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Des archives et des hommes (suite)

Suite de la préface d’Alexandre de la Salle au catalogue de l’exposition « Les 50 ans de l’Ecole de Nice » au Musée Rétif :
La première exposition de mars 1967 s’est faite dans la rencontre et l’intuition, Ben était présent et j’organiserais sa première exposition personnelle dans une galerie en 1970, et si au début des années 1960, Claude Rivière, et Jacques Lepage, et Sacha Sosnovski, s’étaient posé la question d’une Ecole de Nice, le fait de créer un événement annonçant son existence, même avec un point d’interrogation sur la couverture du Catalogue, a été un moment fondateur. Comme l’explique Levi-Strauss, les moments fondateurs ne sont pas conscients, c’est dans l’après-coup que les effets se font sentir, et c’est ce qui s’est passé. Cette exposition suscita enthousiasme auprès du public, et retentissement médiatique, par contre l’idée de récidiver en 1977 fut le fruit d’une élaboration sur ce que pouvait être l’Ecole de Nice, qui pouvait en faire partie ? Avec l’idée bien sûr que tout mouvement est un contenant percé, que l’œuvre « déborde ».

Francis Parent et Alexandre de la Salle dans les Années 60, place Godeau, Vence ©DR

J’ai à chaque fois proposé un choix, dont j’ai pris la responsabilité. Ce furent des décisions qui apparemment portèrent leurs fruits, et d’autres, Serge III, Jean Mas, tentèrent d’autres regroupements, d’autres labels… C’est le désir de chacun, que l’Histoire traite à sa manière, mais « L’Ecole de Nice » reste un riche fleuve dont les crues ont fertilisé tout ce qu’elle a touché. Il est donc aujourd’hui indispensable de la réinterroger pour mieux percevoir la nature de cette onde tenace, indicible, qui traversa les artistes, traversa le Mouvement, traversa les Alpes-Maritimes, et, au dire d’Yves Klein, à travers eux, l’Europe, et donc le monde. L’occasion m’est donnée par Mireille et Philippe Rétif, je le répète, de revenir, en amitié et en exigence, sur ce qui s’est passé ici, entre col de Vence et Baie des Anges, pour faire crépiter les étincelles de la comète qui traversa le ciel des Alpes-Maritimes dans les années 60. Que chacun puisse s’en délecter pour dire avec les précurseurs : « La vie est plus belle que tout ! » (Alexandre de la Salle)

Happening Pierre Pinoncelli 7 juin 2010 (Photo archives Rétif ©INSTANT FORT)

Préface de Francis Parent
Francis Parent est un célèbre critique d’art parisien, un ami très cher qui a eu aussi une galerie place Godeau dans les années 60. Nous lui avons demandé un texte pour le catalogue de l’exposition au Musée Rétif, qu’il a intitulé « Quelques souvenirs » :
J’ai connu Alexandre de la Salle dans sa galerie de la Place Godeau à Vence car j’ai eu moi-même une galerie située un peu plus loin, et j’étais donc présent lors du fameux vernissage fondateur de « L’Ecole de Nice ? », le 17 Mars 1967. Alex et moi nous nous entendions très bien parce que, chacun à notre manière, nous étions tous deux des êtres engagés, politiquement et esthétiquement. C’est donc aussi tout logiquement qu’il y eut souvent ma présence dans les débats houleux « Pour ou contre » de Ben, à Nice. Je me souviens particulièrement de cette soirée animée du 28 juillet 1987 « Chez Malabar et Cunégonde » (en fait, appellation à-musée que Ben avait donné à son lieu…), jour du centenaire de la naissance de Marcel Duchamp, où la question soulevée « Qu’est-ce que l’art ? » était la seule façon envisageable de fêter l’événement puisque Ben était, lui aussi, un être diaboliquement engagé ! D’ailleurs Alexandre et moi n’avions d’intérêt que pour des gens capables d’aimer, souhaiter, et provoquer des ruptures magistrales dans les habitudes de pensée. C’est ce goût-là et ce courage-là qui l’animaient déjà lorsqu’il accueillit dans sa galerie, avant même ce 17 mars 1967, beaucoup de jeunes artistes inconnus aux problématiques subversives, comme cette fois où il faillit brûler lui-même en aidant Pierre Pinoncelli à mettre le feu à son « double » durant le happening « Holocauste pour un double ». Et celui-ci eut bien raison de déclarer qu’Alexandre de la Salle était le seul galeriste capable de descendre dans la rue avec son artiste !

Alexandre de la Salle lisant sa Déclaration de Dissolution en compagnie de Jean-Pierre Mirouze, auteur du film « 50 ans de l’Ecole de Nice » ©DR

Durant les années qui suivirent, redevenu parisien, mon engagement personnel se porta plutôt vers la Critique d’art, et plus particulièrement vers une certaine « Figuration narrative ». Ce parcours est en partie lisible dans un recueil de mes textes intitulé « Entendre l’écrit » (E.C. Editions, 1999). Mais cela ne m’empêcha pas de continuer à m’intéresser de très près à ce qu’il était dorénavant convenu d’appeler « l’Ecole de Nice » (j’ai invité par exemple Arman, Ben et César à une superbe Croisière d’Art en 1989), et bien sûr au parcours d’Alexandre, tant du point de vue humain (je n’ai jamais connu depuis un autre acteur du monde de l’Art ayant une personnalité aussi attachante) que professionnel. D’abord parce qu’il présentait des artistes de ma propre « chapelle », tels Peter Klasen ou Rose-Marie Krefeld, ensuite parce qu’il persévérait dans son soutien à divers talents - maintenant reconnus ou à découvrir - en rapport avec cette « Ecole de Nice ».

J’écrivis donc une préface au catalogue de Max Cartier (l’autre préfacier étant Pierre Restany ) pour son exposition de 1984 à la nouvelle et superbe Galerie d’Alexandre, dorénavant installé à Saint-Paul, Max Cartier à qui Arman adressa cette phrase : « Pour moi, C.A.R.T.I.E.R. s’épelle C.R.E.A.T.E.U.R. ». Et puis, par exemple, dans le magazine « Ancrages » créé par moi en 1990, j’ai écrit un article sur César s’intitulant « César, faber et ludens réconciliés », et dans le « Magazine Go » d’octobre 85, j’ai développé un long panorama de tout ce qui se passait sur la Côte, avec le 17e Festival de Peinture du Haut-de-Cagnes ( dont j’étais membre du Jury ), y faisant le tour des galeries, avec bien sûr une mention spéciale pour celle d’Alexandre de la Salle, qui exposait justement Klasen avec, comme enseigne extérieure, l’une de ses célèbres bâches de camion. Dans cet article je ne manquai pas de noter que de la Salle était le galeriste le moins misogyne, cette année-là, sur huit expositions, quatre étaient consacrées à des artistes femmes ! Je suis donc particulièrement heureux qu’avec cette exposition « Cinquante ans de l’Ecole de Nice », Mireille et Philippe Rétif lui donnent l’occasion d’offrir au public la relance d’une question toujours aussi sérieuse et ludique : « Qu’est-ce que l’art ? ». Surtout si L’Ecole de Nice est dissoute pour entrer définitivement dans l’Histoire, ainsi que le fut Le Nouveau réalisme, à Milan, par Pierre Restany. Et surtout si la chose s’accomplit sous l’inspiration toujours aussi vive du grand « happeninger » Pierre Pinoncelli. En tous cas je remercie Alexandre de la Salle du plaisir esthétique qu’il a su me donner, à moi, mais aussi je le sais à beaucoup d’autres, durant toutes ces années d’une Vie consacrée entièrement à l’Art.

Une partie de la Crèche de l’Ecole de Nice de Jean Mas ©DR

Dans l’exposition « 50 ans de l’Ecole de Nice »…
… par rapport aux choix de 1967, 1974, 1977, 1987, 1997, ont été symboliquement rajoutés :
Robert Erébo, alors qu’en 1971 il a fait partie de l’exposition « Les Paravents » à la Galerie Alexandre de la Salle place Godeau, et que ses collages étaient exposés en permanence
Edmond Vernassa
Bernard Taride
Frédéric Altmann qui, en tant que photographe, avait été couramment exposé à la Galerie Alexandre de la Salle, mais qui, auparavant, dans les années 60, au sein de la Compagnie Les Vaguants, avait participé à « l’archivisme » précoce de Jacques Lepage… qui, en tant qu’acteur, avait participé à des concerts Fluxus, et qui avait été aussi l’une des voix privilégiées des concerts de poèmes d’André Verdet

La crèche part en fumée ©DR

Déclarations
Avant que la crèche de l’Ecole de Nice de Jean Mas ne parte en fumée eut lieu la lecture d’un certain nombre de « Déclarations » sur l’idée d’une fin rituelle de l’Ecole de Nice. Voici un extrait de la mienne :
Cette exposition n’est pas une pénultième expo de l’Ecole de Nice. En 1997 le point final avait déjà été clairement affirmé, et personne ne s’en était étonné. Ici, il s’agit d’un survol, d’une mémoire, pour dire : « voilà ce qu’elle fut, cette Ecole ! » Même si l’événement d’aujourd’hui a été annoncé dès l’ouverture, le 7 juin dernier, et explicité dans le catalogue, le communiqué de Presse, et tout ce que la Presse a ensuite répercuté, je vais préciser les intentions, que même des proches semblent n’avoir pas comprises. Mais le malentendu fait absolument partie de la vie, du langage, et plus précisément de ce lien très particulier qui se nomme Ecole de Nice. Car « l’Ecole de Nice » n’est rien d’autre qu’un lien, social, artistique - mis en acte par des expositions, des textes, du discours - lien jamais parfait, jamais abouti, puisque les visions de chacun des artistes débordent une quelconque « conscience d’une singularité collective ». Je répète : « conscience d’une singularité collective », car c’est la formule formidable employée par Pierre Restany le jeudi 27 octobre 1960, jour de l’acte fondateur du groupe des Nouveaux Réalistes. Il y en avait eu le « germe » le 16 avril 1960, avec l’exposition chez Guido le Noci à Milan, mais la « naissance » du Nouveau Réalisme eut lieu le 27 octobre 1960 au domicile d’Yves Klein. Et manifestement pour eux un mouvement qui était « né » pouvait être dissous, puisque c’est ce qu’ils ont fait. Et la démarche de Pierre Restany m’intéresse d’autant plus que celui-ci a soutenu également la naissance de l’Ecole de Nice dans ma galerie de Vence en mars 67, par sa présence, son amitié, et sa préface, et que pour chacune de mes expositions Ecole de Nice il a écrit une préface, racontant au fil des années l’histoire - sur un mode parfois ironique il faut bien le dire ! - de ce Mouvement. (…) Certains se demandent s’il y aurait encore une Ecole de Nice si moi et d’autres n’avions pas continué à réunir des artistes sous la bannière de cette « l’Ecole de Nice ». Si, en dehors de la brillante carrière poursuivie par chacun des éléments, il y aurait encore ce lien intitulé « Ecole de Nice ». (…) Dans le catalogue de l’expo de Tokyo en octobre 1995 (Claude Fournet et Frédéric Altmann commissaires), Pierre Restany qui écrit dans sa préface : « L’analyste le plus lucide de cette situation a été en son temps Alexandre de la Salle, propriétaire d’une galerie d’abord à Vence puis à Saint-Paul », et plus loin : « Mais en 1967, Alexandre n’a besoin de personne pour déclarer ouvert le débat sur l’Ecole de Nice, etc » (…) Il s’agissait ici de refermer les parenthèses d’un long cycle. Dès lors, l’Ecole de Nice, tel un objet parfaitement identifié, dévient à jamais part de l’Histoire de l’Art, Mouvement important de la seconde partie du XXe siècle. Vive l’Ecole de Nice, qui n’aura désormais plus besoin d’être identifiée, défendue, vilipendée et applaudie, à l’égal du Cubisme, de Dada, du Surréalisme… L’Ecole de Nice est là, sous les yeux de tous, grand moment du siècle, et monument qui a grandi sous l’azur bleu des pays du sud ! Merci. (Alexandre de la Salle)

L’œuvre de Ben spécialement créée pour l’exposition (© Eva Vautier)

Et un extrait de celle de Ben :
Chère France, je me sens coincé, cette dissolution, cette fin de l’Ecole de Nice, me mettent mal à l’aise, parce que j’aime l’Ecole de Nice, je trouve que ce fut, et c’est toujours, un moment positif de la création, grâce à l’Ecole de Nice, nous avons pu exister en dehors du rouleau compresseur parisien qui veut que rien ne se passe ailleurs qu’à Paris… (Ben)
Les déclarations des autres, ce sera pour une autre chronique…

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