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Jean-Claude Rossel, une conquête de la forme

Plaquette exposition Galerie Alexandre de la Salle, 1986

Suite du texte d’Avida Ripolin (1986)

Tout à coup, ainsi que dans un déchirement, un rideau qui craque, la lumière éclate, aveuglante. En plein éblouissement, sur cette plateforme où le voyageur émergeant découvre un horizon, l’infinie variété des longueurs d’onde est libérée. Rien ne retient plus ni la main ni le nombre. Le corps du début n’est plus immobile, emblématique. Il est comme dans la danse, multiple en un, agile, allégé de ici pesanteur. Ce n’est plus lui qu’on voit dans le lieu de la représentation, c’est lui qui voit (il est né, et n’est donc plus inertement vu, mais voyant) et ce qu’il nous offre, c’est justement son propre regard, et la liberté, le jaillissement, Ici multiplicité de ce regard.
De la même facon que dans « Pallavi », qui signifie élaboration, et qui est un morceau musical Odissi (Inde), l’œuvre est une succession de périodes qui développent des variations rythmiques, tout en revenant après chacune, au chant initial. Pour viser l’oméga, n’est il pas vital de revenir sans cesse à l’alpha ?
L’œuvre se multiplie donc en toutes sortes d’altérisations du thème, elle bourgeonne, prolifère, explore la pluralité, mais en ne se perdant jamais, en revenant toujours au lieu des origines, antichambre pour une méditation, vestibule de l’entre deux mondes, salle d’attente où l’être des choses, appelé, vient à chaque fois, et gambade avec allégresse.

Couverture plaquette exposition Montbéliard : 8e station couleurs


L’œuvre, ici, est un hymne. On y chante, célèbre, loue, vante, on y dit hautement, on y publie, on y répète indéfiniment. Et on y montre toutes les parures de l’être, on nomme tous ses noms, et il est naturel que le signe en vienne à s’incurver de lui même jusqu’à n’être plus que cette écriture arabe, qui est, de toutes les écritures, avec ses entrelacs, ses rinceaux, la plus ornée, la plus propre à danser, celle aussi qui configure le mieux ces onomatopées, ces vocables de l’amniotique, ces graphies du monde intérieur, celui que l’on rejoint en fermant les yeux, et qui est comprimé par les paupières. Ayant découvert ce lieu de grande liesse, sorte de terre promise, Jean Claude Rossel « creuse toujours vers lui le même passage », et le retrouve à chaque fois, semblable et différent, afin d’y célébrer, ébloui, de béatifiques fêtes. (Avida Ripolin 1986)

Jean-Claude Rossel : Architectures intérieures…

En 1989, l’exposition Jean-Claude Rossel (13 octobre-13 novembre) dans ma galerie s’intitulait « Peintures, Pastels », comme, en 1991 (11 mai-12 juin) ce seraient « Peintures récentes et Pastels », et, en 1994 « Peintures ».

Couverture plaquette exposition Montbéliard : L’annonce faite à Marie monotype

Dans le catalogue de l’exposition de 1989, Michel Giroud publia ce texte, sous le titre « Energies multiplicatrices » :
Plans dans le plan du plan, fenêtres et miroirs obliques, transformations permanentes de l’environnement par les jeux libres de combinaisons des assemblages de plans colorés, évoquant des architectures intérieu¬res. Nous sommes dedans, devant et derrière un système de paravents ou de miroirs. Tout renvoie à tout dans un va-et-vient de formes, de lignes et de couleurs. La leçon très indirecte de Matisse, une leçon constructive colorée est ici éclatante.

Que ce soient des constructions (plus rares) de monochromes bleus immaculés ou des architectures aux plans contrastés (obliques, horizontaux, trapézoïdes) zébrés ou rayés de traces ou d’écritures colorées, le choix de la richesse de la variété (et non pas de la variation) est un mani¬feste clair pour la multiplication de l’engendrement dynamique des énergies variables des formes géométriques dessinées aux armes des couleurs primaires. Plans vides, plans zébrés (traits vifs d’écritures jaunes ou rouges), plans traversés de lignes pures de couleurs, ébau¬ches figuratives (promesses de fleurs ou de feuilles) comme rythmes purs géométriques ou ponctuations colo¬rés : tout s’active vers le vide pour une danse des signes épidémiques.

Catalogue exposition Galerie Alexandre de la Salle, 1989

Jean Claude Rossel refuse de s’en¬fermer dans un quelconque code (géométrique, gestuel, figuratif ou abstrait). Il invente une poétique de la transformation où tout résonne dans un jeu embrasé et gai de lignes, de formes et de couleurs. Une fête colorée, un feu vif de la couleur et de la mise en espace. Limpidité, simplicité, facilité. (Michel Giroud, juin 1989).

En parvenant sur les hauteurs inondées de lumière …
Et la réponse d’Avida Ripolin à cette exposition dans le numéro d’Art Thèmes de septembre/octobre 1989) fut cet article, sous le titre « En parvenant sur les hauteurs inondées de lumière, avec elle il se mit à danser... » :

Ils sont particulièrement instructifs, les titres attribués par Jean-Claude Rossel à ses tableaux : « Carnaval, 1ère station », « Fenêtre d’été, station 2 », « Côté Couleur, 13ème station », « Architecture, station 2 », « De l’autre côté de la lumière, 6e station »... De cette manière il annonce sa couleur, qui est la joie, et nul ne peut nier que ses toiles sont surtout un fourmillement de formes plus dynamiques, plus luminescentes, plus heureuses, plus alertes, plus limpides, plus légères, plus désinvoltes, plus audacieuses, plus enthousiastes les unes que les autres... Mais rien à voir avec l’expressionnisme brouillon, le relâchement, la facilité lâche. Sa facilité à lui, et sa liberté, sont les fruits d’un labeur soutenu, d’une recherche tôt commencée... La mention de « stations » évoquerait-elle d’autres stations fameuses et incomparablement plus douloureuses ? J’y verrais plutôt les différents « états » de la découverte... Découverte de la lumière du jour par le spéléologue sorti des entrailles de la terre... Car tout commence dans l’ombre noire et les abysses bleues, dans la nuit pré-natale, qu’éclaire malgré tout, très loin au-dessus de la margelle du puits, le cercle clair de la lune, le rond vibrant : premier signe de l’alphabet du peintre à l’époque de sa première production. Paradoxalement, c’est de monotypes en noir et blanc où seuls papillotaient les points de contraste, les frontières des deux mondes, que Jean-Claude Rossel a extrait ses couleurs. « Voilà pourquoi ma démarche n’est pas Matissienne, précise-t-il. Si j’aboutis à la même allégresse que Matisse, je suis parti d’ailleurs, d’un trou noir, de la craie et du charbon, des solitudes sidérales... » Et, sur la plage illuminée d’aujourd’hui, il ne se reposera pas : « l’artiste, dit-il, est tenu de faire sans arrêt ce qu’il ne sait pas faire, pas question d’exploiter une formule efficace, l’artiste doit se méfier, s’interrompre, sitôt qu’il devient trop habile. Jouer sa peau chaque jour, comme dit Céline ». Pour Rossel, l’art n’est certainement pas une fin en soi, un self-service d’objets-fétiches bloqués dans une utilité immédiate. Il n’est qu’un passage, un appel d’air. Tous ces couloirs, ces fonds de boîte, ces fonds de coulisses qui constituent généralement l’architecture première de ses œuvres, que sont-ils sinon des pièges destinés à capter les figures à chaque fois neuves, surprenantes, de la danse de la vie ? des vestibules enchantés dans lesquels tourbillonnent les gaies figures du rêve... ? (Avida Ripolin)

Catalogue exposition Galerie Alexandre de la Salle, 1989

Jean-Claude Rossel et Erik Satie

Pour une exposition au Centre d’Art Contemporain de Franche-Comté Montbéliard (chez lui), en 1986, John Squiers avait écrit :

Après son austère période géométrique en bleu, noir et blanc, Jean Claude Rossel renoue depuis quelques années avec « toutes les couleurs de sa palette » et une nouvelle liberté ; une ascèse pour y gagner aujourd’hui le bonheur de peindre.

Par le mouvement qu’il impose au regard d’une tache à une autre, il libère à volonté et à des rythmes différents, le statique équilibre des lignes et des masses. Alors ses « brouillons » deviennent des chorégraphies ou un chœur avec autant de voix que de couleurs, et il veut que ces couleurs nous touchent aux yeux comme sonnent les notes à nos oreilles.

(A SUIVRE)

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