Jean-Antoine Hierro... aux pays des mille natures (2/5)
Le travail de Jean-Antoine Hierro est pour l’essentiel une mise à plat évidente, au propre et au figuré. Mise à plat d’abord du réfèrent qu’il présente et met en scène, c’est-à-dire dans ses dernières productions : une robe, confection à l’origine destinée à envelopper le corps, d’un seul tenant réunissant la jupe et le corsage.
La mise en place de cet « objet », pourrait-on dire, sur un plan vertical, lui ôte tout volume et toute signification première. La fonction d’habillement disparait totalement pour ne laisser la place qu’à un ensemble déstructuré, qui revêt l’apparence d’une œuvre hybride, à la fois peinture et sculpture.
- Jean-Antoine Hierro, Painting Dress (2008)
- volume de pots de peintures vides assemblés par coulées de peinture acrylique
pièce unique 50 x 45 x 45 cm
- Jean-Antoine Hierro, Bronze, Galerie Ferrero (2012)
- Jean-Antoine Hierro, Robe Baguépi (2008)
- Jean-Antoine Hierro, Wellknown soldier (2008)
- Peinture acrylique, éléments gonflables et figurines Mickey collés sur
plaques de caoutchouc cellulaire assemblées
par un système d’oeillets et de chaînes d’acier.
175 x 100 x 10 cm
L’aspect pictural prend le dessus grâce aux rapports colorés qui s’imposent à l’évidence ; les dominantes chaudes ou froides se manifestent dans de nombreuses pièces de ces dernières années et apportent une unité chromatique qui inscrit immédiatement l’œuvre dans le champ pictural. Les multiples nuances d’ocres et de vert de Green jouent avec le blanc des fonds ou les grisailles subtiles des dessins sous-jacents.
Les obscurs camaïeux de Vendu se laissent illuminer par quelques plages claires et surtout par le texte qui marque la zone de plus grand contraste. Dans cette œuvre, les reflets métalliques des chaines participent étroitement aux rapports chromatiques lorsqu’ils zèbrent les sombres surfaces colorées, et leur apporte une illumination étincelante.
La peinture est aussi matière et richesse picturale. Jean-Antoine Hierro multiplie les procédés plastiques qui se valorisent réciproquement ; les effets de collage ou de raclure se font souvent écho dans de nombreuses pièces, tandis que les coulures et éclaboussures parcourent les différentes parties de Green à travers un tracé gestuel qui semble lacérer les surfaces. Les recouvrements, repentirs ou autres amoncellements de superpositions colorées enrichissent la pate initiale pour atteindre quelquefois de véritables reliefs.
Tous ces effets de matières exaltent les parties dessinées, les séquences en blanc et noir dans lesquelles le graphisme peut alors atteindre toute sa plénitude, mis en évidence par les enrichissements de la matière picturale.
- Jean-Antoine Hierro, Dress Code
- Affiche de l’exposition du Château de Cagnes (2009)
La « peinture » -ou le résultat pictural- se manifeste aussi par la force de la composition. Les fragments de peintures ou de dessins réutilisés permettent aux restructurations un nouvel assemblage formel qui trouve son équilibre aussi bien dans les décalages de plans que dans les rapports d’échelle très contrastés. Les formes de Spring Summer jouent avec les multiples variations de tailles et de surfaces ; les emboitements d’image, les mises en abîme et les doubles lectures renouent avec les plus classiques procédés de l’image, mais dans une approche très contemporaine : les décalages sont produits par des vides, et les éléments de liaison sont remplacés par des chaines qui semblent métaphoriser les tissus conjonctifs.
Morphologies très équilibrées aussi lorsque le jeu des pleins et des vides s’anime par les effets de distance ou de séparations réduites entre les polygones irréguliers et les chaines : la Chute propose de multiples animations de surfaces qui se prolongent ou se font écho ; Miami Moscou oppose verticalité et horizontalité dans un parcours narratif, et amène une lecture séquentielle à cet ensemble d’images hétérogènes. Certaines sont déjà cernées comme les vignettes de BD, d’autres se donnent à voir dans leur intégralité comme véritables ponctuations d’un mystérieux récit.
- Jean-Antoine Hierro, La Chute, Sculpture-Installation (2008)
- 180 cm
Petites chutes de toiles découpées et assemblées
sur plastic transparent par un système d’oeillets et chaïnes en acier.
Peinture et sculpture, les deux se fondent quelquefois en une seule et même œuvre par un effet de symbiose. Certes, Jean-Christophe Hierro réalise de véritables sculptures, telles que Cream Victoire, Cake, Robe de Vénus ou Warrior Dress, de massifs volumes dans lesquels la planéité semble totalement évacuée.
- Jean-Antoine Hierro, Robe de Vénus
- sculpture, exposition temporaire, Château de Cagnes (2009)
« Mon art est ma manière, à travers la forme universelle de la robe, d’observer, comme par le trou d’une serrure, l’obsession de l’homme et la mienne à s’approprier les choses et les personnes, à les vêtir pour les masquer, à les nommer pour les cacher. »
« Je flirte avec la mode pour observer l’humain à travers un monde en transformation, et j’utilise la forme de la robe, comme une lunette pour regarder et revisiter un univers existant mais aussi imaginaire. »
Jean-Antoine Hierro, Interview, exposition temporaire Dress Code,
Château de Cagnes (2009)
Mais certaines robes verticales présentent une lecture recto-verso, propice à la circulation du spectateur et donc à la traduction volumétrique. Lorsque les fragments picturaux cohabitent avec des séquences graphiques, la sculpture reste omniprésente grâce au rapport subtil des pleins et des vides. L’ouverture sur l’espace reste permanente, et le fait de tourner autour des pièces accentue la notion de volume qui ne disparait jamais totalement, même dans les pièces les plus aplanies comme Portrait et Nature Morte : les ombres portées jouent un rôle plastique de redondance, et accentuent aussi les effets de kaléidoscope avec les formes qui se projettent sur les murs. Découpage jamais innocent, redoublement des pleins et des vides avec la disparité des formes d’Hôtel qui se mêlent habilement aux ombres projetées.
- Jean-Antoine Hierro, Dress Code
- Installations, exposition temporaire, Château de Cagnes (2009)
- Jean-Antoine Hierro, Dress Code, Installations
- exposition temporaire, Château de Cagnes (2009)
La mise à plat ne se manifeste pas uniquement sur le plan plastique avec la représentation de la robe : l’artiste nous présente en même temps toute la remise en question de son passé artistique, de sa production classique qu’il a reniée et étalée dans une savante déstructuration ; le savoir-faire s’impose immédiatement, car la virtuosité du geste parait évidente, mais la lecture n’en est pas forcément univoque ou simpliste.
Les morceaux de bravoure tels que les fragments de portraits ou les silhouettes habilement campées s’imposent à notre regard, mais là n’est pas l’essentiel ; il s’agit de cette volonté de remise en question qui s’impose à nous, cet immense repentir restructuré, recréé pour nous donner à voir une nouvelle œuvre, une nouvelle pulsion artistique qui pourrait se situer à l’opposé de ce qu’était sa création antérieure. Les restes d’images agissent en tant que souvenirs ou de palimpsestes, les nouvelles se mêlent habilement aux vestiges du passé : mémorisation d’une production antérieure, en même temps que réelle mise à plat d’un acte créateur.
- Jean-Antoine Hierro, Peace & Love (autoportrait, 2008)
- Peinture acrylique, figurines d’animaux et photographie collées sur plaques de caoutchouc cellulaire assemblées par un système d’oeillets et de chaînes d’acier.
Chaussures de l’artiste. Oeuvre sous plexiglas.
175 x 100 x 10 cm
La suite dans la newsletter du 27 novembre prochain...
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Hierro Desvilles Art gallery
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