| Retour

Lucie Bitunjac ou l’abstraction géométrique (1/3)

Lucie Bitunjac
DR

Lucie Bitunjac est née à Nice en 1968 ; actuellement elle vit et travaille essentiellement à Marseille. Elle a commencé ses études d’art au Lycée Honoré d’Estienne d’Orves à Nice dans une classe spécialisée en art devenue célèbre. Après un certificat d’art plastique à l’Ecole Nationale de la Villa Arson de Nice où elle était entrée 1987, elle poursuit ses études à l’Ecole supérieure des Beaux Arts de Marseille-Luminy de 1990 de 1994. Elle y obtient un certificat supérieur d’expression d’arts plastiques et le Diplôme national d’arts plastiques.

Elle profite de ses études pour réaliser un « stage » dans l’atelier Konrad Klapheck de la Kunstakademie de Dusserdorf en Allemagne (1993-1994).

Ses œuvres

L’approche de cette plasticienne suit plusieurs axes déterminants : la couleur d’une part et la déconstruction d’autre part. Lucie Bitunjac joue en permanence avec des formes d’abstraction géométrique ; dès lors, ses productions sont multiples et diversifiées.

« Mon travail s’articule autour de la perspective intuitive et a pour paradigme l’idée d’une perception du monde par la contestation de la perspective classique. Mes architectures sont ainsi des utopies qui expriment le désir perpétuel de recréer un monde meilleur et ce au travers d’angles de vision et de vérité multiples. »
Lucie Bitunjac

Visite de l’atelier de Lucie Bitunjac
DR

Les plus remarquables de ses travaux sont ses aplats, presque monochromes, peints sur bois. Tout est réalisé en perspectives ou en agencement des formes pour jongler allègrement avec des lois spécifiques de l’optique classique. Il en résulte de superbes trompe-l’oeil ou de puissantes illusions… d’optique.

Et que dire de ses multiples paysages composés et développés au travers de… 400 planchettes de bois. Des paysages se déconstruisent en diptyques, voire en triptyque, suivant qu’on les dispose à sa guise ou selon son humeur…

Les grands formats ne lui font cependant pas peur, du moins dans les limites de sa propre envergure bras tendus ! Il en résulte des toiles de 1,70m sur 2,20m. A contrario, Lucie Bitunjac s’éprend également des menus objets du quotidien. Un projet appelé Rencontres, en a émergé.
A la base, il se compose de pinces à linge, de boutons, de chaises, de jouets miniatures, mais également de vis, de tasses ou encore lunettes…
Cet inventaire à la Prévert, est totalement réalisé à l’encre, parfois repris à l’aquarelle ; il est mis en scène par des noms de personnages réels. Ils deviennent « hommes ou femmes-objets », repris en boucle en format de taille "humaine".

Lucie Bitunjac, Objets rencontres, aquarelle, 1994
DR

Très ambitieuse dans ses projets et dure à la tâche, tout est peaufiné jusqu’à l’excellence. Tous ses travaux l’ont conduite au projet central de son œuvre actuelle ; elle le dénomme Utopie. Une ville imaginaire de plusieurs mètres de long est entreprise où toutes les déconstructions sont alors permises !..

« Imaginez une fresque du trecento italien, par exemple une de celles qui représentent la ville sainte de Jérusalem telle que se la figuraient les contemporains de Giotto, étrangement semblable aux bourgades entourées de murailles crénelées que l’on découvre encore, de loin, au détour d’une route de Toscane ou d’Ombrie. Éliminez, mentalement, le paysage, les arbres, les personnages, les animaux, les armes, le grouillement de la vie, toute anecdote ou évocation d’un épisode religieux ou historique. Supprimez ensuite tous les détails architecturaux qui subsistent – portes, meurtrières, créneaux, mâchicoulis – et ramenez les murailles à des quadrilatères uniformes. Conservez la couleur dominante de chacun de ces pans et saturez-la en privilégiant les teintes primaires. Découpez le support pour ne conserver que les formes colorées en leur déploiement panoramique. Accrochez le résultat au mur, à une distance de quelques centimètres pour assurer une claire délinéation de l’ombre portée sur la paroi blanche... Reculez de quelques pas et observez... Rapprochez-vous du mur et poursuivez, à la sanguine sur le support blanc, les lignes que vous suggère l’architecture tronquée par les limites du support, développant et amplifiant en l’extrapolant, la structure colorée en un espace purement linéaire.
On ne peut, en regardant ces travaux de Lucie Bitunjac, s’empêcher de penser à la Cité céleste telle que se la représentent les théologiens depuis saint Augustin. Mais, contrairement à la démarche de ces penseurs qui essayaient de cerner l’au-delà en prolongeant et en sublimant la cité terrestre, Lucie Bitunjac part d’une cité déjà idéalisée pour l’extrapoler en un monde décoloré, réduit à son ossature essentielle, plus prosaïque, à l’opposé de la description qu’en donne Jean dans son Apocalypse – « Les assises de son rempart sont rehaussées de pierreries de toute sorte : la première assise est de jaspe, la deuxième de saphir, la troisième de calcédoine, la quatrième d’émeraude, la cinquième de sardoine, la sixième de cornaline, la septième de chrysolithe, la huitième de béryl, la neuvième de topaze, la dixième de chrysoprase, la onzième d’hyacinthe, la douzième d’améthyste. » – et que Messiaen retranscrira si génialement dans ses Couleurs de la cité céleste, 1963. »

Louis Doucet, mars 2008.

A suivre...

pub