiques quand elles recréent le mouvement du coureur par arythmie de plein et de vide. « Ce thème qui m’est cher vient, avoue-t-elle, d’un cauchemar où j’ai vu des avions bombarder les pyramides ». Une vision d’apocalypse que l’artiste s’empressa d’exorciser sur des contreplaqués découpés dès 1989. Nivèse, la nomade aux trois nationalités (croate, belge et française) raconte aux travers de ses œuvres douées de légèreté, ses frayeurs, nos peurs, ses joies, notre présent, et si l’on sait les lire entre les lignes, nos rêves à venir. Nivèse, l’exilée a appris à reconstruire avec l’instant, elle ne détruit pas, c’est une bâtisseuse naturelle. C’est en cela qu’elle a pu être la véritable face féminine de l’École de Nice. Une face cachée qui n’a pas fini de révéler ses secrets !

Retrouvez Nivèse au Muséaav à compter du jeudi 13 Mai à Nice ! www.museaav.com

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